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Pendant ce temps, en Israël …

Posted: juillet 28th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 2 Comments »

Ces temps-ci, il y a une actualité très riche concernant le Moyen-Orient en général, et la situation en Palestine en particulier. Moi comme beaucoup d’autres, je me suis retrouvé à parler des révoltes arabes, des derniers développement autour de la reconnaissance d’un état palestinien, de la réconciliation Fatah-Hamas, … on avait pas vu autant de transformations et d’évènements dans la région depuis longtemps.

Mais on ne parle pas d’Israël. Enfin si, on parle du gouvernement israélien qui essaie de vendre ses salades comme d’habitude, de l’insondable relation entre Israël et les USA et d’autres sujets géopolitique du genre. Mais on ne parle pas de la société israélienne, de l’atmosphère quotidienne en Israël pendant qu’on dissèque la mythique « rue arabe« . Pourtant, la société israélienne est sacrément ballottée en ce moment, peut-être bien de la manière la plus intense depuis l’invasion du Liban, au début des années 80.

Depuis quelques années, Israël connaît un virage à droite complètement délirant. Le gouvernement actuel repose en grande partie sur des partis extrémistes religieux et sur l’extrême-droite laïque et ultra-nationaliste d’Avigdor Liberman (un type avenant qui a pu déclarer qu’on « ferait mieux de noyer [des prisonniers palestiniens] dans la mer Morte »). Ce qui permet de se rendre compte de l’ampleur de l’échec de la gauche juive israélienne, c’est que le Parti Travailliste, bon vieux parti social-démocrate (profondément sioniste, mais social-démocrate quand même), qui a gouverné quasiment tout seul le pays pendant quatre décennies a choisi de rejoindre ce gouvernement histoire de grappiller quelques postes. Réunis, les votes de l’extrême-droite religieuse ont été supérieurs à ceux du parti travailliste.

En fait, Israël fonctionne en ce moment comme une caricature de tous les pays occidentaux: ces dernières années, la droite la plus raciste a réussi à y dominer la parole politique et à imposer son langage et ses thématiques. Toute la scène politique se sent obligée de se positionner sur les lubies de l’extrême-droite. Et l’extrême-droite israélienne ferait passer Marine Le Pen pour une gentille conservatrice un peu molle.

Pendant quelques années, les délires verbaux et les projets cinglés de cette extrême-droite ont surtout visé les palestinien-ne-s, à l’extérieur comme à l’intérieur d’Israël. Liberman est, là encore, un bon exemple. En 2006, il a qualifié des élus arabes du parlement israélien qui rencontraient le Hamas de « collaborateurs »: « la Seconde Guerre Mondiale s’est achevée avec les procès de Nuremberg. Les dirigeants du régime nazi et leurs collaborateurs ont été exécutés. J’espère que les collaborateurs [au sein du parlement israélien] connaîtront le même sort ». Tant que ces délires visaient les palestinien-ne-s, la gauche israélienne a très peu réagi: quand Haneen Zoabi, une élue arabe à la Knesset (l’assemblée nationale israélienne) a été agressée par des députés de droite dans l’enceinte du parlement après sa participation à la flottille pour Gaza de 2009, la gauche israélienne n’a (presque) rien dit (les vidéos, uniquement sous-titrées en anglais, sont éclairantes: les seuls députés la soutenant sont ses camarades du Balad, parti d’extrême-gauche arabe israélien).

Mais plus le temps passe, plus les menaces se rapprochent de la gauche juive israélienne. Au mois de juillet, l’extrême-droite a réussi à faire permettant aux colons de faire un procès à toute personne appelant au boycott des produits des colonies israéliennes. Il s’agit d’une attaque politique directe: en réaction à la campagne palestinienne BDS, une partie de la gauche juive israélienne a commencé à s’impliquer dans un boycott plus modéré, un boycott des produits venant des colonies; avec cette nouvelle loi, tout appel à boycotter les produits des colonies devient illégal. L’extrême-droite a immédiatement voulu exploiter sa victoire en demandant à la Knesset de mandater une commission parlementaire d’enquête sur des associations et ONGs israéliennes qui seraient soupçonné-e-s de participer à des boycotts. La demande de commission a été repoussée sous le regard embarrassé de Netanyahou, qui se retrouvait coincé entre deux alliés, mais l’offensive de droite va très clairement reprendre bientôt.

Dans ce contexte de fascisation globale de la politique israélienne, la question palestinienne paralyse complètement la gauche juive israélienne. Toutes les érosions de la démocratie libérale israélienne ont commencé à être expérimentées sur les palestinien-ne-s, que ce soit dans les Territoires Occupés ou à l’intérieur d’Israël. Mais maintenant, ce durcissement commence à toucher la société juive israélienne, et la gauche juive se retrouvé coincé: dénoncer maintenant le processus de répression est compliqué quand on en a accepté les principes et les justifications tant que ça concernait les palestinien-ne-s. Vu que cette gauche juive a accepté le chantage à la « sécurité » et à la « défense de l’intérêt national », elle est à court d’argument pour contester cette logique maintenant qu’elle s’approfondit. Quelques mois avant la loi interdisant l’appel au boycott, une autre loi votée par la Knesset a interdit aux associations subventionnées d’une manière ou d’une autre de parler de la Nakba (l’expulsion massive et par la violence des palestinien-ne-s durant la fondation de l’état d’Israël en 1948). L’argument invoqué est que l’évocation de la Nakba débouche sur la remise en cause de l’état d’Israël et/ou de son caractère « juif et démocratique ». La gauche juive israélienne ne s’est pas élevée contre cette loi. Le même argument lui est revenu comme un boomerang au moment du vote sur la loi contre le boycott des colonies: les colonies font partie intégrante de l’état d’Israël, et les remettre en cause, c’est s’en prendre à la fois à l’intérêt national d’Israël et à ses citoyens.

Le problème est très profond, puisqu’il vient directement de l’idéologie fondatrice de l’état d’Israël. Malgré le fait que la plupart des dirigeants fondateurs d’Israël étaient des juifs non-pratiquants, la construction nationale d’Israël s’est faite sur des bases profondément religieuses (malgré un ton un peu irritant, le bouquin de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, explique tout ça très bien). Toute l’idée du peuple en exil revenant vers la Terre Sainte qui lui a été promise et qui lui est destinée est une idée fondamentalement religieuse. L’état israélien a exploité cette idée parce qu’elle était profondément ancrée dans l’imaginaire juif de l’époque, et qu’elle pouvait exercer une influence profonde. Israël a eu, comme tous les états, besoin d’un mythe fondateur au moment de sa création, et a utilisé un mythe religieux. Ce mythe a fonctionné efficacement pendant de nombreuses années, permettant de cimenter la société juive israélienne, mais paralyse maintenant toute lutte de la gauche juive israélienne contre les colons et la droite religieuse. Les colons, après tout, ne font que s’installer sur le territoire qui revient de droit aux juifs, illes ne font que repeupler la Terre Promise. Si s’approprier les trois-quarts de la Palestine était juste en 1948 (au nom du droit du peuple juif sur sa terre ancestrale), pourquoi en grignoter encore quelques pour-cents serait injuste ? La droite et l’extrême-droite religieuse israélienne a bien conscience du rôle fondamental de la religion juive dans l’identité nationale israélienne. Elle se sert efficacement de cette importance pour présenter toute attaque contre elle comme une attaque contre la nation israélienne.

Tant qu’Israël avait le vent en poupe, des intérêts laïques et religieux contradictoires pouvaient cohabiter (c’est le fameux statu-quo négocié entre Ben Gourion et les leaders religieux en 1948). Maintenant que la situation mondiale est plus difficile, qu’Israël, comme le reste du monde, est pris dans la crise capitaliste, que l’occupation des territoires palestiniens devient de plus en plus coûteuse moralement et économiquement (si vous lisez l’anglais, cherchez le formidable bouquin d’un chercheur israélien, Shir Hever, sur les conséquences économiques de l’occupation), les tensions présentes dès l’origine d’Israël sont prêtes à éclater. Derrière les conflits de plus en plus intenses entre israéliens religieux et israéliens non-pratiquants, c’est la question de l’identité d’Israël qui est en jeu. L’occupation actuelle des palestinien-ne-s ne peut être maintenue qu’en conservant l’identité israélienne actuelle, profondément sioniste et religieuse, et tant que ce fondement identitaire d’Israël perdurera, la gauche juive sera impuissante face aux colons et aux orthodoxes.

C’est dans ce contexte que les tensions au sein de la société israélienne ne font qu’augmenter: Jérusalem est un terrain d’affrontement politique régulier entre orthodoxes et laïques autour de l’application ou non du Shabbat, et la police a dû intervenir plusieurs fois pour empêcher des juifs orthodoxes d’agresser des voitures circulant près de leurs quartiers le samedi. Même l’armée israélienne (qui n’a jamais été un bastion de générosité) commence à s’inquiéter des propos de certains rabbins d’extrême-droite légitimant le fait de tuer les non-juifs, et la dispense de service militaire massive accordée aux « étudiant-e-s » religieux (qui commencent à représenter plus de 10% de la population) est vue comme de plus en plus injuste. Les juifs orthodoxes représentent un coût de plus en plus grand (notamment en avantages sociaux) pour la société israélienne, et beaucoup de juifs non-pratiquants commencent à trouver ce coût excessif dans la situation actuelle. Une enième loi instaurant un mariage civil et non religieux vient une nouvelle fois d’être rejetée à la Knesset. Globalement, il y a une polarisation de plus en plus grande de la société israélienne: de plus en plus de juifs orthodoxes, et une fracture de plus en plus grande entre pratiquant-e-s et non-pratiquant-e-s.

Il y a donc un équilibre de forces qui bouscule en ce moment dans la société israélienne, entre le poids de plus en plus grand de l’occupation sur la société, la crise économique mondiale qui remet en cause la position économique d’Israël dans le monde, et les tensions croissantes entre orthodoxes et non-pratiquant-e-s. Je pense que le noeud qui se forme en ce moment dans la société israélienne ne pourra pas se dénouer sans des changements profonds dans l’identité de l’état d’Israël, ce qui va induire des changements profonds sur le rapport d’Israël aux palestinien-ne-s. L’élite politique actuelle est profondément liée au complexe financier, sécuritaire et militaire qui bénéficie de l’occupation, mais se retrouve en conflit avec les ultra-religieux (et les ultra-nationalistes qui leur sont liés) qui veulent pousser l’occupation à s’intensifier d’une manière intenable (quand on est au gouvernement, il faut tenir compte de deux/trois petites contraintes matérielles). Les non-pratiquant-e-s juives, elles, voient de plus en plus de leurs revenus passer dans le financement de l’occupation. En plus de ça, les colons religieux poussant à intensifier cette occupation sont aussi les mêmes qui cherchent à avoir une emprise de plus en plus grande sur leurs concitoyen-ne-s non-pratiquant-e-s.

Face à ça, Lieberman incarne une des possibilités de réaction: une droite non-religieuse, mais profondément fasciste et raciste, qui veut à tout prix se débarrasser des palestinien-ne-s dans l’espoir que se débarrasser d’elleux résoudra les problèmes d’Israël. Cette droite prend plus en plus de pouvoir, mais je pense qu’à long terme, elle va devoir faire face au fait que, sans justification religieuse, l’oppression nue et cynique des palestinien-ne-s ne réussira pas à fédérer la population israélienne. Abandonner le versant religieux d’Israël, c’est abandonner le mythe du Grande Israël, et c’est renoncer à plus ou moins long terme à l’occupation, étant donné que l’occupation perdra toute justification. La place de la religion dans la société israélienne est trop importante pour beaucoup de monde en Israël, mais sans projet religieux, quelle identité israélienne ? La seule porte de sortie de cette extrême-droite serait l’expulsion définitive des palestinien-ne-s, une tentative de purifier, de faire disparaître les problèmes, mais ce projet est complètement irréalisable dans l’état actuel des choses.

Y’a-t’il d’autres possibilités de transformation ? Ou plutôt, un mouvement en Israël peut-il empêcher que ce glissement à droite n’en finisse plus ? Peut-être. En ce moment, des luttes sur la question du logement éclatent un peu partout en Israël (des campements des tentes et des manifs, à la manière des Indigné-e-s ailleurs en Europe). Un peu comme chez nous, derrière le logement, il y a la question du néolibéralisme, de la crise financière, … A priori, rien à voir avec l’identité israélienne ou la religion. Sauf que l’essentiel (93 %) des terres israéliennes sont contrôlées par l’état, qui les utilise au compte-goutte. Soulever la question de qui utilise les terres et qui en est propriétaire, pour quelle raison, c’est aller chercher le cadavre caché dans le placard de l’état. Depuis les débuts d’Israël, la gestion du territoires et des terres est une question politique fondamentale, et la politique à ce sujet est menée avec une grande discrétion. Dans un état avec une société aussi fragmentée et conflictuelle, la question de qui peut et doit habiter dans quelle quartier est toujours hautement complexe, que ce soit à Jérusalem, dans une colonie de Cisjordanie ou dans le nord d’Israël. Comment maintenir les équilibres démographiques entre palestinien-ne-s et juif/ve-s (surtout à Jérusalem, mais la question se pose ailleurs) ? Comment préserver le caractère orthodoxe ou non de tel ou tel quartier ? Comment décider d’agrandir ou non telle colonie en fonction de la situation diplomatique ?

Ce mouvement sur la question du logement commence à grandir (le syndical officiel vient d’appeler à rejoindre le mouvement et à une grève générale le 1er août). Je pense que s’il veut aller suffisamment loin dans ses revendications, il va devoir se confronter aux problèmes de la société israélienne, et soulever les question identitaires et, avec elles, la question de la Palestine et des palestinien-ne-s. Je ne sais pas si, actuellement en Israël, des alliances sociales suffisamment fortes peuvent se forger pour articuler un nouveau cadre politique et une nouvelle identité qui peut mettre fin au sionisme dominant. Mais c’est ce qui sera nécessaire pour vraiment obtenir quelque chose face à la droite israélienne qui est à l’affût. La gauche juive n’a jamais réussi à faire un travail de remise en cause des fondements sionistes de l’état d’Israël, et elle a toujours été paralysée par ça. Des futurs mouvements sociaux israélien peuvent-ils dépasser ce cadre ? En tout cas, ils n’obtiendrons quasiment rien sans dépasser ce cadre, et sans se confronter à la base raciste de la société israélienne. D’une manière ou d’une autre, l’identité israélienne actuelle devient de plus en plus problématique, et faire reconnaître à la terre entière le « caractère juif et démocratique » de l’état n’y changera rien. En Israël, la question sociale est profondément imbriquée à la question de l’identité nationale, et derrière tout ça, ce qui est en jeu, c’est la Palestine.

[mise à jour (07/09/11)] Plusieurs partis, syndicats et organisations palestiniennes et israéliennes viennent de s’associer dans une déclaration liant la question de l’occupation et de la colonisation de la Palestine aux luttes sociales en cours en Israël, juste après un week-end de grosses manifs (à peu près 500 000 personnes, d’après les médias) là-bas. Il y a une traduction en français.


2 Comments on “Pendant ce temps, en Israël …”

  1. 1 Name said at 13 h 38 min on juillet 31st, 2011:

    http://communismeouvrier.wordpress.com/2011/07/30/informations-sur-les-protestations-en-israel/

    Dans un article publié le 28 juillet sur son site, le Parti Communiste d’Israël donne quelques informations sur les protestations contre la hausse des prix du logement pendant la journée du 27 juillet.

    Suite à l’intervention des forces de répression, une femme a été hospitalisée à Tel Aviv.

    A Jérusalem, des centaines de protestataires ont manifesté dans la soirée du mercredi 27 vers la résidence du premier ministre Netanyahou pour dénoncer la crise du logement en Israël. Les protestataires ont déclaré que cet appartement n’étant pas utilisé par le ministre qui a aussi deux autres résidences, ils voulaient la « mettre en vente ».

    Pendant la manifestation, les protestataires ont scandé plusieurs slogans dont « la réponse aux privatisations, c’est la révolution » et « le peuple veut la justice sociale ». Pendant la manifestation, les protestataires ont bloqué à plusieurs reprises le trafic routier et ont bloqué pendant plusieurs minutes la rue principale qui mène à la résidence du premier ministre.

    A Tel Aviv, 300 personnes ont manifesté dans la soirée depuis la « ville des tentes » au centre de la ville au Parc Levinsky au sud de Tel Aviv. Les manifestants ont scandé des slogans contre Netanyahou et revendiqué une solution à la crise du logement. La police a attaqué les manifestants lorsqu’ils ont tenté de bloquer une route dans le quartier de Kfar Shalem, et une femme a été hospitalisée.

    Le 27 juillet, les habitants arabes de la ville de Baqa al-Gharbiyye,au nord du pays, se sont joints aux protestations contre la hausse des prix du logement en Israël. Un autre campement de tentes a été mis en place à Saint Jean d’Acre (Akka) par des militants communistes locaux. Des affiches ont été mises sur les tentes où on peut lire : « Bibi, nous aussi nous méritons des logements abordables » et « Bibi regarde nous ». Mohammad Barake, secrétaire de Haddash, est venu participer aux protestations dans la ville et a fait une intervention pour indiquer que les problèmes de logement dans le secteur arabe devaient aussi être pris en compte, et que sinon les protestations allaient se renforcer.

  2. 2 murmures said at 16 h 12 min on juillet 31st, 2011:

    Merci pour le relais d’infos !