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Classe, race et genre, ou l’affaire DSK

Posted: août 29th, 2011 | Author: | Filed under: Genre, patriarcat | 4 Comments »

Ça doit être un grand classique. On croit qu’on peut être choqué-e et surpris-e par rien, et on se retrouve tout indigné-e et tout scandalisé-e par un truc qu’on a même pas vu venir. En ce moment pour moi, c’est l’affaire DSK. Le racisme de la société française (et américaine) je connais, son sexisme aussi, ses fonctionnements de classe itou. Sauf que non, là, ça m’a pété en pleine tronche.

Histoire de mettre les choses au clair dès le départ: je suis sûr que notre cher Dominique a violé Nafissatou Dialo (la femme de chambre en question). Une relation sexuelle violente (avérée dans le rapport légiste juste après l’agression), de moins de dix minutes entre un homme et une femme ne se connaissant pas, sur le lieu de travail de la femme en question, pendant les heures de travail, c’est un viol, point barre. Dire le contraire, c’est à peu près aussi sensé que de dire qu’un mec qui entrerait dans une boulangerie avec un couteau en réclamant du fric, ça ne serait pas un braquage, parce que peut-être l’employé-e aurait pu lui donner librement un partie de son porte-monnaie en le prenant en pitié (« on peut pas être sûr-e, hein« ). Si, en plus, on ajoute le passé de DSK et l’asymétrie incroyable des positions de pouvoir des deux personnes en question, ne pas croire au viol, c’est à peu près comme croire aux licornes.

Ah si, il reste la possibilité d’un complot inter-planétaire vraiment méchant pour discréditer DSK. Hypothèse qui se base sur l’importance supposée de DSK pour le destin de la France, voire même de la planète entière. Comme si le résultat des élections en France était vraiment déterminé par qui se présente au nom du PS. Comme si la politique du FMI était vraiment déterminée par sa présidence. Depuis l’élection d’Obama, au cas où on avait des doutes, on a bien vu que la présence d’un type ou d’un autre aux postes de pouvoir ne change pas grand choses aux grandes décisions. Et là, on parle d’Obama, le président des USA. Alors, dans le cas DSK, je ne crois pas que quiconque ai pu croire influencer solidement quoi que ce soit en se débarrassant de ce type. A part les médias français, en vrai, DSK importe peu à peu de gens.

D’autant plus que la forme du soi-disant complot semble très très foireuse. Les pros des coups tordus ont toujours utilisé d’autres méthodes: le FBI des années 70 et son programme COINTELPRO de destructions des « organisations subversives » a toujours plus tapé dans les histoires de drogues et les fausses rumeurs propagées pour diviser les gens, du genre « untel a dit ça sur toi, j’te jure » (bon, il y a aussi eu divers assassinats, mais dans le cas de DSK, ça semble inapplicable). Citer ne serait-ce qu’une seule figure publique qui aurait eu à se retirer d’une position politique à cause d’une affaire de viol montée de toute pièce est à peu près impossible (je dis à peu près parce que je ne suis pas omniscient). Cette histoire de fausse accusation pour viol est surtout un cliché cinématographique, une variation autour de la représentation profondément sexiste de la femme fatale.

Alors oui, je crois qu’il l’a violé, mais ce qui est dingue à mon sens, c’est ce qui n’a pas été dit autour de cette histoire, les grilles de lecture qui n’ont pas été utilisées, pas mobilisées, pas approfondie, alors que cette affaire s’y prête tellement.

Le premier truc qu’on oublie très vite et dont on ne parle pas, c’est que Mlle Dialo travaillait. Quand tout ça est arrivé, elle était au boulot. Son boulot, c’est un de ces nombreux travail de service qui sont essentiellement effectués par des femmes, boulots plutôt mal payés, précaires et éprouvants. Pour moi, ça amène des questions. Tiens, par exemple, est-ce que les femmes de chambre font beaucoup face à ça, les viols et les agressions sexuelles ? Se sentent-elles en sécurité dans leur boulot ? Sont-elles soutenues par leur direction en cas d’agressions ? On parle quand même d’une femme violée sur son lieu de travail dans un travail qui, par nature, suppose d’être au contact de client-e-s, essentiellement des clients d’ailleurs dans ce genre d’hôtel. Dans quelle mesure cette agression n’est-elle pas liée à son travail, et donc ne devrait pas déboucher sur une indemnisation spécifique ? Quand un ouvrier tombe de plusieurs mètres dans un chantier de construction, c’est considéré comme ayant un lien avec son travail. Là non. On ne parle pas de Nafissatou en tant que travailleuse.

Il y a pourtant des questions politiques passionnantes: pourquoi ces boulots-là sont-ils essentiellement féminisés, et dans quelle mesure ça contribue encore à placer des femmes dans des situations où elles peuvent facilement être agressées ? Au-delà de la question des agressions, comment se vivent ces rapports de genre au quotidien dans ce genre de boulot ?  Personne dans les médias, dans les syndicats ou dans les orgas de gauche n’a vu cette affaire comme une occasion de parler des conditions de travail dans les métiers de ce genre, de parler de leur féminisation, de la non-reconnaissance d’une réelle qualification, du fait que ce type de salariat est un laboratoire des pratiques patronales les plus crades … En somme, il y a plein de questions fondamentales liées au travail et au salariat à aborder, mais on en fait une « affaire de moeurs ». Comme si il n’y avait pas de questions de classe derrière tout ça.

Plutôt que de parler de ça,  cette affaire a automatiquement été placée sous le signe de la « vie privée ». Du point de vue de DSK, ça a peut-être vaguement un sens. Mais du point de vue de Mlle Dialo, ça n’en a aucun. Elle était sur son lieu de travail, personne de son entourage n’a été impliqué: en quoi ce viol relève-t’il de la sphère privée pour elle ?  Vu que ça implique du sexe, c’est forcément une « histoire privée », n’est-ce pas ? Et, en fait, vu que toute interaction entre un homme et une femme est vue sous une dimension sexuée, et bien tout ce qui se passe entre un homme et une femme, c’est de l’ordre de la « vie privée ». Simple non ? Derrière tout ça, une bonne vieille séparation sexiste: public pour les hommes, privé pour les femmes. Même au boulot, même dans la rue, une femme, quelque part, il ne lui arrive que des trucs privés. Si un client me fout un poing dans la gueule au boulot, les gens ne vont pas se demander « ce qui peut bien s’être passé entre nous » avant d’intervenir. Mais pour une femme, apparemment, ça fonctionne comme ça.

Et c’est le statut auquel Nafissatou a eu droit: « une femme« . Ce déni de la dimension de classe que j’ai mentionné tout à l’heure, il fonctionne pour cette raison. Parce que, fondamentalement, elle ne restait qu’une femme, sans attributs très précis. Automatiquement, sa défense était une question de femmes, une question uniquement et strictement féministe. D’ailleurs, il n’y a (là encore, à ma connaissance), que des organisations féministes (et des femmes) qui ont dit des trucs futés sur la question en France.

Tiens, elle a menti pour obtenir son entrée aux USA. Qu’est-ce que ça veut dire de nos politiques migratoires quand des gens sont obligé-e-s tous les jours de mentir pour réussir à s’installer et travailler dans nos pays ? On ne peut pas dire que Mlle Dialo se soit avérée être une dangereuse terroriste, et pourtant, elle ne serait jamais rentrée sans mentir. Vu les débats qu’il y a en France autour de la question des migrations, on aurait pû relier tout ça, se rendre compte que c’est la même logique qui la place dans une situation à priori illégale là-bas comme ici, et qui se retourne à posteriori contre elle quand elle doit faire face à la justice. Parce que le mieux, pour ne jamais mentir, c’est de ne jamais avoir à le faire, et ce privilège, les personnes migrant-e-s ne l’ont pas. Beaucoup de foin a aussi été fait autour du fait qu’elle a appelé un détenu pour lui parler de l’affaire. Paff, détenu = vilain criminel = horrible racket pour extorquer des thunes à DSK. Sauf que Mlle Dialo est noire, et une quantité absolument astronomique de la population noire américaine passe à un moment ou à un autre par la prison (à un instant t, les noir-e-s représentent 40% de la population carcérale des USA). Donc elle avait des chances, en voulant parler à un proche, de se retrouver à appeller un-e taulard-e. C’est comme ça, et ne pas tenir compte de cet état de fait, c’est ne pas tenir compte de la situation de Nafissatou.

Ce que j’essaie de dire, c’est que tout est là dans ce viol: la classe, le genre, la race. Tout contribue à faire de Mlle Dialo une mauvaise victime, une victime pas assez propre sur elle, pas assez parfaite. En fait, quand je dis que tout contribue, je parle des structures de domination, chacune travaillant de manière complémentaire aux autres pour empêcher la parole. L’articulation des dominations, elle est concrètement à l’oeuvre dans ce viol et dans la manière dont il a été nié: de chaque point de vue, Nafissatou était soit trop, soit pas assez. Elle ne correspondait pas à la victime stéréotypée de viol que nos sociétés sont à peine prêtes à reconnaître du bout des lèvres, alors elle n’avait aucune chance. Le truc, c’est que pour vraiment faire le procès de DSK, dans cette situation, il faudrait faire le procès de toute notre société contemporaine, celle qui envoie les immigré-e-s en taule pour ensuite les forcer à se contenter de miettes, qui prétend « émanciper les femmes » en Afghanistan tout plaçant les femmes migrant-e-s dans des situation intenables et horrible, celle qui est tellement « féministe » que les femmes y font en majorité (quand elles travaillent) des travails précaires et éprouvants les plaçant régulièrement en danger, celle qui réorganise toute la structure du travail pour empêcher les travailleureuses de se défendre matériellement sur leur lieu de travail.

L’articulation des dominations elle est là, dans le fait que derrière chaque viol, la race et la classe ne sont jamais loin. Que le racisme se mélange constamment au sexisme. Que la réorganisation du marché du travail se fait selon des lignes de genre et de race. Le fait qu’il n’y ait eu que des organisations féministes pour porter une parole censée dans cette affaire, c’est un échec. C’est un échec parce que ça vaut dire que les questions de genre sont toujours considérées comme des « question de nana », mais c’est aussi un échec parce que ça veut dire qu’on ne voit pas que toutes ces questions sont liées, que les question ne sont jamais que des questions de genre. Tout comme les questions de classe ne sont jamais que des questions de classe. Qu’on ne voit pas que la réalité dans laquelle on vit est, très concrètement, au quotidien, à la fois patriarcal, raciste et capitaliste, ce qui veut dire que pour analyser et intervenir politiquement sur une situation, il faut intégrer les trois grilles de lecture.

Pour moi, cette affaire DSK, ce viol, ça veut dire qu’on a du boulot, beaucoup de boulot.

[mise à jour (29/08/11)] Entre temps, j’ai découvert par l’intermédiaire de la très chouette Mademoiselle qu’un bouquin allait être publié chez Syllepse à ce sujet: Un troussage de domestique (d’après la délicieuse petite phrase de Jean-François Kahn au sujet de ce viol). Vu que c’est Christine Delphy qui coordonne le bouquin, ça donne confiance. J’en parlerais probablement ici dès qu’il sort.

[mise à jour (13/09/11)] Un troussage de domestique est très bien, mangez-en ! Enfin, plutôt lisez le. Attention quand même à savoir si vous avez l’estomac d’humeur à entendre des saloperies sexistes, racistes et classistes. Même démolies sur un ton offensif, ça peut déprimer à force. En tout cas, pour une compilation de texte, j’ai rien trouvé qui ne m’aie pas intéressé et apporté un nouveau regard sur l’affaire. Voilà. L’introduction a été mise en ligne ici.

[mise à jour (06/10/11)]] Même si elle ne parle pas de licornes (et c’est bien dommage), Mademoiselle résume les hypothèses autour de « ce qui a bien pu se passer dans la chambre du Sofitel » de son habituelle manière acide et efficace: La thèse d’Ivan Levaï (et des autres).


4 Comments on “Classe, race et genre, ou l’affaire DSK”

  1. 1 Christine said at 19 h 06 min on août 29th, 2011:

    « beaucoup de boulot. » Au moins… 🙁

  2. 2 murmures said at 11 h 41 min on août 30th, 2011:

    Qu’est-ce que tu veux dire par là, je suis pas sûr de suivre 🙂

  3. 3 Name said at 11 h 23 min on septembre 4th, 2011:

    j’ai une autre analyse tout de même. Il a été prouvé que Mme Diallo \offrait\ des \prestations sexuelles\ aux clients de l’hotel. Cela ne nie en aucun cas le viol (on peut violer une femme, même en la payant derrière pour se filer bonne conscience) mais explique le simple fait qu’elle ait été présente dans cette fameuse chambre en même temps que DSK. Cela soulève d’autres questions interessantes ceci dit: Pourquoi se prostituait elle en supplément de son travail? Pourquoi les la violences de réactions à été si atténué à l’annonce de cette nouvelle (bah oui ma petit dame le viol c’est les risques du métier, quand on fait ça faut pas s’étonner)?

  4. 4 murmures said at 12 h 20 min on septembre 5th, 2011:

    Est-ce que ça a vraiment été prouvé ? J’ai vu cette idée flotter à droite à gauche, mais jamais en se basant sur autre chose que des rumeurs et des racontars. T’as un lien vers une source crédible quelque part ?

    Ce qui me fait douter de cette prostitution, c’est qu’aucun échange de monnaie n’a été constaté par la police dans le cas qui nous occupe. Et, en plus, je ne comprend pas pourquoi DSK n’aurait pas utilisé cette défense. A ma connaissance, il a toujours affirmé que la relation avait été consensuelle, mais pas tarifée. Et puis, une prostituée en dix minutes, juste avant de prendre l’avion ? Vraiment ?

    Cela dit, comme tu le rappelle très bien, ça ne change pas grand chose au shmilblick 🙂