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Adieux au milieu

Posted: septembre 28th, 2011 | Author: | Filed under: Murmures | 4 Comments »

« – Eh mec, t’es un révolutionnaire !
– Individuellement, ça ne veut finalement rien dire, c’est un mouvement collectif, on est révolutionnaire dans un moment où tout est possible. »

Boris Lamine (texte collectif), Il fera si bon mourir

Ma formation politique, ma découverte des luttes collectives, je l’ai fait dans un endroit bien particulier. Cet endroit, c’est compliqué de lui mettre une identité bien claire, parce qu’il bouge tout le temps, il se transforme rapidement et il est assez flou, finalement. C’est l’ilôt étrange des révolutionnaires sans étiquettes officielles, des radicaux non-organisés. En fait, des étiquettes et des organisations, il y en a, mais elles n’existent pas officiellement, elles ne sont pas visibles pour l’extérieur. Pas de NPA, pas de Fédération truc ou d’Organisation machin. J’ai grandi politiquement dans cette étrange maison peuplée d’anarcho-machin, d’insurrectionalisto-trucs, d’anti-gauches, d’autonomes, … Il y a encore des tas d’autres qualificatifs comme ça, qui amènent souvent plus de questions qu’ils ne clarifient de positions. C’est le genre de mots qu’on utilise dans cette maison.

J’ai grandi là-dedans pendant très longtemps, et puis j’ai commencé à m’y sentir à l’étroit. J’y trouvais de moins en moins de réponses et de plus en plus de questions. D’une certaine manière, c’était étrange, parce que la maison s’agrandissait, il y a avait de plus en plus de gens. Mais c’était comme si, même avec plus de gens, c’était toujours aussi petit et limité. Je n’étais pas le seul à avoir ce ressenti. En fait, je crois bien que progressivement, tout le monde a commencé à se sentir un peu étouffer là-dedans. Cette maison a commencé à devenir le milieu, un endroit dans lequel personne ne se sentait vraiment à l’aise. Un endroit qui nous enferme petit à petit mais dont on ne sait pas comment sortir, à la fois confortable et limitant.

Je ne me suis pas rendu compte à l’époque, mais la création de ce site, le début de ce projet d’écriture était pour moi une manière de sortir de ce milieu. Je n’ai pas imaginé de rupture radicale dans ma tête, mais j’ai commencé à dévorer des livres, à rechercher des réponses dans beaucoup de directions, et je me suis petit à petit éloigné de cette maison sans trop y penser, en suivant les directions sur lesquels j’étais emmené. Ce n’est que très récemment que je me suis rendu compte du chemin que j’avais suivi: en causant avec des camarades, en parlant du milieu, je me suis rendu compte que j’en parlais comme d’une réalité extérieure que j’observais plutôt que comme un environnement qui m’entourait. Un regard extérieur, assez détaché. En tout cas, je ne plaçais plus aucune de mes perspectives dans des dynamiques qui auraient été liées à ce milieu: je faisais mes trucs dans mon coin, avec mes camarades, simplement.

Alors voilà, là, je me retrouve dans la position surprenante (pour moi), d’y voir d’un coup beaucoup plus clair au sujet de ce fameux milieu. J’ai même l’impression d’avoir des leçons politiques à tirer de tout ce chemin.

Cette question de sortir du milieu est centrale dans ce milieu lui-même depuis quelques années, et je crois qu’elle a un sens temporel précis, qu’elle correspond à un moment de bascule, à une transition entre deux situations très différentes. Pour moi, c’est bien parce qu’elle correspond à une transition difficile et nécessaire qu’elle est un sujet essentiel de discussion depuis tout ce temps. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il ne s’agit pas de tempête dans un verre d’eau. C’est toujours facile de prendre de haut toute cette histoire et de se moquer des « révolutionnaires professionnel-le-s qui se regardent le nombril« , quelque chose dans le style. Mais je pense que c’est une erreur: comment sortir du milieu, c’est un problème politique concret qui se pose dans beaucoup de situations, et il sert de révélateur à de nombreuses questions politiques fondamentales.

Les premières réflexions que j’ai eu l’occasion de lire sur le sujet voyaient en général cette question comme une affaire de positions politiques. Si on se retrouvait par moment enfermé-e-s politiquement dans des milieux, c’est parce qu’on ne se posait pas les bonnes questions, qu’on avait pas trouvé la position juste, l’analyse correcte qui allait nous permettre de « parler plus largement aux gens« . En général, ça débouchait sur des discussions houleuses sur ce que pouvait bien être l’analyse en question. Ces discussions ont pu s’étendre sur des années, mais n’ont jamais débouché sur l’ouverture théorique recherchée.

Une autre direction d’élargissement envisagée, c’est la communication. Nos théories sont justes, nos bases sont solides, mais on ne communique pas assez, on ne va pas assez à la rencontre des gens pour les convaincre. Cette position va en général correspondre à la volonté de certains collectifs d’être les plus présentables possibles, de travailler à faire parler d’eux. Tractages, journaux, sites internets, listes de diffusion, tables de presse, tout le tralala. Travail de titan, travail épuisant, qu’on finit par lâcher au bout d’un moment en général, parce qu’il débouche très rarement sur des élargissement réels des collectifs.

Globalement, dans les deux cas, l’idée, c’est un élargissement (une massification si on est passé-e par la LCR): au bout d’une certaine masse de gens impliqué-e-s, il ne s’agira plus tant d’un milieu que d’un mouvement large, et on arrêtera d’étouffer. De l’air et de l’espace par le nombre, quoi. Je n’ai pas l’impression que ce genre de stratégie a vraiment fonctionné. Comme je l’ai déjà dit plus haut, même à plus nombreux/ses, la même impression d’étouffement persiste, et un élargissement réellement massif et rapide ne s’est jamais produit. A chaque mouvement social (CPE, LRU, retraites, …), il y a toujours l’espoir que ça se débloque enfin, mais ça ne se produit pas vraiment, et la logique du milieu revient quand la vague est passée. En fait, on se retrouve assez proche de pratiques gauchiste assez traditionnelles, et l’ex-LCR/NPA ou LO sont bien là pour démontrer l’impasse à long terme de ce genre de choses.

Je ne suis pas le seul (loin de là !) a voir constaté l’échec de tout élargissement du milieu. Pour répondre à cette impossibilité, d’autres personnes ont commencé à envisager une perspective plus radicale, une sorte de dépassement du milieu.

A mon sens, cette perspective de dépassement est portée de la manière la plus forte par toute la branche tiqunienne. Dans cette perspective, le milieu n’est pas tant quelque chose à élargir que quelque chose à laisser derrière soi, à détruire méthodiquement. J’ai déjà mentionné le texte de Tiqqun sur les « communautés terribles« , qui possède une sacré rage, une volonté forte de destruction de nos rapports existants. Ce qui est particulièrement bien vu dans Tiqqun, c’est l’idée qu’il n’y a aucune différence entre le milieu révolutionnaire-radical et le reste du monde qui nous entoure, que l’attaque contre ce milieu est tout aussi nécessaire que l’attaque contre les banques. Qu’il faut commencer à retravailler ce qui est proche de nous, plutôt que ce qui est loin. Mieux que ça, le processus de destruction de l’Empire (pour reprendre leurs mots) est le processus même de dissolution des « milieux » qui nous enferment. En commençant à attaquer les milieux, on commence à attaquer l’Empire.

La force et la faiblesse de ce genre de textes se trouve à mon avis, dans leur volontarisme. Tout est simple, il suffit de commencer à s’organiser, à vouloir dépasser le milieu actuel, et on est sur la bonne voie. Ce n’est ni une question de ligne politique, ni une question de propagande, mais une question de volonté. C’est un autre aspect de la critique que je peux faire de Tiqqun: le milieu, comme le capitalisme, n’est pas vraiment analysé, il est surtout décrit et dénoncé. Du coup, sans analyse, le dépassement ne peut se faire que par l’approche bourine: on pousse jusqu’à ce que ça s’effondre, en espérant pousser suffisamment fort. C’est séduisant, parce qu’on peut commencer là tout de suite, sans trop se poser de questions, mais, au bout d’un moment, on s’épuise forcément à pousser dans le vide.

Non seulement cette logique volontariste me semble inefficace, mais elle a des conséquences terribles sur les relations que nouent les gens. C’est assez connu, le volontarisme, ça vire assez facilement à la parano quand ça ne fonctionne pas. Du coup, c’est assez facile que ce genre de perspectives débouchent sur des chasses à qui ne veut pas assez, sur des concours de radicalisme. Il faut prouver qu’on a la volonté de sortir du milieu, il faut donc être à la pointe de la radicalité, causer conflit, violence et offensive (ça peut même tourner au militarisme un peu crade, voir un texte récent pour un exemple). Tout ça fait qu’à la fin, le serpent se mord la queue, puisque cette pression à la radicalité finit par récréer le milieu qu’on voulait dépasser. La boucle est bouclée.

Tout le débat houleux autour de la tactique de défense des inculpé-e-s de Tarnac traduit, à mon avis, la tension entre ces multiples stratégies de sortie du milieu. Les inculpé-e-s de Tarnac jouent à la fois du dépassement radical et de la volonté d’élargissement. Le résultat, c’est un double discours assez étrange, où les positions changent entre discours « internes » (au milieu), et discours adressés à l’extérieur. Ce qui fait qu’illes se retrouvent à la fois attaqué-e-s parce qu’il ne sont pas assez radicales et radicaux, mais qu’illes ont quand même à subir la marque du ou de la « terroriste« . Bien sûr, on peut dire que cette stratégie est souple, pragmatique, mais les grincements et les tiraillements se font quand même sentir au fil des changements.

Ce que je vois de commun à toutes ces tentatives de sortir du milieu, c’est qu’elles sont internes, qu’elles partent de l’intérieur. Malgré la critique radicale du milieu que peut faire Tiqqun (par exemple), c’est quand même un texte qui s’adresse au milieu. Sa suite logique, l’Appel a, de la même manière, été diffusée à l’intérieur de ce milieu que le texte descendait en flamme. Ce qu’il y a d’implicite, c’est que la destruction du milieu viendra du milieu lui-même. Envers et contre tout, même en réduisant (textuellement) ce milieu en cendres, c’est en partant de ce milieu que sont envisagées les choses, et ces textes multiplient les références à des discussions internes et anciennes, à des personnages notoires, à des positions connues, …

Comme on sort de cette perspective interne, alors ? Sur quels éléments extérieurs on peut s’appuyer ? Pour moi, le milieu existe et est à dépasser, parce que le milieu n’est formé de rien d’autre que des limites de nos luttes. S’il est aussi étouffant et frustrant, c’est parce qu’il représente toujours un échec, un reflux, un retour à quelque chose de plus limité. S’il nous colle toujours aux basques, c’est parce qu’on a pas encore réussi à transformer ce monde. Le milieu, c’est l’endroit où l’on préfère parler parce que porter une parole politique entendable dans un espace plus large est tellement plus difficile. Collectivement, on vient de traverser vingt ou trentes années de recul constant des luttes, d’échecs et d’invisiblité. Le milieu, c’est le point de regroupement parmi tous ces échecs, l’endroit où on revient parce qu’ailleurs, la confrontation est trop rude. La relation d’amour-haine qu’on peut avoir avec lui me semble venir de là, dans l’irritation qui grandit face à quelque chose qui est à la fois complètement nécessaire et totalement insuffisant.

C’est parce que ce milieu représente les limites de nos luttes que sortir du milieu ne se fera pas à partir du milieu, mais dans le développement de la nouvelle séquence historique qui commence en ce moment. Pour la première fois depuis des années, collectivement dans le monde, nous sommes à l’offensive. Le dépassement du milieu, il est là, en acte, dans les nouvelles luttes qui se développent. Des paroles radicales qui ne rencontraient aucun écho auparavant sont maintenant diffusables et diffusées. Le milieu disparaîtra quand plus personne n’en aura besoin, quand nous n’aurons plus besoin de nous replier. La sortie du milieu n’est pas un choix, mais une réalité progressive qui se développe avec nos luttes, dans nos luttes. La sortie du milieu n’était même pas une possibilité il y a quelques années, et elle deviendra une réalité d’ici quelques temps, parce que ce milieu est pris dans un mouvement historique plus large. Ce n’est pas une question de propagande ou de volonté, mais de processus collectif.

La rôle du milieu a toujours été de nous permettre de nous regrouper et de souffler. Plus on gagne en force, moins on en a besoin. Et c’est très bien comme ça.


4 Comments on “Adieux au milieu”

  1. 1 Torpedo said at 16 h 15 min on octobre 6th, 2011:

    1° — Comment se forme un « milieu » ?

    Le milieu anarcho-autonomo-insurectionnalo-radical à d’abord une histoire et il est toujours utile de se pencher dessus pour comprendre et donc se donner la possibilité de transformer. À l’origine de la mouvance autonome il y avait l’impossibilité, dans les années 70, pour des milliers de personnes en lutte de se reconnaitre dans le discours et les pratiques de la vieille gauche : d’une part pour des raisons historiques (impasse du stalinisme, de la social-démocratie et de leur avatar trotskiste) et d’autre part parce qu’il était devenu impossibles pour les jeunes prolétaires d’adhérer aux perspectives productivistes et de sacralisation du travail. La critique radicale des forme d’organisation et même de la perspective d’agir au sein de LA politique aboutit à la création de collectifs de lutte ou d’action qui rejettent tant l’homogénéité idéologique que le fétichisme de la structure organisationnelle (le collectif n’a pas pour ambition de se perpétuer en dehors du contexte de la lutte). On assiste alors au foisonnement de collectifs et de groupes auto-organisés et parfois regroupés autour de revue, de coordinations ou d’assemblé. Là il faut préciser que cette dynamique se produit dans un contexte d’ébullition sociale où l’on croit (à tort ou à raison) en des perspectives révolutionnaires.

    Dans les années 80-90, la restructuration capitaliste qui détruit méthodiquement toute les communautés (de quartier, d’identité ouvrière, d’appartenance de classe) entraine le reflux de la combativité et l’étiolement de la mouvance autonome. Celle-ci va néanmoins survivre sans trop prendre en compte la nouvelle donne et petit à petit va s’autonomiser des conditions qui la nourrissait. On va alors avoir tendance à reproduire des pratiques et des formes d’organisations en dehors des dynamiques de lutte. Il est désormais clair que la perspective révolutionnaire n’est plus à l’ordre du jour et que la finalité de la praxis est de perpétuer des idées, de maintenir une étincelle, de diffuser des pratiques et des contenus comme on lance une bouteille à la mer. Dans certaines villes (à Paris par exemple) la volonté de participer du mouvement social est encore présente, les squatts sont encore perçu comme des moyens de lutte, ils sont ouverts dans des quartiers en pleine restructuration et sont de composition hétérogène (il n’y a pas que des fils et des filles de la classe moyenne en rupture — provisoire ? — de ban), la mouvance joue un rôle moteur dans des mouvements de masse sur la question des « bavures policières », de la prison, du logement, du chômage… Dans d’autres villes par contre, dans les années 90, on voit apparaître des regroupements se réclamant de la mouvance autonome qui se replient sur une posture identitaires autiste (Lyon, Dijon, Rennes, Grenoble…) , le but des squatts serait « le mouvement squatt », la fonction du collectif serait de transformer ses propres membres, il n’est question que de s »agiter pour maintenir un niveau qui permette à un microcosme de perdurer.

    Puis arrivent les années 2000 où le mouvement altermondialiste va brouiller les cartes, malgré son discours confusionniste et superficiel sur la méchante finance mondiale opposé au capitalisme productif et aux États-nations, toute la frange identitaire d’un ex-mouvement autonome devenu clairement alternatif s’engouffre dans la brèche et croit pouvoir jouer le rôle d’aiguillon de la social-démocratie en train de se recomposer. Une petite action de « violence » spectaculaire devrait suffire comme preuve de radicalité, pour le reste on se contente de répéter le discours gnangnan d’Attac.

  2. 2 Torpedo said at 16 h 24 min on octobre 6th, 2011:

    2° Les appellistes

    Les appellistes sont clairement les héritiers de la fraction identitaires-alternativistes de la mouvance, et tu peux effectivement louer leur volonté affichée de rompre avec elle. C’est un minimum. Mais ça ne suffit pas. Certes ils en critiquent les aspects les plus ridicules mais ne comprennent pas que c’est justement la posture identitaire qui est à jeter aux orties, et l’alternativisme qui ne peux conduire qu’a creuser son trou DANS ce monde et à défendre sa fonction (même soi-disant « subversive ») DANS son fonctionnement.

    Pour en arriver à ton texte : tu affirmes que lorsqu’ils se sont retrouvés en première ligne face à la répression, ils ont tenté de jouer sur les deux tableaux, qu’ils ont tenté d’élargir leur auditoire le plus largement possible en faisant des concessions, et de maintenir un discours de radicalité en direction du microcosme. Tu penses que cela serait une forme de pragmatisme. En fait tu répètes les justifications qu’ils produisent quand on les met face à leurs contradictions, tout ce confusionnisme ne serait que volonté de finesse tactique et stratégique… La réalité est pourtant bien différente, leurs positions (obligé de mettre un pluriel) est du pur bricolage suite à la panique qui les a saisi quand ils se sont vus les menottes aux poignets. Au départ ils ont jurés leurs grands dieux qu’ils n »étaient que de simples planteurs de carottes et qu’ils étaient indignés qu’on puisse leur reprocher une chose aussi horrible que d’avoir saboter des caténaires (interview des habitants de Tarnac). Ensuite ils se sont indignés (encore) qu’on les traite comme des terroristes, car eux n’avaient pas fait de réels dégâts matériels (pas comme ceux qui brûlent des ANPE ou des permanences électorales). Maintenant on ne sais pas trop ce qu’ils racontent si ce n’est de défendre la bonne justice ordinaire contre les dérives de l’antiterrorisme.

    Toute leur ligne de défense a consisté à chercher à sortir coûte que coûte, tout de suite, de la mauvaise posture dans laquelle il se trouvaient. Là je ne vais pas faire de jugement morale ni de concours de radicalisme. Je pense que dans le cas de camarades emprisonnés le but de leur défense est de faire qu’ils s’en prennent le moins possible. Mais cela n’a rien à voire avec leur réaction-panique de tout faire (c’est à dire n’importe quoi) pour qu’ils soient libérés le lendemain matin. Cela ne peut être que contre-productif, tant en vu de limiter la casse pour les camarades emprisonnés que du point de vu de maintenir les possibilités de continuer leur action.

    Le résultat est qu’ils ont « réussi » à enclencher un mouvement d’opinion en défense de la vrai justice démocratique sans pour autant affaiblir la répression, il ont fait de Tarnac l’arbre qui cache la forêt de la terreur d’État quotidienne. Ils ont balisé un terrain qui fait qu’il est encore plus difficile de se défendre pour les camarades qui se font, et qui se feront, arrêter. Qui pourra (ou voudra) être défendu par un « large mouvement démocratique », qui pourra (ou voudra) être défendu par papa-maman dans les talk-show, qui pourra (ou voudra) faire l’apologie du stalino-gaullisme pour avoir le soutient de « tout un village », qui pourra (ou voudra) présenter le visage du gentil garçon au parcours irréprochable… ?

    La vérité est que, face à un niveau de répression somme toute assez bas, toute leur agitation n’a pas fait économiser une heure de prison à leurs camarades. On parle ici d’un groupuscule qui pendant plus de trois ans a pris des postures de comploteurs, qui se vante de faire toujours plus fort que les autres, qui se pose en héritier de tout ce qui à trait à l’insurrection et la lutte armée… bon j’arrête là. Bref ce groupuscule qui publie ses positions favorables aux sabotages se fait réveiller un matin par la brigade antiterroriste. De qui s’étonne-t’on, c’est le contraire qui serait étonnant, ils s’attendaient à quoi ? La DCRI interpelle 20 personne (d’ordinaire c’est au moins 50), elle en amène 9 en garde-à-vue (d’habitude c’est tout le monde), elle en relâche 4 au bout de la garde-à-vue alors qu’elles sont inculpés d’association de malfaiteurs ayant des visées terroristes (ils/elles ont beaucoup de chance), 3 feront 3 semaines de prison (demandez à quiconque se retrouve en préventive si c’est la norme), une 3 mois et demi et finalement 6 mois pour le dernier. Ceux qui voient là un acharnement particulier ont de la merde dans les yeux ou ne sont pas très au fait de ce qui se pratique en matière de détention provisoire en France (y compris en l’absence de preuve formelle). Tout ça pour dire que ce n’est pas la forte mobilisation des comités-Tarnac qui ont permis que la répression soit plus faible, cela était une donnée du départ.

    Je ne donnerais pas ici mon point de vue sur leur production en matière de théorie ni de pratique, ça serait trop long. En revanche je tiens à te signaler une erreur factuelle. Tu fais de l’Appel une continuation de Tiqqun, c’est vrai en parti, à savoir que l’un des membres de Tiqqun semble ne pas être étranger à l’écriture de l’Appel et de l’Insurrection Qui Vient, mais c’est l’unique membre de Tiqqun qui a suivi cette voie. Le texte que tu mentionnes, « La communauté terrible », n’est pas du fils de Gérard Coupat et a été rédigé par une personne qui n’a aucun lien avec la fondation du Parti Imaginaire.

  3. 3 Torpedo said at 16 h 59 min on octobre 6th, 2011:

    3° Une nouvelle séquence historique

    Il fut un temps où on se retrouvait dans ce milieu parce qu’on avait participé à une lutte et que la lutte finie on avait pas envie de lâcher l’affaire (maintenant on peut également rejoindre le camp radical parce qu’on a lu des bouquins). On avait vécu pleins de choses puissantes, enrichissantes et on ne voyait pas trop comment retourner à la soumission quotidienne, alors on cherchait (parfois maladroitement) à ce que cela ne s »arrête pas. Le milieu qui se formait rebondissait d’une lutte à l’autre souvent avec intelligence, et parfois en créant de véritables dynamiques. Nous trimbalions avec nous toute l’expérience des luttes passées et nous réussissions toujours a être les plus aptes à chambouler les limites de la lutte pour y faire émerger des moments de dépassement. Mais tout ceci avait aussi ses propres limites, celles de recommencer sans cesse en partant quasi de zéro. Ceci était tellement visible que certains ont théorisé que le repli sur la bande (le niveau le plus minable de l’organisation formelle) devait être la solution, et comme les derniers des stalino-léninistes ils ont considéré que les luttes n’étaient que des moyens au service de leur petites organisations/bandes. Ils allaient dans les luttes pour recruter quelques adeptes pour perpétuer/renforcer la bande, la forme de vie comme dirait l’autre.

    Le soucis est louable de ne pas vouloir rentrer chez soi en attendant le prochain tourbillon qui peut-être vous emportera, mais…. comment en arrive t-on à ériger ainsi des ghettos sclérosés. Je n’ai pas la prétention d’avoir toutes les réponses, mais je constate quand même que la dynamique qui porte la critique radicale est affaire de contexte, il y a une réalité objective, des lieux et des moments qui portent la conflictualité à des niveaux plus élevés et que c’est à l’intérieur de ceux-ci que les dépassements sont possibles. Ce n’est donc pas seulement une affaire de volonté d’un microcosme mais bien de tensions réelles sociales dont il faut partir. Les moments de joies et de solidarité que nous avons vécu dans un contexte de conflictualités sociales ne sont reproductibles ni en dehors d’elles, ni par NOUS seul.

    « C’est parce que ce milieu représente les limites de nos luttes que sortir du milieu ne se fera pas à partir du milieu, mais dans le développement de la nouvelle séquence historique qui commence en ce moment. Pour la première fois depuis des années, collectivement dans le monde, nous sommes à l’offensive. Le dépassement du milieu, il est là, en acte, dans les nouvelles luttes qui se développent. Des paroles radicales qui ne rencontraient aucun écho auparavant sont maintenant diffusables et diffusées. Le milieu disparaîtra quand plus personne n’en aura besoin, quand nous n’aurons plus besoin de nous replier. La sortie du milieu n’est pas un choix, mais une réalité progressive qui se développe avec nos luttes, dans nos luttes. La sortie du milieu n’était même pas une possibilité il y a quelques années, et elle deviendra une réalité d’ici quelques temps, parce que ce milieu est pris dans un mouvement historique plus large. Ce n’est pas une question de propagande ou de volonté, mais de processus collectif. »

    Je suis d’accord avec l’esprit de ce que tu dis dans le passage pré-cité. Même si il faut bien avoir en tête que NOUS ne sommes pas à l’offensive, bien au contraire c’est le Capital qui est à l’offensive. Ce qui change c’est bien la séquence historique, une nouvelle phase de la restructuration capitaliste. Le Capital en a définitivement fini avec la gestion social-démocrate et les « acquis sociaux », il est prêt à aligner le niveau de vie des occidentaux sur celui des habitants du Tiers-monde. Cela va produire (et produit déjà) des formes de résistances. Ces formes de résistances, on peut déjà les voire à l’œuvre et elles ne sont pas homogènes. D’un côté un mouvement qui s’accroche pour que tout reste comme avant, avec des tensions démocrate-radicales, nationale-populistes, voire fascistes ; de l’autre des embryons de remise en cause radicales qui commence à envisager l’abolition des rapports sociaux capitalistes, l’argent, le travail, les rôles sociaux ou genrés, la valeur. C’est en prenant parti dans ce débat, et ceci certainement contre une large parti du milieu qui s’accrochera à ses petits conforts, que nous pourrons participer à une dynamique révolutionnaire.

    Torpedo

  4. 4 murmures said at 17 h 15 min on octobre 6th, 2011:

    Merci pour cette réponse détaillée. Je crois que je suis d’accord pour l’essentiel avec ce que tu dis, même si je suis en général plus généreux avec toutes les initiatives en question. C’est mon côté bêtement bisounours 🙂

    Sur cette question du pragmatisme de la défense de Tarnac, j’essayais plus de mettre ça en relief comme un argument qu’illes ont amené que comme quelque chose avec lequel je suis d’accord.

    Si je parle de filiation entre Tiqqun, l’Appel et autres, c’est une filiation théorique. Pour moi, la ligne théorique reste essentiellement la même, et c’est ce que j’ai essayé de développer chaque fois que j’ai parlé de ça. Je ne pense pas ça en terme de filiation réelle des personnes (ça ne me regarde pas), plus en terme de transmission de la théorie et des pratiques. Et je ne me focalise pas sur Julien Coupat, qui m’intéresse assez peu 🙂