Use your widget sidebars in the admin Design tab to change this little blurb here. Add the text widget to the Blurb Sidebar!

Appel à la solidarité avec l’Egypte: défendons la révolution !

Posted: novembre 8th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | Commentaires fermés sur Appel à la solidarité avec l’Egypte: défendons la révolution !

[Ce communiqué a été écrit le 4 novembre 2011 par le Mouvement Contre les Procès Militaires faits au Civils]

Une lettre du Caire aux mouvements d’occupation, de décolonisation et aux autres mouvements de solidarité.

Après trois décennies de quotidien sous une dictature, les égyptien-ne-s ont lancé une révolution réclamant pain, liberté et justice sociale. Après une occupation presque rêvée de la place Tahrir pendant dix-huit jours, nous nous sommes débarrassé-e-s de Moubarak et avons entamé la deuxième, et plus difficile, tâche de démanteler ses instruments de pouvoir. Moubarak n’est plus là, mais le régime militaire se poursuit. Donc la révolution continue, en maintenant la pression, en s’appropriant les rues et en revendiquant le droit à contrôler nos vies et nos moyens d’existence contre des systèmes de répression qui nous ont oppressés pendant des années. Mais à cet instant, alors qu’elle vient à peine de commencer, la révolution est attaquée. Nous écrivons cette lettre pour vous parler de ce à quoi nous assistons, de ce que nous comptons faire pour résister à cette offensive, et pour vous appeler à être solidaires avec nous.

Le 25 et le 28 janvier, le 11 février, vous étiez là lors de ces journées, vous les avez vécu avec nous à la télévision. Mais nous avons dû nous battre le 25 février, le 9 mars, le 9 avril, le 15 mai, le 28 juin, le 23 juillet, le 1er août, le 9 septembre et le 9 octobre. Jour après jour, l’armée nous a attaqué-e-s, frappé-e-s, arrêté-e-s et tué-e-s. Nous avons résisté, nous avons continué. Nous avons parfois perdu, nous avons parfois gagné, mais toutes ces luttes ont eu un prix. Plus d’un millier de personnes ont donné leurs vies pour renverser Moubarak. Beaucoup d’autres sont morts depuis qu’il n’est plus au  pouvoir. Nous continuons la lutte afin que leurs morts n’aient pas été inutiles. Des personnes comme Ali Maher (un manifestant de 15 ans tué par l’armée place Tahrir, le 9 avril), Atef Yehia (abattu d’une balle dans la tête par la police lors d’une manifestation de solidarité avec la Palestine, le 15 mai), Mina Danial (abattue par la police dans une manifestation devant Maspero, le 9 octobre). Mina Daniel a eu, après sa mort, à subir l’affront pervers de se retrouver sur la liste des accusé-e-s lors d’un procès militaire.

Plus encore, depuis que la junte militaire a pris le pouvoir, plus de 12000 d’entre nous ont été poursuivi-e-s par des tribunaux militaires sans avoir le droit de faire citer des témoins et avec un accès très limité à des avocats. Des mineurs sont incarcéré-e-s dans des prisons pour adultes, des condamnations à mort ont été prononcées, la torture est partout. Les manifestantes sont soumises à des « test de virginité » qui sont de réelles agressions sexuelles.

Le 9 octobre, l’armée a massacré vingt-huit d’entre nous devant Maspero: ils nous ont roulé dessus avec des chars et nous ont tiré dessus dans la rue tandis qu’ils utilisaient les médias officiels pour atiser des affrontements inter-confessionnels. Tout ça a été censuré. C’est l’armée qui enquête sur elle-même. Elle attaque systématiquement celles et ceux qui osent parler. Dimanche dernier, notre camarade le blogueur Alaa Abd El-Fattah a été emprisonné à cause d’allégations bidonnées. Ce soir, il va passer une nouvelle nuit dans une cellule sans lumière.

Tout ceci nous vient de l’armée qui est supposée assurer une transition vers la démocratie, qui prétend défendre la révolution, et qui a réussi à faire croire à beaucoup de monde, en Égypte et au-delà, qu’elle défendait effectivement cette révolution. La ligne officielle est celle de la « stabilité » et des promesses sans lendemains, celle qui dit que l’armée essaie simplement de créer un environnement serein pour les élections. Mais même après l’élection du nouveau parlement, nous vivrons toujours sous le joug d’une junte militaire qui contrôle le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, sans aucune garantie que ce régime prenne fin un jour. Celles et ceux qui contestent cette réalité sont harcelé-e-s, arrêté-e-s et torturé-e-s. Les procès militaires faits aux civils sont l’outil principal de cette répression. Les prisons sont pleines des victimes de cette « transition« .

A partir de maintenant, nous refusons de coopérer avec les enquêtes et les procès militaires. Nous ne nous livrerons pas à cette justice, nous ne répondrons pas aux questions qu’elle pourrait nous poser. S’il nous veulent, ils devront venir nous chercher dans nos maisons et dans nos lieux de travail.

Neuf mois depuis le début de cette nouvelle répression militaire, nous nous battons toujours pour notre révolution. Nous manifestons, nous occupons, nous faisons la grève, nous bloquons. Vous aussi, vous manifestez, vous occupez, vous faites la grève et vous bloquez. Avec le déferlement de soutien que nous avons reçu en janvier, nous avons vu que le monde nous regardait attentivement et était inspiré par notre révolution. En janvier, nous nous sommes senti-e-s plus proche de vous que nous ne l’avions jamais été auparavant. Maintenant, c’est à votre tour de nous inspirer, tandis qu’on suit de près vos mouvements. Nous avons manifesté devant l’ambassade américaine du Caire pour protester contre l’expulsion violente de la place Oscar Grant à Oakland. Nos luttes communes sont notre force. S’ils écrasent notre résistance, le 1% gagnera: au Caire, à New York, à Londres, à Rome, partout. Mais tant que la révolution se poursuit, notre imagination n’a aucune limite. Nous pouvons toujours créer un monde qui vaille la peine d’y vivre.

Vous pouvez nous aider à défendre notre révolution.

Le G8, la Banque Mondiale et les états du Golfe veulent accorder au régime 35 milliards de nouveaux crédits. Les Etats-Unis donnent à l’armée égyptienne 1,3 milliards chaque année. Les gouvernements du monde entier prolongent leur alliance passée avec les gouvernants militaires de l’Egypte, et continuent à les soutenir. Les balles qu’ils utilisent pour nous tuer sont fabriquées aux Etats-Unis. Le gaz lacrymogène qui brûle d’Oakland jusqu’en Palestine est fabriqué dans le Wyoming. La première visite de David Cameron à l’Egypte post-révolutionnaire avait pour but de signer un contrat d’armement. Il y a encore beaucoup d’autres exemples de cette coopération. Les vies, les libertés et le futur des peuples ne doivent plus être manipulés pour servir des intérêts stratégiques. Nous devons nous unir contre les gouvernements qui n’ont pas à coeur les intérêts de leurs peuples.

Nous vous appelons à réaliser des actions de solidarité pour nous aider à résister à cette offensive gouvernementale.

Nous proposons de lancer un Journée Internationale pour la Défense de la Révolution Egyptienne le 12 novembre, derrière le mot d’ordre « Défendons la révolution égyptienne, mettons fin aux procès militaires ! »

Des exemples d’évènements qui peuvent être organisés:

  • Des actions ciblant les ambassades et les consulats égyptiens et demandant la libération des prisonniers et des prisonnières condamné-e-s par les tribunaux militaires. Si Alaa est libéré, nous demandons la libération des milliers d’autres prisonniers et prisonnières.
  • Des actions ciblant votre gouvernement afin de le pousser à ne plus soutenir la junte militaire égyptienne.
  • Revendiquer la libération des civils condamné-e-s par les tribunaux militaires. Si Alaa est libéré, des milliers d’autres doivent l’être aussi.
  • Réaliser des documentaires à propos de la répression à laquelle nous faisons face (les procès militaires, le massacre de Maspero, …). Contactez-nous pour des liens.
  • Des conférences vidéos avec des militant-e-s égyptien-ne-s.
  • N’importe quoi qui montre votre soutien, et qui montre aux égyptien-ne-s qu’illes sont soutenu-e-s ailleurs.

Si vous souhaitez organisez ou que vous organisez quelque chose, contactez nous à defendtherevolution at gmail point com.  Nous apprécierons aussi de recevoir photos et vidéos de vos évènements.

La campagne pour mettre fin aux procès militaire des civils
La campagne « Free Alaa« 
Mosireen
Des camarades du Caire

[mise à jour (16/11/11)] Je viens de découvrir que le site Égypte Solidarité a réalisé (à peu près au même moment) une autre traduction du même texte: Pas de procès militaire pour les citoyens – Appel à défendre la révolution égyptienne .  Ce sont des choses qui arrivent, mais c’est toujours frustrant de savoir qu’on a été plusieurs à bosser sur la même chose en même temps 🙂


Sur l’incendie de Charlie Hebdo

Posted: novembre 2nd, 2011 | Author: | Filed under: Infos | Commentaires fermés sur Sur l’incendie de Charlie Hebdo

Acrimed a écrit un article très pertinent sur l’incendie des locaux de Charlie Hebdo: Un cocktail molotov dans la nuit

Et c’est toujours drôle de voir Guéant défendre farouchement la liberté d’expression après avoir fait interdire Copwatch 🙂

[mise à jour (03/11/11)] Crêpe Georgette a un article pas mal sur le sujet aussi: Bonjour Charlieeeeeeeeeeeee


La laïcité et les révolutions arabes sont dans un bateau …

Posted: novembre 2nd, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | Commentaires fermés sur La laïcité et les révolutions arabes sont dans un bateau …

Je trouve que c’est intéressant d’essayer d’imaginer ce qu’on aurait pu dire au sujet du résultat des élections tunisiennes de fin octobre.

Par exemple: « après des années de combat face à la répression de Ben Ali, deux anciens partis illégaux remportent les premières élections après la chute du dictateur« . C’est effectivement un fait marquant: les partis d’opposition reconnus par Ben Ali avant sa chute ont tous obtenus des résultats très faibles. Cette ancienne opposition « officielle », consentie par Ben Ali pour faire plaisir aux « démocraties » occidentales semble donc bien mal partie après la chute du dictateur. Inversement, que Ennahda et le CPR obtiennent une victoire éclatante seulement quelques mois après être sortis de la clandestinité prouve leur ancrage et leur solidité.

Un autre angle, ç’aurait pu être de simplement rappeler que plus de 90% des inscrit-e-s sur les listes électorales sont allé-e-s voter. C’est un chiffre très élevé, absolument impensable dans nos pays à nous.  Peut-être prouve-t’il le niveau de politisation et d’intérêt à l’évolution du pays de la majorité des tunisien-ne-s.

On aurait encore pu parler du programme politique des différents partis en présence. Notamment de leur programme économique, voir comment ils se positionnaient par rapport à la politique néo-libérale qui a été une des causes de la chute de Ben Ali. Dans le contexte où l’Union Européenne essaie d’imposer à la Grèce une politique d’austérité d’une dureté sans précédent, quelle politique économique ont en tête les différents partis tunisiens ? Sachant que cette fameuse crise est partie pour s’approfondir, que pensent-ils faire ?

Au lieu de ça, on a eu droit aux vieux chevaux de batailles de la laïcité et de l’inquiétude face aux « islamistes« .  Les débats sur la « charia » et les « droits de la femme« . Les petites phrases condescendantes sur la « prudence qu’il faut savoir garder » et les « certes, mais … » tellement prévisibles.

Je pourrais ne parler que des médias. Mais ce genre de discours se retrouve un peu partout, même au fin fond de la gauche dite radicale, même chez les anarchistes et autres autonomes. Ce discours m’inquiète terriblement. Il m’inquiète parce que je crois qu’il nous aveugle à des événements politiques passionnants qui se déroulent en ce moment. Il m’inquiète parce que j’ai peur qu’on se retrouve à participer à une contre-offensive réactionnaire qui se déroule en ce moment contre les soulèvements des pays arabes.

Ça fait un bout de temps que je m’interroge sur la laïcité. Sur ce mot qui est devenu incontournable dans les discours politiques en France depuis une dizaine d’années.

L’histoire de ce mot et de cette idée est plutôt intéressante: le mot apparaît pour la première fois aux alentours de la Commune de 1871, qui vote, pendant sa courte vie, la séparation de l’Église et de l’État. La notion de laïcité a toujours été liée en France à la lutte pour la séparation de l’Église et de l’État. Cette lutte était une lutte politique et sociale, il s’agissait pour le mouvement ouvrier et la bourgeoisie républicains de limiter l’influence de l’Église sur la vie politique, et donc d’affaiblir le camp monarchiste et conservateur. La laïcité telle qu’elle s’est créée est le produit d’une alliance de circonstance entre le mouvement ouvrier et la bourgeoisie républicaines face à l’aristocratie et la grande bourgeoisie catholique. Il s’agissait pour la République de s’installer durablement en France en s’appropriant petit à petit beaucoup des fonctions sociales précédentes de l’Église (enregistrement des naissance par l’intermédiaire des baptêmes, mariages, fêtes publiques, …) pour ne lui laisser que l’exercice du culte en lui-même. Le mouvement ouvrier en tirait un affaiblissement des forces conservatrices en France. La laïcité était donc un outil de lutte contre l’Église en tant qu’institution, une manière de l’affaiblir et d’affaiblir les forces réactionnaires qui s’appuyaient sur elle.

La laïcité était une outil au service d’une lutte collective, pas une valeur. Le mot valeur est de plus en plus employé au sujet de la laïcité ces derniers temps. Je vais peut-être fâcher des gens, mais valeur, c’est un mot de droite. Une valeur, ça ne s’interroge pas, ça ne se remet pas en cause, ça n’est pas créé historiquement. C’est là, de tout temps, et ça s’impose à tout le monde. Si Sarkozy nous sort sa rengaine sur la « valeur travail« , c’est bien justement pour empêcher tout interrogation du travail salarié tel qu’il est maintenant, pour empêcher qu’on parle de ses évolutions historiques et de sa contestation. On parle de valeur quand on veut mettre quelque chose sur un piédestal ou derrière une vitrine en verre. On ne fait pas de lutte sociale autour d’une valeur.

A gauche, tout ce discours autour de la laïcité comme une « valeur » repose souvent sur un athéisme militant. Un climat où le fait d’être croyant-e est un défaut, une imperfection, où la politisation, la radicalisation ne peut qu’amener à se débarrasser de ses croyances archaïques. Je crois bien qu’une bonne partie de la gauche (et des radicaux) française voit fondamentalement la religion comme une sorte de maladie qu’on attrape et dont on a un peu honte. Si, à la rigueur, on est croyant-e, on n’en parle pas en public, parce que ça ne se fait pas. A ce niveau, la laïcité permet de justifier cette vision de la religion: la pratique de la religion, c’est quelque chose qu’on veut bien « tolérer« , à la rigueur, tant que ça se fait en privé, discrètement.

Plus radicalement, on retrouve en ce moment une des ambiguïtés historiques de la laïcité à la française. Comme à son habitude, Marine Le Pen a exprimé clairement ce que beaucoup pensent tout bas: que la laïcité serait une sorte de religion de substitution (ce qui la fâche d’ailleurs avec les cathos traditionalistes plus classiques du FN). Comme pendant la révolution de 1789 et son culte de l’Être Suprême, on glisse de la lutte contre l’institution religieuse à la création d’une sorte de culte de remplacement, où Dieu serait remplacé par la République et le Peuple. Une laïcité de croisade, qui se fixe comme objectif d’éliminer toutes les religions de la surface de la terre, de remplacer leurs valeurs par les siennes. Le succès de Sarkozy repose aussi, à mon avis, sur le fait qu’il a parfaitement su parler le langage de ce culte républicain qui a du succès en ce moment. Ségolène Royal essaie aussi de surfer sur cette vague.

Ce discours enfle de plus en plus ces derniers temps. Il y a quelques semaines, on a eu une étude de Gilles Kepel qui mettait en opposition « la République » et « l’Islam« , comme deux ensemble de valeurs qui devaient s’opposer et conquérir des terrains l’un face à l’autre. Le problème des gosses des banlieues, c’est qu’ils sont tourné-e-s vers « l’islam » (perçu comme un bloc monolithique), et pas vers « la république » (perçue comme tout aussi monolithique). Les trucs qu’on entend depuis longtemps sur la nécessité de « sacraliser l’école« , c’est la même logique: il s’agit de « faire assimiler » aux enfants les « valeurs de la République« , comme si « la république » était une vision du monde, et une vision du monde qu’il fallait à tout prix partager pour être un-e vrai-e français-e.

Pourquoi ce discours prend en ce moment ? Parce qu’il permet de rejouer un scénario qui est ancré dans notre histoire, de mettre en scène à nouveau le combat pour la séparation de l’Église et de l’État de la fin du XIXème siècle. A cette époque, la gauche combattait la réaction en se battant pour la laïcité. Donc, à notre époque, se battre pour cette même « laïcité« , c’est forcément être du bon côté, non ? Utiliser ce mot, ça permet de court-circuiter l’histoire, de faire comme si le contexte était le même et d’imposer une certaine lecture de notre réalité contemporaine. Ça permet de disqualifier les discours du camp d’en face: qui peut bien être contre la laïcité, une idée pour laquelle des générations de militant-e-s se sont battu-e-s ? La laïcité, en ce moment, fonctionne comme une puissante arme rhétorique.

Je crois que la laïcité (et sa transformation d’un outil de lutte à une « valeur« ) est en ce moment une des passerelles qui permettent à une rhétorique de droite d’imprégner tous le discours politique, jusqu’au fin fond de la gauche. L’utilisation du langage de la laïcité permet à des bonnes vieilles thèses racistes d’être formulées de manière plus acceptable et permet donc d’étendre le consensus raciste de plus en plus largement. Taper sur les musulman-ne-s, c’est raciste. Taper sur l’islam au nom de la laïcité, ça passe. Je dirais même plus, que le langage de la laïcité permet à des bon vieux discours coloniaux d’être réutilisés sans problèmes.

Toutes les discussions sur « la place de la femme dans l’islam » sont un exemple parfait de ça. Accuser les « civilisations inférieures » de maltraiter « leurs femmes« , c’est un grand classique du discours colonial. En France, au Royaume-Uni, aux USA, on a toujours accusé les noirs, les indiens, les arabes, etc d’être des barbares qui battent et violent « leurs » femmes. La littérature coloniale est remplie de ce genre d’accusations. Mais, maintenant, on peut reformuler ce genre de discours en parlant de la charia, des Talibans et autres épouvantails.

En France, historiquement parlant, la laïcité n’a jamais débouché sur des avancées pour les droits des femmes. Les députés socialistes qui ont voté la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État n’étaient certainement pas féministes. Après 1905, aucune loi favorable aux droits des femmes n’a été votée dans la foulée de cette victoire, et cette loi n’a pas changé grand chose à la situation des femmes en France. La laïcité à la française n’a pas empêché les femmes françaises de ne pouvoir voter qu’assez tard (en 1945).

La diversité des conditions des femmes dans ces pays musulmans prouve que cette condition n’est pas tellement liée à l’islam, mais plutôt à certaines réalités sociales et économiques (et ça devrait être une évidence de rappeler que les dominations sont issues de réalités de cet ordre, et pas « d’archaïsmes« ). Or, le colonialisme est responsable de beaucoup de ces réalités sociales et économiques, ce sont nos pays qui largement exploité et détruit les sociétés locales. De nombreuses manières, le colonialisme a été, et est toujours, le pire ennemi des droits des femmes dans les pays musulmans, et c’est ce que disent de nombreuses associations féministes là-bas. Que ces pays soient patriarcaux est évident, mais le fait qu’ils le soient plus que les nôtres ne l’est pas. Certains le sont peut-être, mais tous ne le sont certainement pas.

Si ces discours autour des droits des femmes dans les pays arabes venaient d’une préoccupation réelle pour les droits des femmes, on ne nous bassinerait pas avec la laïcité. On traduirait des textes écrit par des féministes musulman-ne-s, on parlerait de l’histoire de leurs luttes, on leur donnerait la parole, on faciliterait leur travail, bref on ferait un vrai travail de solidarité. Au lieu de ça, on parle « laïcité » pour pouvoir ressortir les fadaises coloniales sur les indigènes et les femmes sans avoir l’air d’y toucher. Comment croire que Bernard-Henri Lévy, grand défenseur de Polanski et de DSK aie vraiment quelque chose à foutre des femmes arabes ?

Il faut se débarrasser de cette association historique qui est faite, par l’intermédiaire d’utilisation du mot « laïcité« , entre nos luttes contre l’Église comme institution au XIXème siècle et la situation actuelle dans les pays arabes. Les différents partis islamiques qui remportent des élections dans les pays arabes depuis quelques années (le Hamas en Palestine en 2006, l’AKP en Turquie en 2007, Ennahda en octobre de cette année, probablement les Frères Musulmans en Égypte bientôt) ne représentent pas les mêmes forces sociales que l’Eglise représentait en France en 1870.

Ils ont été victimes d’une répression plus ou moins féroce mais toujours réelle depuis des décennies et ont, malgré tout, réussi à prospérer, ce qui prouve qu’ils disposent d’une base sociale solide. L’Église en France était en cheville avec la grande bourgeoisie et l’aristocratie, ce n’est pas le cas de ces partis. Tous ces partis sont nés de l’expérience de la lutte contre le colonialisme (et contre le néo-colonialisme qui a pris le relais dans les années 70), ce qui leur donne une perspective et une situation fondamentalement différente de l’Église française qui exerçait, au XIXème siècle, un rôle central dans la société depuis des siècles. Étant donné qu’on les classifie comme des « terroristes » depuis leur apparition, on a peu d’études sur eux, mais le peu qu’on a tend à montrer qu’on à plus affaire à des partis portant un programme réformiste bourgeois classique mais adapté aux réalités locales qu’à une succursale du Front National.

C’est sûr que si une révolution sociale devait avoir lieu dans les pays arabes, ces partis seraient du côté conservateur, mais ça n’en fait pas des menaces fascistes. Par contre, les forces qui s’opposent à eux ont eu de nombreuses occasions de montrer qu’ils étaient prêts à toutes les saloperies, ici et maintenant (spéciale dédicace aux généraux algériens: plus de 100 000 morts depuis 1991). Je crois que continuer à propager un discours sur la « laïcité » et les « danger de l’islam politique » ne fait que renforcer les tortionnaires de tout poil. De la même manière que le soutien de nos gouvernements aux dictateurs arabes au nom de la lutte contre l’islamisme a probablement empêché les révolutions de se produire vingt ans plus tôt, ramener la question de la laïcité maintenant me semble dangereux.

Dangereux, parce que les révolutions arabes vont devoir maintenant affronter leurs contre-révolutions, et je ne vois pas comment amener le discours sur la question religieuse peut aider à renforcer les forces révolutionnaires. Ennahda va probablement se faire rattraper par la crise comme tous les partis bourgeois et, à ce moment-là, les ruptures se feront sur des bases sociales et politiques claires. Pour moi, c’est ça qu’il faut préparer dès maintenant, pas se perdre en débats savants sur la nature de l’islam politique.


Un entretien avec Leïla Khaled – première partie

Posted: octobre 23rd, 2011 | Author: | Filed under: Traduction(s) | Commentaires fermés sur Un entretien avec Leïla Khaled – première partie

POUR QUE REVIENNE LA CHANSON

Lorsque la chanson meurt
sur les brûlures des enfants d’Amman …
lorsque le souhait devient
retrouver la sécurité,
enterrer les membres arrachés,
et que le blessé enfin boive un verre d’eau

Quand meurt la chanson
et que le souhait s’évanouit
que les balles fusent
que les bombes explosent
pour priver le peuple de son salut
pour enchaîner les consciences
alors nous devrons combattre …
envahir les casernes
retourner ces terres
bouter le feu à ce monde lâche
pour que réapparaisse la chanson
sur les lèvres des enfants d’Amman

anonyme, 7 octobre 1970

(voir l’introduction)

Alors que la question de la « reconnaissance d’un état palestinien » (en fait, de sa reconnaissance par l’ONU) domine les conversations politiques palestiniennes, le récit que fait Leïla Khaled de la Nakba et des conséquences de celle-ci dans sa vie rappelle la place centrale du retour, de la privation et du salut dans la question palestinienne. Les réfugié-e-s palestinien-ne-s à travers tout le monde arabe sont toujours, soixante ans après leur expulsion, soumis-es à un régime d’exception. D’un côté, le gouvernement israélien cherche à approfondir son déni du retour palestinien en passant du « droit à l’existence d’Israël » à « la reconnaissance d’Israël en tant qu’état juif » comme condition préalable aux négociations. De l’autre, les régimes arabes continuent à refuser l’égalité des droits aux réfugié-e-s palestinien-ne-s se trouvant à l’intérieur de leurs frontières, théoriquement pour préserver leur droit au retour, mais, en réalité, afin de normaliser leur condition d’exilé-e-s. Ce que la discussion sur la reconnaissance d’un état palestinien oublie complètement, c’est que cette demande de reconnaissance perpétue l’abandon, commencé il y a des années, des réfugié-e-s palestinien-ne-s et des citoyen-ne-s palestinien-ne-s d’Israël par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

L’occupation est terroriste, être un-e réfugié-e un enfer.
Voir sa terre natale dérobée est un crime
Etre un-e combattant-e de la liberté une libération.

J’ai commencé par dire cela parce que je veux me concentrer sur quelques points clés de l’histoire d’un-e réfugié-e palestinien-ne. Je suis née à Haïfa en 1944, mais, en 1948, nous avons été expulsé-e-s de notre maison par la force comme tou-te-s les palestinien-ne-s expulsé-e-s de leur terre natale. Nous sommes parti-e-s sans mon père. Nous étions huit en tout, deux frères et six soeurs, moi y compris. Mon père faisait à l’époque partie des combattant-e-s de la résistance, donc nous n’avons plus su où il se trouvait dès les premiers affrontements en 1947.

Ma mère a décidé de nous envoyer dans sa famille, à Tyre, au sud du Liban, jusqu’à ce qu’on puisse revenir. J’ai été la première dans la voiture. Je me rappelle des pleurs des enfants pendant toute la durée du voyage. Nous ne savions pas où était notre père et nous abandonnions tout derrière nous. Ma maman m’a demandé pourquoi je pleurais. Je pensais à mon amie Tamara, une fille juive de mon âge, une Juive Palestinienne. J’ai dit à ma mère que je voulais être avec Tamara. Sa mère nous avait accueillie chez elle et avait dit à ma mère que personne ne pourrait nous faire de mal dans sa maison. Elle avait fait ça juste après le massacre de Deir Yassine. Malgré ce geste, l’intensification des affrontements et les opérations sionistes nous poussaient à partir. Ce climat est, encore aujourd’hui, gravé dans ma mémoire. Je conserve encore des images très précises de gens se précipitant dans les rues pour fuir. Nous sommes parti-e-s en voiture alors que d’autres marchaient. Nous les voyions: les vieux et les vieilles, les femmes, les enfants. Le temps n’était pas encore trop chaud.

Nous sommes arrivé-e-s à Tyre, et ma mère nous a emmené dans la maison de son oncle. Le bâtiment était entouré d’un grand jardin avec des orangers. Mes frères et soeurs  virent les oranges et voulurent en prendre. Ma mère leur fit une tape sur les mains en leur disant: « Ce ne sont pas vos oranges, vos oranges sont en Palestine« . Nous avions effectivement plusieurs orangers sur nos terres d’Haïfa. Après ce moment, j’ai détesté les oranges pendant longtemps. Il a fallu attendre les années 80 pour que j’en mange à nouveau. Malgré tout, voir une orange me transporte toujours dans le passé, vers ce moment où ma mère a dit ces mots.

Mon oncle a propose à ma mère que nous venions vivre avec lui dans sa maison, mais elle a refusé. A la place, nous nous sommes installé-e-s dans la cave, un endroit qui n’était pas supposé être habitable. Nous l’avions tou-te-s entendu parler avec son frère. Elle pleurait pendant toute la durée de la discussion, en répétant que notre maison était à Haïfa. Quand on lui demandait ce que faisait mon père, elle répondait qu’elle ne savait pas et qu’il travaillait avec les révolutionnaires. Notre père nous a rejoint six mois après notre arrivée à Tyre. Avec ses camarades révolutionnaires, il s’était replié dans la bande de Gaza. Une fois à Rafah, il a été arrêté par les autorités égyptiennes et placé dans un camp. Une crise cardiaque l’a rendu gravement malade pendant son séjour au camp. Un groupe de médecins allemands a réussi à le faire sortir du camp et à l’amener clandestinement avec eux au Liban. Il s’exclamait constamment: « Nous avons perdu notre pays, j’ai perdu ma famille« . La première chose qu’il a dit ma mère à son arrivée, était que nous ne reviendrions jamais. Il s’était rendu compte que notre voyage allait durer plus longtemps que nous l’avions tou-te-s pensé au départ, mais nous ne prêtions pas beaucoup d’attention à ce qu’il disait. Mes frères et mes soeurs demandaient tous les jours à notre mère quand nous allions revenir.

A mon arrivée au Liban, ma première école a été une école coranique traditionnelle, une de ces écoles où les enfants étaient rassemblés chez une femme pour qu’elle leur apprenne à lire le Coran. J’ai changé d’école quand une école anglicane a été fondée à Tyre en 1950. L’école était proche de la cave où on habitait, et était essentiellement une grande tente divisée en quatre, dans laquelle nous nous asseyions pour écouter les leçons d’un professeur écrivant sur un tableau noir tenu par un chevalet. Une fois là-bas, j’ai dit à l’instituteur que je savais lire l’arabe. Il m’a demandé de le prouver, et j’ai donc lu plusieurs chapitres d’un livre. Il a ensuite écrit quelques lettres en anglais au tableau et m’a demandé de les lire. Vu que je n’étais pas capable de le faire, il m’a dit que je devrais commencer par le cours élémentaire parce que je ne savais pas lire l’anglais. A ce moment-là, j’avais sept ans. L’école a continué dans cette tente et, un jour d’hiver, la tente s’est effondrée sur nous. Je suis rentré en pleurant à la maison et j’ai dit à ma mère que je ne voulais plus aller à l’école. Ma mère m’a dit qu’il fallait que j’y aille et qu’une fois qu’on serait rentré-e-s à Haïfa, mon école ne s’effondrerait pas sur moi.

A ce stade-là de ma vie, le message était clair: les oranges ne nous appartenaient pas, les nôtres étaient à Haïfa; l’école n’était qu’une école temporaire, la nôtre était à Haïfa. Chaque fois qu’on demandait de nouveaux vêtements pour les vacances, on nous répondait que de nouveaux vêtements nous attendaient à Haïfa. Toutes nos privations étaient reliées à la Nakba, et notre salut était lié à notre retour à Haïfa. Ceci était la première chose inscrite dans notre conscience: que nous devions retourner à Haïfa, et que c’était notre droit. Pour nous tou-te-s, notre futur attendait à Haïfa, et nulle part ailleurs. Dans notre famille, l’idée du retour a commencé à germer à ce moment-là. La plupart des familles palestiniennes concevaient leur monde de cette manière. Donc, quand des enfants demandaient pourquoi nous étions dans cette situation, la réponse était que les sionistes nous avaient expulsé-e-s et avaient occupé-e-s nos terres, et qu’à un moment, nous rentrerions chez nous.


Expérience quotidienne de la résistance et de la révolution: un entretien avec Leïla Khaled – introduction

Posted: octobre 10th, 2011 | Author: | Filed under: Traduction(s) | Commentaires fermés sur Expérience quotidienne de la résistance et de la révolution: un entretien avec Leïla Khaled – introduction

Encore une traduction d’un texte qui vient de Jadaliyya ! Cette fois, sans trop d’introduction parce qu’il n’y a plus besoin. Ce sera en plusieurs parties, et avec un peu de chance, j’aurais fini d’ici une semaine.

Expérience quotidienne de la résistance et de la révolution: un entretien avec Leïla Khaled, par Ziad Abu-Rish [en anglais]

Les manifestations et les soulèvements qui se sont emparés du monde arabe ont donné de nouvelles formes aux processus de politisation, ainsi qu’à l’usage du terme « révolution ». Avant 2011, l’emploi du mot « révolution » dans le monde arabe faisait surgir des images de Gamal Abdel Nasser, Abdul Karim Qasim , Mouammar Khadafi, George Habache et Yasser Arafat, parmi d’autres. Pour le dire autrement, « la révolution » et tout que ce mot peut signifier en terme d’espoir, de rêve, d’appartenance, de solidarité et de conflit, appartenait, pour beaucoup de membres de ma génération, à un passé lointain, rendu révolu par ses limites propres et par l’évolution du monde. Même celles et ceux d’entre nous qui considèrent être des gauchistes, des progressistes, des activistes et/ou des militant-e-s pensaient évoluer dans une période et dans un contexte radicalement différent de celui que nos parents, nos mentors, nos modèles et les personnes que nous interrogions décrivaient. En tant qu’historienne de la deuxième moitié du XXème siècle, je suis souvent frappée par le niveau de mobilisation d’une personne lambda dans les années 40, 50 et 60, que ce soit en tant que simple témoin-e des évènements cruciaux de ces décennies ou à travers des appartenances à des partis ou à travers des participations à des manifestations et à des actions de boycott. Un tel degré de politisation offre un contraste fort avec les effets de la dépolitisation et de la démobilisation qui ont traversé le monde arabe après les années 70, quand les gouvernements de l’époque ont consolidé leur emprise et que le nouvel ordre régional et international a été formalisé.

L’itinéraire de Leïla Khaled, une des figures célèbres de la « révolution palestinienne » et une source d’inspiration pour beaucoup, aussi bien à l’époque que depuis, est un exemple parmi des dizaines de milliers d’autres des nombreuses manières par lesquelles des individu-e-s se sont mobilisé-e-s et politisé-e-s à l’époque. Ecouter Leïla Khaled raconter l’histoire de son propre processus de politisation a été un tournant de mon itinéraire politique. Visite après visite, j’ai commencé à comprendre que ce n’était pas sa participation au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), ni sa participation au détournement de deux avions (en 1969 et en 1970), qui l’avaient faite telle qu’elle était. Elle a plutôt été politisée et mobilisée par une série d’évènements, de développements et de découvertes datant de bien avant les actes pour lesquels elle est connue. Elle n’est née ni radicale, ni conservatrice.

En cette fin de 2011, Mouammar Khadafi a été ajouté à la liste des dictateurs arabes renversés, tandis que le régime Ba’thiste de Syrie (qui se drape du manteau de « la résistance » et de « l’héritage de la révolution« ) fait face à un défi venu d’en bas plus fort que tout ce à quoi il a eu à faire face jusqu’ici. En Tunisie, en Egypte au Yémen et en Libye, « la révolution » n’est plus un mot venu du passé. C’est une expérience quotidienne, une réalité présente. La « révolution » s’est trouvée beaucoup d’émules, au Moyen-Orient mais aussi au-delà, de Tel-Aviv à Madrid en passant par le Wisconsin. Comme le dit si bien un autre texte [en anglais]: « pour résumer, le monde arabe a retrouvé la politique« . Ni les diverses contradictions de « la révolution » dans ses manifestations locales, ni les luttes qui se profilent pour définir l’étendue et l’héritage de cette révolution ne remettent en cause cette vérité, bien au contraire.

Le monde dans lequel nous vivons à l’heure actuelle est néanmoins très différent, il porte d’autres héritages et est encombré par le poids des révolutions abandonnées et des résistances vaincues. La génération précédente de combattant-e-s de la résistance et de militant-e-s révolutionnaires s’inscrivait dans le contexte des régimes coloniaux et de leur fin, tandis que la génération actuelle s’est construite contre des décennies de régimes autoritaires locaux. De plus, les partis politiques et les régimes aujourd’hui accusés de violer les principes de justice sociale et de libération nationale sont ceux-là mêmes qui se sont construit sur des discours (et, en partie des actes) de révolution sociale et de résistance anti-coloniale. Les processus actuels de mobilisation et de politisation sont donc différents de ceux de la période précédente, et les échecs et les limites des promesses (et des politiques) de la génération précédente pèsent lourdement sur ces processus, leur injectant une dose de scepticisme, de cynisme et de peur de l’inconnu. Malgré tout, une partie beaucoup plus importante que précédemment de la population de la région s’est politisée et mobilisée en 2011. Une nouvelle génération s’approprie « la révolution ».

Ce qui suit est une transcription traduite d’une série d’entretiens que j’ai réalisé avec Leïla Khaled pendant l’été de 2007. Nous avons beaucoup à apprendre d’elle, ainsi que de sa génération de militant-e-s et de révolutionnaires. Tandis que nous nous confrontons aux espoirs, aux rêves, aux exigences et aux stratégies de résistance des soulèvements arabes actuels, je me tourne vers l’expérience de Leïla avec une urgence renouvelée.