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Adieux au milieu

Posted: septembre 28th, 2011 | Author: | Filed under: Murmures | 4 Comments »

« – Eh mec, t’es un révolutionnaire !
– Individuellement, ça ne veut finalement rien dire, c’est un mouvement collectif, on est révolutionnaire dans un moment où tout est possible. »

Boris Lamine (texte collectif), Il fera si bon mourir

Ma formation politique, ma découverte des luttes collectives, je l’ai fait dans un endroit bien particulier. Cet endroit, c’est compliqué de lui mettre une identité bien claire, parce qu’il bouge tout le temps, il se transforme rapidement et il est assez flou, finalement. C’est l’ilôt étrange des révolutionnaires sans étiquettes officielles, des radicaux non-organisés. En fait, des étiquettes et des organisations, il y en a, mais elles n’existent pas officiellement, elles ne sont pas visibles pour l’extérieur. Pas de NPA, pas de Fédération truc ou d’Organisation machin. J’ai grandi politiquement dans cette étrange maison peuplée d’anarcho-machin, d’insurrectionalisto-trucs, d’anti-gauches, d’autonomes, … Il y a encore des tas d’autres qualificatifs comme ça, qui amènent souvent plus de questions qu’ils ne clarifient de positions. C’est le genre de mots qu’on utilise dans cette maison.

J’ai grandi là-dedans pendant très longtemps, et puis j’ai commencé à m’y sentir à l’étroit. J’y trouvais de moins en moins de réponses et de plus en plus de questions. D’une certaine manière, c’était étrange, parce que la maison s’agrandissait, il y a avait de plus en plus de gens. Mais c’était comme si, même avec plus de gens, c’était toujours aussi petit et limité. Je n’étais pas le seul à avoir ce ressenti. En fait, je crois bien que progressivement, tout le monde a commencé à se sentir un peu étouffer là-dedans. Cette maison a commencé à devenir le milieu, un endroit dans lequel personne ne se sentait vraiment à l’aise. Un endroit qui nous enferme petit à petit mais dont on ne sait pas comment sortir, à la fois confortable et limitant.

Je ne me suis pas rendu compte à l’époque, mais la création de ce site, le début de ce projet d’écriture était pour moi une manière de sortir de ce milieu. Je n’ai pas imaginé de rupture radicale dans ma tête, mais j’ai commencé à dévorer des livres, à rechercher des réponses dans beaucoup de directions, et je me suis petit à petit éloigné de cette maison sans trop y penser, en suivant les directions sur lesquels j’étais emmené. Ce n’est que très récemment que je me suis rendu compte du chemin que j’avais suivi: en causant avec des camarades, en parlant du milieu, je me suis rendu compte que j’en parlais comme d’une réalité extérieure que j’observais plutôt que comme un environnement qui m’entourait. Un regard extérieur, assez détaché. En tout cas, je ne plaçais plus aucune de mes perspectives dans des dynamiques qui auraient été liées à ce milieu: je faisais mes trucs dans mon coin, avec mes camarades, simplement.

Alors voilà, là, je me retrouve dans la position surprenante (pour moi), d’y voir d’un coup beaucoup plus clair au sujet de ce fameux milieu. J’ai même l’impression d’avoir des leçons politiques à tirer de tout ce chemin.

Cette question de sortir du milieu est centrale dans ce milieu lui-même depuis quelques années, et je crois qu’elle a un sens temporel précis, qu’elle correspond à un moment de bascule, à une transition entre deux situations très différentes. Pour moi, c’est bien parce qu’elle correspond à une transition difficile et nécessaire qu’elle est un sujet essentiel de discussion depuis tout ce temps. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il ne s’agit pas de tempête dans un verre d’eau. C’est toujours facile de prendre de haut toute cette histoire et de se moquer des « révolutionnaires professionnel-le-s qui se regardent le nombril« , quelque chose dans le style. Mais je pense que c’est une erreur: comment sortir du milieu, c’est un problème politique concret qui se pose dans beaucoup de situations, et il sert de révélateur à de nombreuses questions politiques fondamentales.

Les premières réflexions que j’ai eu l’occasion de lire sur le sujet voyaient en général cette question comme une affaire de positions politiques. Si on se retrouvait par moment enfermé-e-s politiquement dans des milieux, c’est parce qu’on ne se posait pas les bonnes questions, qu’on avait pas trouvé la position juste, l’analyse correcte qui allait nous permettre de « parler plus largement aux gens« . En général, ça débouchait sur des discussions houleuses sur ce que pouvait bien être l’analyse en question. Ces discussions ont pu s’étendre sur des années, mais n’ont jamais débouché sur l’ouverture théorique recherchée.

Une autre direction d’élargissement envisagée, c’est la communication. Nos théories sont justes, nos bases sont solides, mais on ne communique pas assez, on ne va pas assez à la rencontre des gens pour les convaincre. Cette position va en général correspondre à la volonté de certains collectifs d’être les plus présentables possibles, de travailler à faire parler d’eux. Tractages, journaux, sites internets, listes de diffusion, tables de presse, tout le tralala. Travail de titan, travail épuisant, qu’on finit par lâcher au bout d’un moment en général, parce qu’il débouche très rarement sur des élargissement réels des collectifs.

Globalement, dans les deux cas, l’idée, c’est un élargissement (une massification si on est passé-e par la LCR): au bout d’une certaine masse de gens impliqué-e-s, il ne s’agira plus tant d’un milieu que d’un mouvement large, et on arrêtera d’étouffer. De l’air et de l’espace par le nombre, quoi. Je n’ai pas l’impression que ce genre de stratégie a vraiment fonctionné. Comme je l’ai déjà dit plus haut, même à plus nombreux/ses, la même impression d’étouffement persiste, et un élargissement réellement massif et rapide ne s’est jamais produit. A chaque mouvement social (CPE, LRU, retraites, …), il y a toujours l’espoir que ça se débloque enfin, mais ça ne se produit pas vraiment, et la logique du milieu revient quand la vague est passée. En fait, on se retrouve assez proche de pratiques gauchiste assez traditionnelles, et l’ex-LCR/NPA ou LO sont bien là pour démontrer l’impasse à long terme de ce genre de choses.

Je ne suis pas le seul (loin de là !) a voir constaté l’échec de tout élargissement du milieu. Pour répondre à cette impossibilité, d’autres personnes ont commencé à envisager une perspective plus radicale, une sorte de dépassement du milieu.

A mon sens, cette perspective de dépassement est portée de la manière la plus forte par toute la branche tiqunienne. Dans cette perspective, le milieu n’est pas tant quelque chose à élargir que quelque chose à laisser derrière soi, à détruire méthodiquement. J’ai déjà mentionné le texte de Tiqqun sur les « communautés terribles« , qui possède une sacré rage, une volonté forte de destruction de nos rapports existants. Ce qui est particulièrement bien vu dans Tiqqun, c’est l’idée qu’il n’y a aucune différence entre le milieu révolutionnaire-radical et le reste du monde qui nous entoure, que l’attaque contre ce milieu est tout aussi nécessaire que l’attaque contre les banques. Qu’il faut commencer à retravailler ce qui est proche de nous, plutôt que ce qui est loin. Mieux que ça, le processus de destruction de l’Empire (pour reprendre leurs mots) est le processus même de dissolution des « milieux » qui nous enferment. En commençant à attaquer les milieux, on commence à attaquer l’Empire.

La force et la faiblesse de ce genre de textes se trouve à mon avis, dans leur volontarisme. Tout est simple, il suffit de commencer à s’organiser, à vouloir dépasser le milieu actuel, et on est sur la bonne voie. Ce n’est ni une question de ligne politique, ni une question de propagande, mais une question de volonté. C’est un autre aspect de la critique que je peux faire de Tiqqun: le milieu, comme le capitalisme, n’est pas vraiment analysé, il est surtout décrit et dénoncé. Du coup, sans analyse, le dépassement ne peut se faire que par l’approche bourine: on pousse jusqu’à ce que ça s’effondre, en espérant pousser suffisamment fort. C’est séduisant, parce qu’on peut commencer là tout de suite, sans trop se poser de questions, mais, au bout d’un moment, on s’épuise forcément à pousser dans le vide.

Non seulement cette logique volontariste me semble inefficace, mais elle a des conséquences terribles sur les relations que nouent les gens. C’est assez connu, le volontarisme, ça vire assez facilement à la parano quand ça ne fonctionne pas. Du coup, c’est assez facile que ce genre de perspectives débouchent sur des chasses à qui ne veut pas assez, sur des concours de radicalisme. Il faut prouver qu’on a la volonté de sortir du milieu, il faut donc être à la pointe de la radicalité, causer conflit, violence et offensive (ça peut même tourner au militarisme un peu crade, voir un texte récent pour un exemple). Tout ça fait qu’à la fin, le serpent se mord la queue, puisque cette pression à la radicalité finit par récréer le milieu qu’on voulait dépasser. La boucle est bouclée.

Tout le débat houleux autour de la tactique de défense des inculpé-e-s de Tarnac traduit, à mon avis, la tension entre ces multiples stratégies de sortie du milieu. Les inculpé-e-s de Tarnac jouent à la fois du dépassement radical et de la volonté d’élargissement. Le résultat, c’est un double discours assez étrange, où les positions changent entre discours « internes » (au milieu), et discours adressés à l’extérieur. Ce qui fait qu’illes se retrouvent à la fois attaqué-e-s parce qu’il ne sont pas assez radicales et radicaux, mais qu’illes ont quand même à subir la marque du ou de la « terroriste« . Bien sûr, on peut dire que cette stratégie est souple, pragmatique, mais les grincements et les tiraillements se font quand même sentir au fil des changements.

Ce que je vois de commun à toutes ces tentatives de sortir du milieu, c’est qu’elles sont internes, qu’elles partent de l’intérieur. Malgré la critique radicale du milieu que peut faire Tiqqun (par exemple), c’est quand même un texte qui s’adresse au milieu. Sa suite logique, l’Appel a, de la même manière, été diffusée à l’intérieur de ce milieu que le texte descendait en flamme. Ce qu’il y a d’implicite, c’est que la destruction du milieu viendra du milieu lui-même. Envers et contre tout, même en réduisant (textuellement) ce milieu en cendres, c’est en partant de ce milieu que sont envisagées les choses, et ces textes multiplient les références à des discussions internes et anciennes, à des personnages notoires, à des positions connues, …

Comme on sort de cette perspective interne, alors ? Sur quels éléments extérieurs on peut s’appuyer ? Pour moi, le milieu existe et est à dépasser, parce que le milieu n’est formé de rien d’autre que des limites de nos luttes. S’il est aussi étouffant et frustrant, c’est parce qu’il représente toujours un échec, un reflux, un retour à quelque chose de plus limité. S’il nous colle toujours aux basques, c’est parce qu’on a pas encore réussi à transformer ce monde. Le milieu, c’est l’endroit où l’on préfère parler parce que porter une parole politique entendable dans un espace plus large est tellement plus difficile. Collectivement, on vient de traverser vingt ou trentes années de recul constant des luttes, d’échecs et d’invisiblité. Le milieu, c’est le point de regroupement parmi tous ces échecs, l’endroit où on revient parce qu’ailleurs, la confrontation est trop rude. La relation d’amour-haine qu’on peut avoir avec lui me semble venir de là, dans l’irritation qui grandit face à quelque chose qui est à la fois complètement nécessaire et totalement insuffisant.

C’est parce que ce milieu représente les limites de nos luttes que sortir du milieu ne se fera pas à partir du milieu, mais dans le développement de la nouvelle séquence historique qui commence en ce moment. Pour la première fois depuis des années, collectivement dans le monde, nous sommes à l’offensive. Le dépassement du milieu, il est là, en acte, dans les nouvelles luttes qui se développent. Des paroles radicales qui ne rencontraient aucun écho auparavant sont maintenant diffusables et diffusées. Le milieu disparaîtra quand plus personne n’en aura besoin, quand nous n’aurons plus besoin de nous replier. La sortie du milieu n’est pas un choix, mais une réalité progressive qui se développe avec nos luttes, dans nos luttes. La sortie du milieu n’était même pas une possibilité il y a quelques années, et elle deviendra une réalité d’ici quelques temps, parce que ce milieu est pris dans un mouvement historique plus large. Ce n’est pas une question de propagande ou de volonté, mais de processus collectif.

La rôle du milieu a toujours été de nous permettre de nous regrouper et de souffler. Plus on gagne en force, moins on en a besoin. Et c’est très bien comme ça.


C’est quoi le rôle des garçons dans tout ça ?

Posted: septembre 16th, 2011 | Author: | Filed under: Genre, patriarcat | 11 Comments »

J’ai eu une chance de dingue, politiquement. Dès que j’ai été pris par le goût de la révolte, je suis tombé sur des féministes. Au départ, comme tout garçon qui se respecte, je leur ai posé des questions absolument stupides, sans douter de rien. Je me suis fait remettre à ma place vite fait. Alors j’ai voulu comprendre, j’ai persévéré, j’ai lu, je me suis renseigné. Mais surtout, j’ai été guidé, je suis tombé sur des nanas qui ont bien voulu prendre le temps de m’expliquer quelques évidences, de me donner des éléments pour me nourrir et pour pouvoir commencer à réfléchir un peu tout seul sur le sujet. Ce mélange de confrontation et d’échange est une richesse incroyable, et m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. J’espère entre temps avoir rendu la pareille aux personnes qui ont bien voulu me soutenir là-dedans.

Mais c’est un équilibre assez précaire. Pour les quelques garçons que je connais avec qui on partage ce vécu, il arrive très vite une autre question compliquée: qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Qu’est-ce qu’on en tire politiquement ? Comment on agit sur cette base ? Parce qu’essayer d’être un garçon correct à titre individuel, c’est mignon, mais c’est comme limiter l’écologie au tri des déchets: c’est un peu court. Il faut donc réfléchir à comment prendre place dans un mouvement contre le patriarcat en tant que garçon, et c’est là que ça se complique.

Je n’ai jamais voulu me dire féministe. Pour moi, le féminisme, de ce que j’en comprend, c’est un mouvement collectif d’auto-organisation des femmes. A partir de là, je n’y ai pas vraiment ma place. Je peux être solidaire, je peux soutenir la lutte, mais ce n’est quand même pas mon mouvement. Je crois que l’auto-organisation, c’est un ingrédient politique indispensable. Sur les lieux de travail, de nos jours, c’est un principe acquis pour l’essentiel (j’ai dit un principe, la pratique peut être différente), et je crois que toutes les bonnes raisons qui font que c’est une bonne idée sur le terrain du travail sont applicables ailleurs. Le patriarcat est un système de domination et, en tant que tel, les seules vraiment aptes à trouver des outils efficaces pour en finir avec lui sont les dominé-e-s au sein de ce système, c’est-à-dire les femmes.

D’ailleurs, historiquement, les outils théoriques et pratiques de cette lutte ont été forgées par le travail politique de femmes. Des hommes ont parfois participé, mais leurs contributions n’ont jamais été essentielles. Pour moi, on touche là à des évidences politiques essentielles, qui fonctionnent aussi dans d’autres domaines. Par exemple, Marx est un génie, mais son travail se base sur le mouvement ouvrier de critique théorique et pratique du capitalisme, pas l’inverse. Sans mouvement ouvrier, pas de Marx. Sans mouvement féministe, pas de critique théorique et pratique réelle du patriarcat. Alors ne pas vouloir me dire féministe, c’est rappeller que j’ai une position fondamentalement différente que celle de n’importe quelle femme quand je parle de genre, même si je peux prétendre lutter contre le patriarcat.

Pourquoi ne pas utiliser, alors, un autre terme qui revient des fois: pro-féministe ? Je l’aime pas. Je ne suis pas pro-féministe. Je n’ai pas une préférence naturelle pour les féministes ou je ne sais quoi. Je ne me suis pas levé un matin en me disant que j’allais kiffer toutes les féministes que je croiserais. Pour moi, ce pro-truc, ça amène la question sur un terrain affectif un peu binaire, genre plateau de télé: « pour ou contre le féminisme » ? Le féminisme est un mouvement social, j’ai pas à être pour ou contre lui, j’ai à le soutenir ou à lui mettre des bâtons dans les roues, et je trouve que ce petit préfixe ne reflète pas ça. Dans le même genre, je ne suis pas pro-palestinien non plus. Je n’ai pas un amour particulier pour les palestinien-ne-s. Tout ce vocabulaire amène, à mon avis, à des contradictions idiotes: on peut être pro-palestinien ou pro-israélien, mais alors ça fait que quand on est l’un, on est anti-l’autre non ? Comment ça marche ?

La question de fond derrière la question de vocabulaire, c’est de savoir c’est quoi le rapport au féminisme. J’ai l’impression que, en général, le féminisme et, de manière plus large, le genre sont perçus comme des sujets. Il y a le travail, les femmes, le colonialisme, la prison, … Tout ça c’est des sujets séparés les uns des autres, sur lesquels on intervient pour donner une position. Une amie rigole (jaune) en parlant « d’antisexisme dans les status« : de nos jours, il faut être antisexiste, c’est bien, alors on le rajoute comme un thème de plus sur lequel il faut avoir des choses à dire, entre le nucléaire et le Moyen-Orient. A ce moment-là, on se retrouve à faire de l’antisexisme une question de principe, déconnectée de nos pratiques et de nos luttes quotidiennes. Ce qui revient à dire que l’essentiel du boulot va être fait par les concernées, c’est-à-dire les femmes.

C’est là que, je crois, on peut jouer un rôle en tant que garçons. J’ai l’impression que le rôle qu’on peut jouer, c’est d’intégrer les outils théoriques et pratiques du féminisme dans nos luttes et dans nos réflexions. Que penser aux questions de genre ne soit pas uniquement réservé à la « commission femmes » ou aux grandes gueules féministes de service.

Si je me sens solidaire avec le mouvement féministe, ce n’est ni par charité, ni par culpabilité, ni pas grandeur d’âme. C’est parce que je pense qu’on ne détruira pas le capitalisme sans détruire aussi le patriarcat. C’est nécessaire de lutter contre le patriarcat si on se veut révolutionnaire, y’a pas à tortiller. Ce qui veut dire que le genre, ça ne peut pas être un truc qu’on relègue dans un coin de nos têtes et auquel on pense quand on manifeste pour le droit à l’avortement. Ça doit être une problématique quotidienne, constante, qui influe sur les pratiques collectives, qui est présente aussi bien qu’on écrive un tract, qu’on parle à des gens ou qu’on fasse une manif.

Vous allez me voir venir avec mes gros sabots, mais un excellent exemple de comment on ne fait pas ce travail à l’heure actuelle, c’est l’affaire DSK. Je l’ai déjà dit dans le texte juste avant, mais c’est incroyable que des organisations féministes aient été les seuls à trouver des choses malignes à dire à ce sujet. Je crois que ce qu’on a vu à cette occasion, c’est qu’au mieux, le patriarcat et tout ce qui va avec (les violences conjugales, les viols, …) était perçu comme une question secondaire. La vraie politique, c’est les insurrections arabes, la crise et les déclarations de Sarkozy.

Comprendre le patriarcat et son fonctionnement, connaître l’histoire des luttes féministes et pouvoir causer autour de ça en tant que garçon, c’est aussi essentiel politiquement que d’avoir lu des choses sur les émeutes de 2008 en Grèce. En comprenant le fonctionnement quotidien du rapport de domination qu’est le patriarcat, on devient aussi plus malin pour comprendre le capitalisme et ses ramifications et lutter contre. On se fait de nouvelles et nouveaux allié-e-s, on découvre des perspectives qu’on avait pas avant. Il n’y a pas, d’un côté l’anticapitalisme et la lutte contre l’Empire, et de l’autre la lutte antipatriarcale. C’est le même monde contre lequel on lutte dans les deux cas, et les deux luttes doivent se nourrir mutuellement sinon elles crèveront les deux.

C’est une des choses qui me met particulièrement en colère dans les textes affiliés à Tiqqun. Cette volonté de prendre de haut la question du genre, de refuser de parler d’une manière ou d’une autre le langage du féminisme, et d’en faire une sorte de critique surplombante comme si c’était pittoresque, certes, mais pas vraiment sérieux. On retrouve aussi cette attitude chez des vieux marxistes fossilisés qui se disent que si Marx n’en a pas beaucoup parlé, c’est que ça ne doit pas être intéressant. D’une certaine manière, c’est ce qui est irritant chez Pierre Bourdieu, dans La domination masculine: il réussit le tour de force de parler du genre et du féminisme comme d’une extension de sa théorie, comme un terrain de plus sur lequel appliquer son savoir déjà existant. Comme si rien, dans la problématique des genres et le mouvement féministe en tant que tel, ne pouvait remettre quoi que ce soit en cause dans sa propre théorie. Il savait déjà tout sur le patriarcat avant même de s’y intéresser, c’est fou, non ?

Je me dis que ce qu’on peut faire en tant que garçon, c’est justement se laisser changer politiquement par le féminisme, s’en nourrir, le prendre au sérieux, en tirer des conclusions théoriques et pratiques nouvelles. Ne pas se dire qu’on sait déjà tout ce qu’il y a en tirer avant même de l’avoir abordé. De nos jours, je ne vois plus de séparations fortes entre ma grille d’analyse « anticapitaliste » et ma grille d’analyse « antipatriarcale« . Il y a de l’antipatriarcat dans mon anticapitalisme et inversement. La lutte contre le patriarcat n’est pas une option, un truc qui fait de nous quelqu’un de bien. C’est une nécessité si on veut réellement transformer ce monde.

En résumé, j’ai l’impression que ce qu’on peut faire en tant que garçon, c’est aider à créer un climat où parler de genre et de patriarcat soit une évidence commune, et pas une lubie de féministe, où c’est pas une nana qui doit forcément poser la question de la conséquence pour les femmes de telle ou telle mesure, ou de telle ou telle lutte. En fait, j’ai l’impression qu’en tant que garçon, on peut apprendre. Mieux encore, on peut utiliser ce qu’on apprend pour explorer de nouveaux terrains et de nouvelles luttes. Le travail antipatriarcal, c’est un travail politique nécessaire (nécessaire à titre collectif hein, ça ne veut pas dire que tout le monde doit bosser tout le temps sur les questions de genre). Mais, en tant que garçon, il faut, au moins, qu’on aie en tête le fait que tant qu’on a pas intégré le genre à nos grilles de lectures, elles sont profondément incomplètes, et on fait des erreurs politiques. Les erreurs, c’est pas grave, on en fait tou-te-s (surtout moi, cela dit), mais ça indique qu’il y a du boulot à faire.

En fait, je trouve que la question de fond là-dedans, c’est de savoir pourquoi on lutte contre le patriarcat (peut-être même pourquoi on lutte en général, d’ailleurs): je ne lutte pas par humanisme, parce que je suis gentil ou parce que je veux sauver des pauvres victimes sans défense. Je lutte contre le patriarcat parce que je veux transformer radicalement ce monde, et que ça passe par le fait de construire des solidarités et des luttes communes. Sans solidarité, on ne changera jamais rien à rien, et soutenir la lutte féministe est une nécessité pour construire des solidarités avec des femmes. D’une certaine manière, la lutte antipatriarcale n’est pas ma lutte, mais elle est néanmoins complètement indispensable pour que ma lutte soit victorieuse. C’est un sacré jeu de funambule, mais j’ai l’impression que la solidarité, c’est toujours un sacré jeu de funambule 🙂

[mise à jour (02/11/11)] Par l’intermédiaire de rezo.net, un autre texte sur le sujet, infiniment plus universitaire, mais assez proche, je dirais: Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ? Plein de références utiles.


Classe, race et genre, ou l’affaire DSK

Posted: août 29th, 2011 | Author: | Filed under: Genre, patriarcat | 4 Comments »

Ça doit être un grand classique. On croit qu’on peut être choqué-e et surpris-e par rien, et on se retrouve tout indigné-e et tout scandalisé-e par un truc qu’on a même pas vu venir. En ce moment pour moi, c’est l’affaire DSK. Le racisme de la société française (et américaine) je connais, son sexisme aussi, ses fonctionnements de classe itou. Sauf que non, là, ça m’a pété en pleine tronche.

Histoire de mettre les choses au clair dès le départ: je suis sûr que notre cher Dominique a violé Nafissatou Dialo (la femme de chambre en question). Une relation sexuelle violente (avérée dans le rapport légiste juste après l’agression), de moins de dix minutes entre un homme et une femme ne se connaissant pas, sur le lieu de travail de la femme en question, pendant les heures de travail, c’est un viol, point barre. Dire le contraire, c’est à peu près aussi sensé que de dire qu’un mec qui entrerait dans une boulangerie avec un couteau en réclamant du fric, ça ne serait pas un braquage, parce que peut-être l’employé-e aurait pu lui donner librement un partie de son porte-monnaie en le prenant en pitié (« on peut pas être sûr-e, hein« ). Si, en plus, on ajoute le passé de DSK et l’asymétrie incroyable des positions de pouvoir des deux personnes en question, ne pas croire au viol, c’est à peu près comme croire aux licornes.

Ah si, il reste la possibilité d’un complot inter-planétaire vraiment méchant pour discréditer DSK. Hypothèse qui se base sur l’importance supposée de DSK pour le destin de la France, voire même de la planète entière. Comme si le résultat des élections en France était vraiment déterminé par qui se présente au nom du PS. Comme si la politique du FMI était vraiment déterminée par sa présidence. Depuis l’élection d’Obama, au cas où on avait des doutes, on a bien vu que la présence d’un type ou d’un autre aux postes de pouvoir ne change pas grand choses aux grandes décisions. Et là, on parle d’Obama, le président des USA. Alors, dans le cas DSK, je ne crois pas que quiconque ai pu croire influencer solidement quoi que ce soit en se débarrassant de ce type. A part les médias français, en vrai, DSK importe peu à peu de gens.

D’autant plus que la forme du soi-disant complot semble très très foireuse. Les pros des coups tordus ont toujours utilisé d’autres méthodes: le FBI des années 70 et son programme COINTELPRO de destructions des « organisations subversives » a toujours plus tapé dans les histoires de drogues et les fausses rumeurs propagées pour diviser les gens, du genre « untel a dit ça sur toi, j’te jure » (bon, il y a aussi eu divers assassinats, mais dans le cas de DSK, ça semble inapplicable). Citer ne serait-ce qu’une seule figure publique qui aurait eu à se retirer d’une position politique à cause d’une affaire de viol montée de toute pièce est à peu près impossible (je dis à peu près parce que je ne suis pas omniscient). Cette histoire de fausse accusation pour viol est surtout un cliché cinématographique, une variation autour de la représentation profondément sexiste de la femme fatale.

Alors oui, je crois qu’il l’a violé, mais ce qui est dingue à mon sens, c’est ce qui n’a pas été dit autour de cette histoire, les grilles de lecture qui n’ont pas été utilisées, pas mobilisées, pas approfondie, alors que cette affaire s’y prête tellement.

Le premier truc qu’on oublie très vite et dont on ne parle pas, c’est que Mlle Dialo travaillait. Quand tout ça est arrivé, elle était au boulot. Son boulot, c’est un de ces nombreux travail de service qui sont essentiellement effectués par des femmes, boulots plutôt mal payés, précaires et éprouvants. Pour moi, ça amène des questions. Tiens, par exemple, est-ce que les femmes de chambre font beaucoup face à ça, les viols et les agressions sexuelles ? Se sentent-elles en sécurité dans leur boulot ? Sont-elles soutenues par leur direction en cas d’agressions ? On parle quand même d’une femme violée sur son lieu de travail dans un travail qui, par nature, suppose d’être au contact de client-e-s, essentiellement des clients d’ailleurs dans ce genre d’hôtel. Dans quelle mesure cette agression n’est-elle pas liée à son travail, et donc ne devrait pas déboucher sur une indemnisation spécifique ? Quand un ouvrier tombe de plusieurs mètres dans un chantier de construction, c’est considéré comme ayant un lien avec son travail. Là non. On ne parle pas de Nafissatou en tant que travailleuse.

Il y a pourtant des questions politiques passionnantes: pourquoi ces boulots-là sont-ils essentiellement féminisés, et dans quelle mesure ça contribue encore à placer des femmes dans des situations où elles peuvent facilement être agressées ? Au-delà de la question des agressions, comment se vivent ces rapports de genre au quotidien dans ce genre de boulot ?  Personne dans les médias, dans les syndicats ou dans les orgas de gauche n’a vu cette affaire comme une occasion de parler des conditions de travail dans les métiers de ce genre, de parler de leur féminisation, de la non-reconnaissance d’une réelle qualification, du fait que ce type de salariat est un laboratoire des pratiques patronales les plus crades … En somme, il y a plein de questions fondamentales liées au travail et au salariat à aborder, mais on en fait une « affaire de moeurs ». Comme si il n’y avait pas de questions de classe derrière tout ça.

Plutôt que de parler de ça,  cette affaire a automatiquement été placée sous le signe de la « vie privée ». Du point de vue de DSK, ça a peut-être vaguement un sens. Mais du point de vue de Mlle Dialo, ça n’en a aucun. Elle était sur son lieu de travail, personne de son entourage n’a été impliqué: en quoi ce viol relève-t’il de la sphère privée pour elle ?  Vu que ça implique du sexe, c’est forcément une « histoire privée », n’est-ce pas ? Et, en fait, vu que toute interaction entre un homme et une femme est vue sous une dimension sexuée, et bien tout ce qui se passe entre un homme et une femme, c’est de l’ordre de la « vie privée ». Simple non ? Derrière tout ça, une bonne vieille séparation sexiste: public pour les hommes, privé pour les femmes. Même au boulot, même dans la rue, une femme, quelque part, il ne lui arrive que des trucs privés. Si un client me fout un poing dans la gueule au boulot, les gens ne vont pas se demander « ce qui peut bien s’être passé entre nous » avant d’intervenir. Mais pour une femme, apparemment, ça fonctionne comme ça.

Et c’est le statut auquel Nafissatou a eu droit: « une femme« . Ce déni de la dimension de classe que j’ai mentionné tout à l’heure, il fonctionne pour cette raison. Parce que, fondamentalement, elle ne restait qu’une femme, sans attributs très précis. Automatiquement, sa défense était une question de femmes, une question uniquement et strictement féministe. D’ailleurs, il n’y a (là encore, à ma connaissance), que des organisations féministes (et des femmes) qui ont dit des trucs futés sur la question en France.

Tiens, elle a menti pour obtenir son entrée aux USA. Qu’est-ce que ça veut dire de nos politiques migratoires quand des gens sont obligé-e-s tous les jours de mentir pour réussir à s’installer et travailler dans nos pays ? On ne peut pas dire que Mlle Dialo se soit avérée être une dangereuse terroriste, et pourtant, elle ne serait jamais rentrée sans mentir. Vu les débats qu’il y a en France autour de la question des migrations, on aurait pû relier tout ça, se rendre compte que c’est la même logique qui la place dans une situation à priori illégale là-bas comme ici, et qui se retourne à posteriori contre elle quand elle doit faire face à la justice. Parce que le mieux, pour ne jamais mentir, c’est de ne jamais avoir à le faire, et ce privilège, les personnes migrant-e-s ne l’ont pas. Beaucoup de foin a aussi été fait autour du fait qu’elle a appelé un détenu pour lui parler de l’affaire. Paff, détenu = vilain criminel = horrible racket pour extorquer des thunes à DSK. Sauf que Mlle Dialo est noire, et une quantité absolument astronomique de la population noire américaine passe à un moment ou à un autre par la prison (à un instant t, les noir-e-s représentent 40% de la population carcérale des USA). Donc elle avait des chances, en voulant parler à un proche, de se retrouver à appeller un-e taulard-e. C’est comme ça, et ne pas tenir compte de cet état de fait, c’est ne pas tenir compte de la situation de Nafissatou.

Ce que j’essaie de dire, c’est que tout est là dans ce viol: la classe, le genre, la race. Tout contribue à faire de Mlle Dialo une mauvaise victime, une victime pas assez propre sur elle, pas assez parfaite. En fait, quand je dis que tout contribue, je parle des structures de domination, chacune travaillant de manière complémentaire aux autres pour empêcher la parole. L’articulation des dominations, elle est concrètement à l’oeuvre dans ce viol et dans la manière dont il a été nié: de chaque point de vue, Nafissatou était soit trop, soit pas assez. Elle ne correspondait pas à la victime stéréotypée de viol que nos sociétés sont à peine prêtes à reconnaître du bout des lèvres, alors elle n’avait aucune chance. Le truc, c’est que pour vraiment faire le procès de DSK, dans cette situation, il faudrait faire le procès de toute notre société contemporaine, celle qui envoie les immigré-e-s en taule pour ensuite les forcer à se contenter de miettes, qui prétend « émanciper les femmes » en Afghanistan tout plaçant les femmes migrant-e-s dans des situation intenables et horrible, celle qui est tellement « féministe » que les femmes y font en majorité (quand elles travaillent) des travails précaires et éprouvants les plaçant régulièrement en danger, celle qui réorganise toute la structure du travail pour empêcher les travailleureuses de se défendre matériellement sur leur lieu de travail.

L’articulation des dominations elle est là, dans le fait que derrière chaque viol, la race et la classe ne sont jamais loin. Que le racisme se mélange constamment au sexisme. Que la réorganisation du marché du travail se fait selon des lignes de genre et de race. Le fait qu’il n’y ait eu que des organisations féministes pour porter une parole censée dans cette affaire, c’est un échec. C’est un échec parce que ça vaut dire que les questions de genre sont toujours considérées comme des « question de nana », mais c’est aussi un échec parce que ça veut dire qu’on ne voit pas que toutes ces questions sont liées, que les question ne sont jamais que des questions de genre. Tout comme les questions de classe ne sont jamais que des questions de classe. Qu’on ne voit pas que la réalité dans laquelle on vit est, très concrètement, au quotidien, à la fois patriarcal, raciste et capitaliste, ce qui veut dire que pour analyser et intervenir politiquement sur une situation, il faut intégrer les trois grilles de lecture.

Pour moi, cette affaire DSK, ce viol, ça veut dire qu’on a du boulot, beaucoup de boulot.

[mise à jour (29/08/11)] Entre temps, j’ai découvert par l’intermédiaire de la très chouette Mademoiselle qu’un bouquin allait être publié chez Syllepse à ce sujet: Un troussage de domestique (d’après la délicieuse petite phrase de Jean-François Kahn au sujet de ce viol). Vu que c’est Christine Delphy qui coordonne le bouquin, ça donne confiance. J’en parlerais probablement ici dès qu’il sort.

[mise à jour (13/09/11)] Un troussage de domestique est très bien, mangez-en ! Enfin, plutôt lisez le. Attention quand même à savoir si vous avez l’estomac d’humeur à entendre des saloperies sexistes, racistes et classistes. Même démolies sur un ton offensif, ça peut déprimer à force. En tout cas, pour une compilation de texte, j’ai rien trouvé qui ne m’aie pas intéressé et apporté un nouveau regard sur l’affaire. Voilà. L’introduction a été mise en ligne ici.

[mise à jour (06/10/11)]] Même si elle ne parle pas de licornes (et c’est bien dommage), Mademoiselle résume les hypothèses autour de « ce qui a bien pu se passer dans la chambre du Sofitel » de son habituelle manière acide et efficace: La thèse d’Ivan Levaï (et des autres).


Pendant ce temps, en Israël …

Posted: juillet 28th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 2 Comments »

Ces temps-ci, il y a une actualité très riche concernant le Moyen-Orient en général, et la situation en Palestine en particulier. Moi comme beaucoup d’autres, je me suis retrouvé à parler des révoltes arabes, des derniers développement autour de la reconnaissance d’un état palestinien, de la réconciliation Fatah-Hamas, … on avait pas vu autant de transformations et d’évènements dans la région depuis longtemps.

Mais on ne parle pas d’Israël. Enfin si, on parle du gouvernement israélien qui essaie de vendre ses salades comme d’habitude, de l’insondable relation entre Israël et les USA et d’autres sujets géopolitique du genre. Mais on ne parle pas de la société israélienne, de l’atmosphère quotidienne en Israël pendant qu’on dissèque la mythique « rue arabe« . Pourtant, la société israélienne est sacrément ballottée en ce moment, peut-être bien de la manière la plus intense depuis l’invasion du Liban, au début des années 80.

Depuis quelques années, Israël connaît un virage à droite complètement délirant. Le gouvernement actuel repose en grande partie sur des partis extrémistes religieux et sur l’extrême-droite laïque et ultra-nationaliste d’Avigdor Liberman (un type avenant qui a pu déclarer qu’on « ferait mieux de noyer [des prisonniers palestiniens] dans la mer Morte »). Ce qui permet de se rendre compte de l’ampleur de l’échec de la gauche juive israélienne, c’est que le Parti Travailliste, bon vieux parti social-démocrate (profondément sioniste, mais social-démocrate quand même), qui a gouverné quasiment tout seul le pays pendant quatre décennies a choisi de rejoindre ce gouvernement histoire de grappiller quelques postes. Réunis, les votes de l’extrême-droite religieuse ont été supérieurs à ceux du parti travailliste.

En fait, Israël fonctionne en ce moment comme une caricature de tous les pays occidentaux: ces dernières années, la droite la plus raciste a réussi à y dominer la parole politique et à imposer son langage et ses thématiques. Toute la scène politique se sent obligée de se positionner sur les lubies de l’extrême-droite. Et l’extrême-droite israélienne ferait passer Marine Le Pen pour une gentille conservatrice un peu molle.

Pendant quelques années, les délires verbaux et les projets cinglés de cette extrême-droite ont surtout visé les palestinien-ne-s, à l’extérieur comme à l’intérieur d’Israël. Liberman est, là encore, un bon exemple. En 2006, il a qualifié des élus arabes du parlement israélien qui rencontraient le Hamas de « collaborateurs »: « la Seconde Guerre Mondiale s’est achevée avec les procès de Nuremberg. Les dirigeants du régime nazi et leurs collaborateurs ont été exécutés. J’espère que les collaborateurs [au sein du parlement israélien] connaîtront le même sort ». Tant que ces délires visaient les palestinien-ne-s, la gauche israélienne a très peu réagi: quand Haneen Zoabi, une élue arabe à la Knesset (l’assemblée nationale israélienne) a été agressée par des députés de droite dans l’enceinte du parlement après sa participation à la flottille pour Gaza de 2009, la gauche israélienne n’a (presque) rien dit (les vidéos, uniquement sous-titrées en anglais, sont éclairantes: les seuls députés la soutenant sont ses camarades du Balad, parti d’extrême-gauche arabe israélien).

Mais plus le temps passe, plus les menaces se rapprochent de la gauche juive israélienne. Au mois de juillet, l’extrême-droite a réussi à faire permettant aux colons de faire un procès à toute personne appelant au boycott des produits des colonies israéliennes. Il s’agit d’une attaque politique directe: en réaction à la campagne palestinienne BDS, une partie de la gauche juive israélienne a commencé à s’impliquer dans un boycott plus modéré, un boycott des produits venant des colonies; avec cette nouvelle loi, tout appel à boycotter les produits des colonies devient illégal. L’extrême-droite a immédiatement voulu exploiter sa victoire en demandant à la Knesset de mandater une commission parlementaire d’enquête sur des associations et ONGs israéliennes qui seraient soupçonné-e-s de participer à des boycotts. La demande de commission a été repoussée sous le regard embarrassé de Netanyahou, qui se retrouvait coincé entre deux alliés, mais l’offensive de droite va très clairement reprendre bientôt.

Dans ce contexte de fascisation globale de la politique israélienne, la question palestinienne paralyse complètement la gauche juive israélienne. Toutes les érosions de la démocratie libérale israélienne ont commencé à être expérimentées sur les palestinien-ne-s, que ce soit dans les Territoires Occupés ou à l’intérieur d’Israël. Mais maintenant, ce durcissement commence à toucher la société juive israélienne, et la gauche juive se retrouvé coincé: dénoncer maintenant le processus de répression est compliqué quand on en a accepté les principes et les justifications tant que ça concernait les palestinien-ne-s. Vu que cette gauche juive a accepté le chantage à la « sécurité » et à la « défense de l’intérêt national », elle est à court d’argument pour contester cette logique maintenant qu’elle s’approfondit. Quelques mois avant la loi interdisant l’appel au boycott, une autre loi votée par la Knesset a interdit aux associations subventionnées d’une manière ou d’une autre de parler de la Nakba (l’expulsion massive et par la violence des palestinien-ne-s durant la fondation de l’état d’Israël en 1948). L’argument invoqué est que l’évocation de la Nakba débouche sur la remise en cause de l’état d’Israël et/ou de son caractère « juif et démocratique ». La gauche juive israélienne ne s’est pas élevée contre cette loi. Le même argument lui est revenu comme un boomerang au moment du vote sur la loi contre le boycott des colonies: les colonies font partie intégrante de l’état d’Israël, et les remettre en cause, c’est s’en prendre à la fois à l’intérêt national d’Israël et à ses citoyens.

Le problème est très profond, puisqu’il vient directement de l’idéologie fondatrice de l’état d’Israël. Malgré le fait que la plupart des dirigeants fondateurs d’Israël étaient des juifs non-pratiquants, la construction nationale d’Israël s’est faite sur des bases profondément religieuses (malgré un ton un peu irritant, le bouquin de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, explique tout ça très bien). Toute l’idée du peuple en exil revenant vers la Terre Sainte qui lui a été promise et qui lui est destinée est une idée fondamentalement religieuse. L’état israélien a exploité cette idée parce qu’elle était profondément ancrée dans l’imaginaire juif de l’époque, et qu’elle pouvait exercer une influence profonde. Israël a eu, comme tous les états, besoin d’un mythe fondateur au moment de sa création, et a utilisé un mythe religieux. Ce mythe a fonctionné efficacement pendant de nombreuses années, permettant de cimenter la société juive israélienne, mais paralyse maintenant toute lutte de la gauche juive israélienne contre les colons et la droite religieuse. Les colons, après tout, ne font que s’installer sur le territoire qui revient de droit aux juifs, illes ne font que repeupler la Terre Promise. Si s’approprier les trois-quarts de la Palestine était juste en 1948 (au nom du droit du peuple juif sur sa terre ancestrale), pourquoi en grignoter encore quelques pour-cents serait injuste ? La droite et l’extrême-droite religieuse israélienne a bien conscience du rôle fondamental de la religion juive dans l’identité nationale israélienne. Elle se sert efficacement de cette importance pour présenter toute attaque contre elle comme une attaque contre la nation israélienne.

Tant qu’Israël avait le vent en poupe, des intérêts laïques et religieux contradictoires pouvaient cohabiter (c’est le fameux statu-quo négocié entre Ben Gourion et les leaders religieux en 1948). Maintenant que la situation mondiale est plus difficile, qu’Israël, comme le reste du monde, est pris dans la crise capitaliste, que l’occupation des territoires palestiniens devient de plus en plus coûteuse moralement et économiquement (si vous lisez l’anglais, cherchez le formidable bouquin d’un chercheur israélien, Shir Hever, sur les conséquences économiques de l’occupation), les tensions présentes dès l’origine d’Israël sont prêtes à éclater. Derrière les conflits de plus en plus intenses entre israéliens religieux et israéliens non-pratiquants, c’est la question de l’identité d’Israël qui est en jeu. L’occupation actuelle des palestinien-ne-s ne peut être maintenue qu’en conservant l’identité israélienne actuelle, profondément sioniste et religieuse, et tant que ce fondement identitaire d’Israël perdurera, la gauche juive sera impuissante face aux colons et aux orthodoxes.

C’est dans ce contexte que les tensions au sein de la société israélienne ne font qu’augmenter: Jérusalem est un terrain d’affrontement politique régulier entre orthodoxes et laïques autour de l’application ou non du Shabbat, et la police a dû intervenir plusieurs fois pour empêcher des juifs orthodoxes d’agresser des voitures circulant près de leurs quartiers le samedi. Même l’armée israélienne (qui n’a jamais été un bastion de générosité) commence à s’inquiéter des propos de certains rabbins d’extrême-droite légitimant le fait de tuer les non-juifs, et la dispense de service militaire massive accordée aux « étudiant-e-s » religieux (qui commencent à représenter plus de 10% de la population) est vue comme de plus en plus injuste. Les juifs orthodoxes représentent un coût de plus en plus grand (notamment en avantages sociaux) pour la société israélienne, et beaucoup de juifs non-pratiquants commencent à trouver ce coût excessif dans la situation actuelle. Une enième loi instaurant un mariage civil et non religieux vient une nouvelle fois d’être rejetée à la Knesset. Globalement, il y a une polarisation de plus en plus grande de la société israélienne: de plus en plus de juifs orthodoxes, et une fracture de plus en plus grande entre pratiquant-e-s et non-pratiquant-e-s.

Il y a donc un équilibre de forces qui bouscule en ce moment dans la société israélienne, entre le poids de plus en plus grand de l’occupation sur la société, la crise économique mondiale qui remet en cause la position économique d’Israël dans le monde, et les tensions croissantes entre orthodoxes et non-pratiquant-e-s. Je pense que le noeud qui se forme en ce moment dans la société israélienne ne pourra pas se dénouer sans des changements profonds dans l’identité de l’état d’Israël, ce qui va induire des changements profonds sur le rapport d’Israël aux palestinien-ne-s. L’élite politique actuelle est profondément liée au complexe financier, sécuritaire et militaire qui bénéficie de l’occupation, mais se retrouve en conflit avec les ultra-religieux (et les ultra-nationalistes qui leur sont liés) qui veulent pousser l’occupation à s’intensifier d’une manière intenable (quand on est au gouvernement, il faut tenir compte de deux/trois petites contraintes matérielles). Les non-pratiquant-e-s juives, elles, voient de plus en plus de leurs revenus passer dans le financement de l’occupation. En plus de ça, les colons religieux poussant à intensifier cette occupation sont aussi les mêmes qui cherchent à avoir une emprise de plus en plus grande sur leurs concitoyen-ne-s non-pratiquant-e-s.

Face à ça, Lieberman incarne une des possibilités de réaction: une droite non-religieuse, mais profondément fasciste et raciste, qui veut à tout prix se débarrasser des palestinien-ne-s dans l’espoir que se débarrasser d’elleux résoudra les problèmes d’Israël. Cette droite prend plus en plus de pouvoir, mais je pense qu’à long terme, elle va devoir faire face au fait que, sans justification religieuse, l’oppression nue et cynique des palestinien-ne-s ne réussira pas à fédérer la population israélienne. Abandonner le versant religieux d’Israël, c’est abandonner le mythe du Grande Israël, et c’est renoncer à plus ou moins long terme à l’occupation, étant donné que l’occupation perdra toute justification. La place de la religion dans la société israélienne est trop importante pour beaucoup de monde en Israël, mais sans projet religieux, quelle identité israélienne ? La seule porte de sortie de cette extrême-droite serait l’expulsion définitive des palestinien-ne-s, une tentative de purifier, de faire disparaître les problèmes, mais ce projet est complètement irréalisable dans l’état actuel des choses.

Y’a-t’il d’autres possibilités de transformation ? Ou plutôt, un mouvement en Israël peut-il empêcher que ce glissement à droite n’en finisse plus ? Peut-être. En ce moment, des luttes sur la question du logement éclatent un peu partout en Israël (des campements des tentes et des manifs, à la manière des Indigné-e-s ailleurs en Europe). Un peu comme chez nous, derrière le logement, il y a la question du néolibéralisme, de la crise financière, … A priori, rien à voir avec l’identité israélienne ou la religion. Sauf que l’essentiel (93 %) des terres israéliennes sont contrôlées par l’état, qui les utilise au compte-goutte. Soulever la question de qui utilise les terres et qui en est propriétaire, pour quelle raison, c’est aller chercher le cadavre caché dans le placard de l’état. Depuis les débuts d’Israël, la gestion du territoires et des terres est une question politique fondamentale, et la politique à ce sujet est menée avec une grande discrétion. Dans un état avec une société aussi fragmentée et conflictuelle, la question de qui peut et doit habiter dans quelle quartier est toujours hautement complexe, que ce soit à Jérusalem, dans une colonie de Cisjordanie ou dans le nord d’Israël. Comment maintenir les équilibres démographiques entre palestinien-ne-s et juif/ve-s (surtout à Jérusalem, mais la question se pose ailleurs) ? Comment préserver le caractère orthodoxe ou non de tel ou tel quartier ? Comment décider d’agrandir ou non telle colonie en fonction de la situation diplomatique ?

Ce mouvement sur la question du logement commence à grandir (le syndical officiel vient d’appeler à rejoindre le mouvement et à une grève générale le 1er août). Je pense que s’il veut aller suffisamment loin dans ses revendications, il va devoir se confronter aux problèmes de la société israélienne, et soulever les question identitaires et, avec elles, la question de la Palestine et des palestinien-ne-s. Je ne sais pas si, actuellement en Israël, des alliances sociales suffisamment fortes peuvent se forger pour articuler un nouveau cadre politique et une nouvelle identité qui peut mettre fin au sionisme dominant. Mais c’est ce qui sera nécessaire pour vraiment obtenir quelque chose face à la droite israélienne qui est à l’affût. La gauche juive n’a jamais réussi à faire un travail de remise en cause des fondements sionistes de l’état d’Israël, et elle a toujours été paralysée par ça. Des futurs mouvements sociaux israélien peuvent-ils dépasser ce cadre ? En tout cas, ils n’obtiendrons quasiment rien sans dépasser ce cadre, et sans se confronter à la base raciste de la société israélienne. D’une manière ou d’une autre, l’identité israélienne actuelle devient de plus en plus problématique, et faire reconnaître à la terre entière le « caractère juif et démocratique » de l’état n’y changera rien. En Israël, la question sociale est profondément imbriquée à la question de l’identité nationale, et derrière tout ça, ce qui est en jeu, c’est la Palestine.

[mise à jour (07/09/11)] Plusieurs partis, syndicats et organisations palestiniennes et israéliennes viennent de s’associer dans une déclaration liant la question de l’occupation et de la colonisation de la Palestine aux luttes sociales en cours en Israël, juste après un week-end de grosses manifs (à peu près 500 000 personnes, d’après les médias) là-bas. Il y a une traduction en français.


Lettre de Téhéran

Posted: juillet 13th, 2011 | Author: | Filed under: Traduction(s) | 2 Comments »

« […] il ne suffit pas, pour qu’un mouvement soit féministe, que de nombreuses femmes y participent« 

Comme je l’avais dit dans mon précédent texte, je traduit ici un texte sur des féministes iraniennes. Le texte vient, encore une fois, de Jadaliyya. C’est un compte-rendu d’une discussion avec trois féministes iraniennes. La discussion est menée par Manijeh Nasrabadi, une autre féministe iranienne, membre du collectif Raha (vous pouvez voir leurs autres contributions sur jadaliyya). Au passage, ce collectif pointe vers de nombreuses ressources sur l’Iran. La plupart des ressources sont en anglais, mais il y a un intéressant documentaire en français sur les femmes dans la révolution iranienne de 1979 (qui s’appelle Mouvement de libération des femmes iraniennes, année zéro, en référence à l’autre année zéro).

Voilà, donc, le texte traduit. Encore une fois, toute maladresse de style dans le texte est probablement de mon fait 🙂

 

Lettre de Téhéran

Le 12 juin 2010, premier anniversaire tendu du soulèvement post-électoral qui a fait du vert le symbole international des aspirations démocratiques d’un peuple, des centaines de membres des forces spéciales de sécurité étaient coude à coude sur les grands boulevards et les grandes places de Téhéran, matraques, couteaux et radios prêts à l’usage. La foule du soir entre la place de l’Imam et la place de la Révolution dépassait néanmoins largement le nombre habituel de banlieusard-e-s rentrant du travail: familles, ami-e-s et collègues étaient en train de manifester sans pancartes ni slogans, ni aucun élément vert visible. « Mon sac était plein de ballons verts qu’on pensait, ma soeur et moi, lâcher au-dessus de la foule« , dit une femme au foyer roulant lentement, klaxonnant son opposition au gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad. « Mais quand on a vu les forces de sécurité, on a pas osé« .

Le face-à-face décrit ci-dessus révèle tout à la fois la profondeur de la dissension présente dans cette société, et la facilité avec laquelle on pourrait tirer des conclusions pessimistes sur les possibilités d’un changement positif en Iran. A ce tournant de l’histoire iranienne, quand le fossé entre le mécontentement populaire et la capacité de l’opposition à réformer menace d’engouffrer ce qui reste de la dynamique de la révolution verte, le vécu des féministes iraniennes, forcées depuis longtemps de s’organiser dans un contexte de crise et de répression, peut offrir une perspective indispensable sur le chemin à suivre pour sortir de cette impasse.

En effet, pour les féministes iraniennes, le 12 juin (le 22 de Khordad dans le calendrier iranien) fait référence à une tradition de résistance plus ancienne mais moins connue. Le 12 juin est aussi l’anniversaire d’un moment fondateur du mouvement iranien des femmes quand, il y a quatre ans, des militant-e-s qui protestaient contre les discriminations genrées sur la place Haft-e Tir de Téhéran ont été tabassé-e-s par la police. Plus de cinquante personnes ont été arrêté-e-s ce jour là, mais la Campagne du Million de Signatures a été lancée à la suite de cet événement, et cette campagne a réussi à développer un réseau de militant-e-s dans de nombreuses villes du pays malgré l’impact de la répression gouvernementale. A l’aide d’ateliers, de pétitions et de discussions sur la voie publique, mais aussi dans des lieux privés,  elle a rassemblé de plus en plus de soutien autour du changement des dix lois essentielles faisant des femmes des citoyennes de seconde zone dans la société iranienne, notamment les lois régissant le divorce, la garde des enfants et l’héritage.

Pour ce double anniversaire, j’ai parlé avec Delaram, Homa et Nahid, des militantes expérimentées de la Campagne à Téhéran, pour leur demander leurs impressions sur les années turbulentes qui venaient de s’écouler, sur les rapports entre le mouvement féministe et le mouvement vert plus global, et leurs perspectives de lutte pour l’égalité des genres dans le contexte répressif actuel. Loin d’être une entité homogène, la Campagne a été un espace de vigoureux débats sur les questions stratégiques et tactiques, notamment sur la question de la position à adopter durant les dernières élections. Chacune des femmes à qui j’ai parlé a une approche différente sur le sujet. « Nous avons subi une telle répression par le passé que ce n’était pas simple de savoir si nous devions ne serait-ce que participer aux élections de l’année dernière« , me dit Delaram, qui a passé plusieurs jours en prison après les manifestations d’il y a quatre ans. Une condamnation à deux ans et dix mois de prison ainsi qu’à dix coups de fouet, que le gouvernement peut décider de faire exécuter à tout moment, pèse toujours sur elle pour son rôle dans les manifestations contre les lois discriminatoires. Les ateliers de la Campagne ont été attaqués à de nombreuses reprises ces quatre dernières années, et certain-e-s de ses membres ont perdu leur travail ou ont été expulsé-e-s de leur école. Ce n’est qu’au soir du premier débat télévisé, pendant les élections présidentielles, quand le soutien au candidat de l’opposition Mir Hussein Moussavi s’est manifesté sous la forme de grandes manifestations de rue peuplées de jeunes portant du vert, que Delaram a réalisé que « l’atmosphère du pays avait changé« . Elle a décidé de voter pour Moussavi parce que sa victoire paraissait possible. « C’était notre révolution, comme si tous les mauvais souvenirs de ces trente dernières années disparaissaient« , conclut-elle.

La plupart des militant-e-s de la Campagne ont, au départ, soutenu Mehdi Karroubi, récoltant de nombreuses signatures au sein de ses supporters. Homa était à l’époque étudiante à l’université de Téhéran, épicentre du mouvement étudiant grandissant de l’époque, et a voté contre le régime et en faveur des nombreuses positions progressistes de Karroubi, notamment pour son soutien aux prisonniers politiques et aux droits des minorités. Nahid, une militante radicale durant la révolution de 1979, a défendu la position la plus impopulaire, le boycott complet des élections. « Je pensais qu’en votant, nous ne ferions que fournir une légitimité à ce gouvernement« , explique-t-elle.

Votantes ou non, et indépendamment de leur choix de candidat, elles ont toutes les trois ressenti le choc et la colère accompagnant les résultats supposés des urnes, rejoignant les millions de personnes qui ont refusé publiquement d’accepter ces résultats. Mais leur propre travail s’est retrouvé freiné, jusqu’à être arrêté, au fur et à mesure que les militant-e-s de la Campagne se lançaient dans la vague des « manifestations vertes ». « Les gens disaient d’oublier la collecte des signature, qu’il fallait descendre dans la rue« , se souvient Delaram. Homa rit et ajoute: « Les gens disaient: ne vous inquiétez si vous êtes condamné-e à une longue peine de prison: ce gouvernement ne tiendra pas plus de deux ans« . La Campagne risquait de devenir inaudible au milieu de personnes montrant l’exemple des manifestations massives pour dire que « Les femmes sont au centre du mouvement et les hommes les suivent. Que voulez-vous de plus ? » explique Delaram. « Mais il ne suffit pas, pour qu’un mouvement soit féministe, que de nombreuses femmes y participent« .

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