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loyauté

Posted: novembre 16th, 2009 | Author: | Filed under: Murmures | Commentaires fermés sur loyauté

un jour, une amie très proche m’a dit (grosso modo hein, je garantis pas l’exactitude des termes) : "Je crois qu’on fonctionne pareil avec nos amitiés. T’es comme moi, t’as une logique de clan : ça veut dire que, quoi qu’il se passe, tu vas d’abord défendre tes ami-e-s s’illes sont attaqué-e-s, quite à t’engueuler après coup avec elleux si tu trouves qu’illes ont fait une erreur".

quelques années plus tard, une autre amie très proche (admirez mon talent pour les formules vagues) m’a dit quelque chose qui est assez similaire je crois, mais sous un angle un petit peu différent. Elle, elle parlait de "loyauté", elle disait qu’elle était très loyale avec ses ami-e-s proches, une loyauté inconditionelle qui faisait qu’elle les soutenait toujours en cas de besoin, mais qui ne l’empêchait pas d’avoir des prises de gueules très fortes et des discussions houleuses par ailleurs. j’ai pu constater et être impressionné par la manière dont elle fonctionne là-dessus, par le sens qu’elle mettait effectivement à cette loyauté. elle tient une position de soutien fort en cas de besoin, quite à s’engueuler avec des gens si nécessaire, même si elle n’est pas concernée directement, mais elle est en même temps franche et exigeante sur ce que font ou disent ces mêmes gens envers qui elle est loyale.

moi, pour ma part, j’ai souvent formulé ça comme ça: "soutenir d’abord, s’engueuler ensuite si nécessaire".  c’est la même logique qui veut que quand des gens risquent de se faire chopper par les flics, on les sort d’abord de là, et seulement ensuite on pinaille sur le fait de savoir si on est d’accord ou pas avec ce qu’illes étaient en train de faire. "soutenir d’abord", c’est important parce que quand des ami-e-s sont attaqué-e-s, c’est un abandon assez douloureux de se mettre dans ‘l’autre camp’ pour leur faire la morale, et ça ne débouche en général sur rien de bon. "s’engueuler ensuite si nécessaire", c’est important aussi parce que ce soutien inconditionnel n’a de sens que si on peut faire évoluer ce qui nous partage, si on arrive à pas se renfermer dans des amitiés exclusives où tout ce qui est en dehors du cercle n’est qu’un-e ennemi-e dont on se méfie. toujours soutenir béatement ses ami-e-s, ça pollue les liens au bout d’un moment, et vouloir toujours "faire ce qui est juste" sans épauler les camarades quand illes sont isolé-e-s, ça revient parfois à leur foutre un coup de couteau dans le dos en disant "c’est pour ton bien".

récemment, je me suis dit que ce mot de loyauté employé par ma deuxième amie pour parler de ça (‘fin, je crois que c’est de ça dont il s’agit, sous réserve qu’elle m’apprenne que j’ai rien compris à ce qu’elle a dit), il me plaisait bien. sauf qu’en fait c’est plus compliqué que ça.

il y a quelques jours, en discutant avec mon amoureuse, ou plus précisément en essayant avec elle de formuler des choses, je me suis aperçu qu’un nœud très très problématique de ma vie se jouait autour de cette question de l’application de cette loyauté à des histoires amoureuses.

je disais qu’une de mes grandes terreurs dans l’existence, c’était de croire pendant longtemps avoir un lien fort avec quelqu’un-e, pour ensuite me rendre compte que, quand je suis pas là ou après la fin de la relation ou au détour d’une conversation ou d’autres situations de ce genre, la personne balançait des saloperies sur moi. pour moi, les saloperies, c’est les choses qu’on dit pour faire mal, qu’on dit en sachant qu’on exploite un point de faiblesse. les saloperies, c’est le célèbre "de toute façon, t’es comme ta mère" détestable qui sort pendant une engueulade de couple de film. je disais que c’était un point fondamental de mes relations, d’essayer de les construire sans saloperies, sans que l’un-e ou l’autre utilise à un moment les faiblesses qu’ille a découvert sur la personne pour blesser, pour rabaisser, pour pourrir l’autre. ne pas faire de saloperies, pour moi, c’est respecter l’intimité présente ou passée. ça n’empêche pas de se prendre la gueule, de dire des choses dures quand c’est nécessaire, mais je vois un peu ça comme un ring de boxe : tu peux taper, mais y’a des coups bas à ne pas utiliser. c’est une autre manière de formuler cette histoire de loyauté par exemple, au sens où derrière, il y a la même idée de ne pas charcler dans les situations de faiblesse.

en fait, souvent, ces saloperies, je crois qu’elle font si mal parce qu’elles jouent sur des rapports de pouvoir, sur des mécanismes sociaux de domination, qu’elles ramènent souvent tout le poids de la norme dans la gueule de la personne visée. souvent, ces saloperies, elles fonctionnent en rappelant à la personne qu’elle n’est qu’un-e femme/noir-e/loosereuse/mocheté/pauvre/handicapé-e affectif/… des différentes saloperies que je me suis prises dans la gueule (et j’ai rencontré des gens assez créatifs là-dessus, qui se reconnaîtront peut-être un jour je l’espère. big up !), j’ai déduit qu’elles fonctionnaient souvent en ramenant la personne à sa place, en lui rappellant que, quoi qu’elle fasse, finalement, elle ne restait qu’un-e *bip*.

c’est là que le problème se trouve quand on mélange ça avec des relations amoureuses. les relations hétéro (j’ai qu’à parler que des relations hétéro, vu que j’en ai jamais eu d’autres) sont assez saturées de représentation assez nazes et assez répandues socialement à propos de comment elles doivent fonctionner, quel doit être le rôle de "l’homme" et le rôle de "la femme" par exemple, et c’est encore renforcé par la composante sexuelle de l’histoire, étant donné que dans notre société, le sexe est saturé de mécanismes de pouvoir et d’imaginaires pas clairs. à partir de là, ça donne des relations qui ne démarrent pas vraiment sur une base égalitaire ou loyale, et donc, tous les coups sont souvent permis. et là, en disant ça à ce point de la discussion, je me suis rendu compte qu’une de mes peurs fondamentales dans mes relations amoureuses venait de là, du fait que j’avais l’impression que c’était beaucoup plus difficile de construire des relations amoureuses fonctionnant de manière chouette, claire, et loyale, et que donc, j’avais une trouille féroce que les engagements de loyauté ne soient pas tenus et que je me retrouve à un moment avec mes points faibles connus et utilisés dans la joie et la bonne humeur.

disons que j’ai l’impression de gérer à peu près dans mes histoires amicales pour essayer de constuire un terrain de confiance où les mécanismes de domination sont suffisament neutralisés/atténués/conscientisés pour qu’il soit possible que ça ait du sens d’être loyaux/ales les un-e-s envers les autres, mais que cette même construction me semble beaucoup plus difficile dans le cas de relation affectivo-amoureuse, étant donné que s’il y a bien un endroit où les mécanismes de pouvoir se lâchent, c’est là. 

pour l’instant, j’en reste là, mais après le texte sur les jalousies, c’était un nouveau texte où j’essaie de mettre au clair des choses intimes que je travaille en ce moment.


jalousie(s)

Posted: novembre 5th, 2009 | Author: | Filed under: Murmures | 1 Comment »

en ce moment, ça m’arrive régulièrement de me sentir jaloux. j’ai toujours détesté ce sentiment. je le trouve merdique, dangereux, assez idiot. j’ai passé un bout considérable de ma vie à essayer de ne pas le faire exister. intimement et politiquement, il me pose problème parce que j’ai toujours l’impression qu’il est très lié à des logiques de contrôle, de flicage des gens. j’ai aussi souvent eu l’impression que c’était un sentiment particulièrement fort chez les garçons, et assez lié à la masculinité.

vu que je suis jaloux assez régulièrement en ce moment, j’ai passé un certain temps à y réfléchir. je me suis dit que j’avais deux jalousies différentes, une que je ressentais avec mes ami-e-s, et une que je ressentais avec les personnes (vu que je suis hétéro, ça veut dire les filles) avec lesquelles j’avais des histoires amoureuses. différentes en terme d’intensité, mais aussi dans la façon dont ça produisait des choses en moi. 

ma jalousie avec mes ami-e-s, je la ressens quand illes font des choses chouettes alors que moi je m’emmerde, ou quand illes font des choses que j’aurais beaucoup aimé faire mais que je peux pas faire avec elleux. l’élément qui déclenche cette jalousie, c’est une frustration de ne pas pouvoir faire quelque chose, doublé d’une injustice, du fait que je ne vois pas pourquoi elleux feraient ça, auraient droit à ça, sachant que moi je suis là à me morfondre. c’est pas juste, je les envie, alors je suis jaloux.

en général, c’est une jalousie assez bénigne : je l’exprime, je râle, je leur en parle, et puis je me fais une raison en trouvant des choses autres à faire. souvent après, mes ami-e-s étant souvent des gens attentioné-e-s, illes font un petit truc gentil (des pizzas, des pizzas !) pour me consoler, et ça roule. et puis, en fait, les voir raconter ça après, sentir que c’était chouette, qu’illes se sont fait plaisir et qu’illes sont plus heureux/ses après, ça me donne de la joie aussi.

l’autre jalousie, la jalousie amoureuse, elle fonctionne pas pareil. elle commence aussi avec quelque chose qui lui plaît que fait une personne que j’aime, sauf que cette fois, ce qui m’énerve, ce n’est pas tant le fait que la personne fasse des trucs plaisants et pas moi, c’est que la personne fasse des trucs plaisants sans que ça soit avec moi. y’a pas de frustration ou d’injustice en jeu, juste l’impression que la personne devrait ne faire des trucs plaisants qu’avec moi. ce qu’il y a en jeu derrière, c’est une volonté de contrôle, une paranoïa qui fait que j’ai l’impression que la personne va forcément s’éloigner inéluctablement de moi si elle commence à faire des trucs chouettes avec d’autres gens.

le point commun de ces deux sentiments qui fait que je les appelle tous les deux "jalousie", c’est qu’ils impliquent tous les deux une (ou des) personne(s) que j’aime qui fait quelque chose sans moi. la différence entre ces deux sentiments est que dans le premier cas, je prends comme un état de fait ce qui se passe, que je l’apaise comme je cherche à apaiser tous mes ressentis désagréables : en faisant des choses agréables à la place, et en en parlant, en mettant en partage ce ressenti avec d’autres gens pour lui permettre de passer ; dans le deuxième cas, je n’accepte pas ce qui se passe, je trouve qu’il faut absolument que je fasse quelque chose, sinon ça va signifier que la personne va disparaître de ma vie, et d’ailleurs elle a pas le droit de faire ce qu’elle fait, elle devrait être avec moi là tout de suite. dans le premier cas, j’ai envie de mettre en partage le sentiment avec les personnes concernées, même si je suis un peu gêné ; dans le second cas, je suis en colère et méfiant vis-à-vis de la personne en question : je la soupçonne de vouloir m’arnaquer.

je ne crois pas avoir jamais ressenti la deuxième forme de jalousie hors d’une histoire amoureuse. bien sûr, les deux sentiments ne s’excluent pas complètement, et il y a une partie de jalousie "amicale" dans mes jalousies "amoureuses" puisque je suis aussi très ami avec les personnes dont je suis amoureux. mais, même si la barrière n’est pas si tranchée que ça, je sais clairement que je ressens l’une et l’autre jalousie. je peux voir des différences claires dans mon état intérieur. dans un cas, je suis triste et un peu frustré, dans l’autre je suis apeuré, en colère et j’ai une impression d’urgence assez étouffante.

d’où elle vient cette différence ? pourquoi est-ce que ça fait une telle différence que je sois ami ou amoureux de quelqu’un-e ? je ne crois pas que ça soit une différence dans l’intimité ou la proximité que j’ai avec la personne dans les deux cas : je peux être beaucoup plus proche de certain-e-s de mes ami-e-s que de certaines des personnes avec qui j’ai eu des histoires amoureuses.

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Pièges théoriques (III)

Posted: septembre 11th, 2009 | Author: | Filed under: Murmures, Tiqqun | Commentaires fermés sur Pièges théoriques (III)

J’ai dit précédemment que je croyais que les deux pièges théoriques que j’ai vu chez Debord et Mao fonctionnent de la même manière. Dans les deux cas, il s’agit d’associer des mots d’une manière bien particulière, de les faire fonctionner dans une sorte de boucle qui permet à un jeu de pouvoir et de contrôle de s’établir. Plus précisément, comment fonctionne cette association ?

Chez Debord, les deux mots associés sont réel et spectacle; chez Mao, il s’agit de peuple et de socialisme. Chez l’un comme chez l’autre, cette association est une sorte d’équivalence: le réel est maintenant spectaculaire, et le spectacle tend à devenir le réel chez Debord; le socialisme réalise les intérêts du peuple et les intérêts du peuple se réalisent dans le socialisme chez Mao. Je parle d’équivalence dans le sens où il y a une définition mutuelle des deux mots, qui fonctionne dans un sens (par exemple le réel définit le spectacle) comme dans l’autre (le spectacle définit le réel), mais aussi dans le sens où il n’y a rien d’autre dans ces mots que cette définition mutuelle (le réel n’est rien d’autre que le spectacle, et inversement). Cela dit, malgré le fait qu’une sorte d’équivalence soit posée dans mes deux exemples, les deux mots associés ne sont pas traités comme de simple synonymes, ils conservent tous les deux une vie propre et sont utilisés dans des contextes différents. C’est là que se crée une boucle entre deux définitions s’appuyant en quelque sorte l’une sur l’autre pour exister, mais sans que les deux soient réduites à un même sens et à un même usage: les deux mots ainsi associés sont infiniments proches mais quand même irréductiblement différents.

Un autre élément de cette étrange association de mots c’est que les mots associés ne sont pas des mots à définition simple: derrière la définition de ce qu’est le réel, le peuple ou le socialisme il y à chaque fois un enjeu au minimum philosophique (je suis sûr que "Qu’est-ce que le réel ?" a été au moins quelques fois un sujet de bac de philo), et un enjeu plus important qui est politique. C’est pour ça qu’il est intéressant de ficeler cette boucle, de réaliser cette association: ça permet de se positionner politiquement et d’organiser une vision du monde autour des définitions qu’on propose. Le fait d’avoir et de tenir une définition de ces mots permet d’intervenir par rapport aux enjeux politiques qu’ils impliquent. C’est là que le piège se fait: en utilisant ce tandem de définitions, on tranche des questions importantes, ce qui donne une position de force et permet de donner une cohérence à sa vision du monde; mais, en construisant ainsi deux définitions qui sont un peu bancales puisqu’elles doivent s’appuyer l’une sur l’autre, on n’affronte pas vraiment les difficultés et les enjeux de départ.

Le résultat de ce mode d’association de mots c’est une définition un peu oscillante, vacillante, où il n’y a pas vraiment de point d’accroche vraiment stable, mais un processus perpétuel de critique-élaboration-critique-… Je pense que c’est là que se glisse le jeu de pouvoir, par cette situation de critique perpétuelle créée par cet équilibre instable entre mots, étant donné que ce n’est pas possible de se raccrocher à une définition stable et précise. Le terrain théorique que crée Mao ou Debord est à la fois fascinant parce qu’il peut permettre trancher dans les problèmes par l’intermédiaire d’une ‘dialectique’ si souple et si agile offerte par le fait d’avoir pris position sur des enjeux importants ("Qu’est-ce que le réel ?", "Qu’est-ce que le socialisme ?", …) et terriblement fragile puisque les positions nouvelles reposent en réalité sur un tour de passe-passe qui oblige à jongler constamment. D’où la fuite en avant constante vers des positions toujours nouvelles qui se développe quand on parle le ‘mao’ ou le ‘situ’: plus il devient difficile de jongler, plus on doit s’avancer pour aller chercher les balles qu’on risque de louper (essayez d’apprendre à jongler, vous allez voir, ça ressemble beaucoup à ça au début), et seule les meilleur-e-s peuvent suivre. 

Où est-ce que je veux en venir avec tout ça ? En fait, je voulais reparler de Tiqqun (revue à laquelle j’ai consacré des notes). Dans le numéro 2, il y a un texte assez génial et fascinant qui s’appelle Thèses sur les communautés terribles. Une "communauté terrible", c’est en quelque sorte un déchet du Parti Imaginaire, un groupe qui a tenté l’exil hors du monde de l’Empire mais qui n’a pas réussi. Avec quelques camarades de l’époque, on a beaucoup lu et aimé ce texte, qui décrit avec beaucoup de justesse et de clairvoyance ce qui se passait dans les ‘milieux’ révolutionnaires, autonomes, gauchistes, … C’est un texte dur, mais qui met le doigt sur beaucoup de rapports glauques qui nous bouffent constamment la vie, même (et peut-être) surtout quand on veut lutter contre le capitalisme. La communauté terrible, c’est toi, c’est moi, c’est nous, c’est tout le monde, et ça fait du bien de taper sur nos formes de socialibilisation merdiques, des fois, sans attaquer les ‘vilain-e-s citoyen-ne-s’, mais plutôt en critiquant nos camarades.

Au fur et à mesure de mes interrogations sur Tiqqun, j’ai commencé à être aussi un petit peu irrité par ce texte, mais je n’arrivais pas à comprendre pourquoi.  A un moment j’ai compris. Ca tient en une phrase: "Aucune sortie de la communauté terrible n’est possible sans la création d’une situation insurectionnelle, et inversement". Cette fois, la boucle se forme entre la "communauté terrible" et "l’insurrection" mais les deux font la même danse que le "réel" et le "spectacle" chez Debord ou que le "socialisme" et le "peuple" chez Mao. Là encore, il y a une vraie fascination pour ce texte qui vient de cette force d’attaque de nos rapports "impériaux" qu’on reproduit dans la communauté terrible, mais on se retrouve sans vraie aide pour penser cet "écart" assez insaisissable entre les "intensités" circulant dans le Parti Imaginaire et leur étouffement impitoyable dans les communautés terribles, de la même manière qu’on se retrouvait sans vraie aide pour penser la vie authentique et réelle à opposer à nos vies spectaculaires-marchandes en lisant La Société du spectacle, ou pour penser "l’unité fondamentale des intérêts du peuple" face aux masses inconscientes en lisant Mao. Plus encore, cette même force de critique peut être utilisée tranquillement par des apprenti-e-s chef-fe-s pour démolir tranquillement toute position, puisque toute position peut-être conçue comme entretenant une communauté terrible, comme toute position adverse pouvait être spectaculaire-marchande chez Debord ou petite-bourgeoise chez Mao. Piège théorique là encore, et qui je crois fonctionne plutôt très bien. 

Je crois que je suis arrivé là où je voulais en venir, maintenant. Y’a encore des choses par rapport à tout ça qui me trottent dans la tête, donc je vais probablement m’étendre encore sur des histoires proches à d’autres moments, mais ce serait dans d’autres textes, et sûrement sur un autre axe. 

PS: Là encore, si ça a pu vous intéresser (ou même vous ennuyer) ce que je dis, laissez des commentaires. Si ça vous parle ou que ça vous touche, probablement j’ai envie d’en parler avec vous.


Pièges théoriques (II)

Posted: septembre 2nd, 2009 | Author: | Filed under: Murmures | Commentaires fermés sur Pièges théoriques (II)

Pour continuer autour de cette question des pièges théoriques, je vais jetter un oeil à un texte de Mao des années 60 qui avait commencé à me faire réfléchir là-dessus.

Le texte s’appelle De la juste solution des contradictions au sein du peuple (tout un programme …), il est lisible ici, et il fait partie des textes de Mao réédités récemment en version papier aux éditions La Fabrique (plus d’infos ici). Au vu du titre, le thème du texte est clair: il s’agit de parler de la "résolutions des contradictions", plus particulièrement des contradictions à l’intérieur du "peuple", même si le texte parle aussi de "nos ennemis".

Quel est ce "peuple" dont Mao parle ? Assez simplement, "à l’étape actuelle" (par opposition à d’autres moments historiques), le "peuple" en Chine, c’est "toutes les classes et couches sociales, tous les groupes sociaux qui approuvent et soutiennent [l’]édification [socialiste]", et qui, encore plus, "y participent" (tout ce que je cite pour l’instant se trouve au début du point 1 du texte). Pour enfoncer le clou et rendre les choses encore plus claires, Mao ajoute que, logiquement, "toutes les forces sociales qui s’opposent à la révolution socialiste […] ou s’appliquent à la saboter, sont les ennemis du peuple". Qui réalise la révolution socialiste ? Le gouvernement de la République Populaire de Chine, évidemment: ainsi, "notre gouvernement populaire est l’authentique représentant des intérêts du peuple". Aux deux termes qu’il connectait au départ, "socialisme" et "peuple", Mao en lie donc deux autres, qui sont "gouvernement" et "intérêts". Le peuple, c’est la partie de la société qui soutient la construction socialiste, et les intérêts du peuple sont représentés par le gouvernement socialiste. Tout le texte tourne autour de ça: la "résolution des contradictions au sein du peuple" qui donne son titre au texte est possible parce qu’il y a une "identité fondamentale des intérêts du peuple", c’est-à-dire que le peuple a des intérêts clairement identifiables, déterminables, sans ambiguïtés ni contradictions. Le fait que le gouvernement et les dirigeants socialistes puissent être en contradiction sans que ce soit insurmontable n’est possible que grace à cette identité des intérêts du peuple, qui permet de trancher les conflits. Dans le reste du texte, Mao ne fait d’une certaine manière que développer ce schéma de départ.

Ce schéma est particulièrement clair, sauf qu’il fonctionne de manière circulaire: le peuple est défini en fonction du socialisme, et le socialisme en fonction du peuple. Les deux termes se retrouvent ainsi liés ensemble sans que l’un ne puisse expliquer plus précisément l’autre: le peuple, c’est la fraction de la société qui appuie le socialisme, qui est lui-même la réalisation des intérêts du peuple, qui est la fraction … on pourrait continuer longtemps comme ça, en circuit fermé. L’effet de ce circuit fermé est de créer un outil de pouvoir particulièrement efficace: toute attaque contre le gouvernement socialiste peut devenir une attaque contre les intérêts du peuple, donc contre le peuple lui-même, ce qui conduit à devenir un-e ennemi-e du peuple, et à subir en tant que tel la "dictature populaire" que Mao décrit dans la suite du point 1; inversement, il est parfois nécessaire de faire comprendre au peuple ses intérêts, de "l’éduquer au socialisme", voire même de le remettre dans le droit chemin par la force s’il le faut, c’est-à-dire s’il se fait du mal à lui-même en oubliant temporairement ses vrais intérêts. Le texte est écrit en 1957, un an après l’insurrection de 1956 en Hongrie qui a été écrasée par l’Armée Rouge, et Mao dit clairement ce qu’il pense de tout ça en rappellant que se "dresser contre le gouvernement populaire" est "contraire aux intérêts des masses populaires". Même si "une partie des masses" a participé à cette insurrection, c’est qu’elle était "trompée par les forces contre-revolutionnaires" et, au final, c’est le peuple lui-même qui en a "pâti". Pour reprendre les mots de Mao, cette association "gouvernement socialiste" = "intérêts du peuple" est une arme de "lutte idéologique" très efficace.

En fait, que ce soit à l’intérieur du peuple ou entre le peuple et ses ennemi-e-s, les contradictions, bien que "différentes" dans les deux cas, ce qui est le point que Mao essaie de développer dans ce texte, ne peuvent être résolues que par "l’unité", unité rendue possible par "l’identité fondamentale des intérêts du peuple" dont j’ai déjà parlé plus haut. On reconnaît les ennemi-e-s du peuple par qu’illes sont hostiles au socialisme, et donc hostiles aux intérêts du peuple, et on tranche les questions internes au peuple en trouvant la ligne juste, en "séparant le vrai du faux", ce qui ne peut être fait qu’en trouvant les intérêts du peuple. En mettant ainsi en avant les intérêts du peuple, critère central pour juger de tout, Mao se met en position d’être interprète et juge de toutes les situations puisque ces fameux intérêts du peuple ne sont jamais définis clairement et que ce n’est pas le peuple lui-même qui peut exprimer ses intérêts puisqu’il les perd parfois de vue (là encore, l’exemple de la Hongrie est utile). A partir de cette position, Mao peut à la fois refuser le "gauchisme" qui divise le peuple en voyant des ennemi-e-s là ou il n’y en a pas pas et le "droitisme" qui cède à la bourgeoisie en la voyant comme une partie du peuple alors qu’elle est l’ennemie du socialisme: les deux lignes ne reflètent pas les intérêts du peuple, elles ne sont donc pas des lignes justes. Il jouera magistralement cette partition pendant la Révolution Culturelle des années 60, puisqu’il réussit à ce moment à tenir à la fois le rôle de plus grand agitateur de Chine, de président de cet Etat précis qui est attaqué pendant l’agitation de cette période, et de vieux leader qui siffle la fin de la récré en mattant l’agitation, tout ça sans jamais être attaqué directement.

C’est dans ce texte que j’ai pensé pour la première fois à cette idée de piège théorique, même si je n’avais pas encore mis de nom dessus. Mao construit tout un terrain théorique qui l’avantage énormément puisqu’il ramène tous les problèmes politiques, éthiques, toutes les divergences, à une interprétation, une évaluation des "intérêts du peuple" qu’il est en position idéale pour faire, puisqu’il bénéficie de la parole peut-être la plus écoutée de Chine à cette époque. Ce que je vois en commun dans les deux mécanismes théoriques dont j’ai parlé ici, c’est à dire celui de Debord et celui de Mao, c’est leur effet de créer un terrain théorique qui fonctionne à merveille pour donner une position de pouvoir.

  1. Le terrain théorique créé est dans les deux cas très large, il inclut presque tout (le Spectacle, c’est toute la réalité chez Debord; la ligne juste de Mao qui est la ligne "populaire", est valable au niveau politique, artistique, social, …), ce qui permet de porter la critique un peu partout et donc d’amener les gens sur son terrain.
  2. Malgré le fait que le terrain soit englobant, il y a toujours une frontière, une ligne entre un intérieur et un extérieur, et cette ligne est vraiment fondamentale. Chez Mao, il s’agit de savoir qui est membre ou ennemi du peuple, chez Debord de savoir quel vie est authentique, vraie, et quelle autre est spectaculaire-marchande.
  3. Au final, cette frontière n’est pas déterminée par des critères très précis, ce qui la laisse flottante, inquiétante; elle peut donc fonctionner facilement pour inclure ou pour exclure. Les intérêts du peuple peuvent évoluer vite chez Mao, et Debord peut prouver potentiellement trouver dans toute chose un côté spectaculaire.

Ca ne fait pas encore une définition précise de ce que j’appelle un piège théorique, mais je crois que ça fait un point de départ. Dans les deux cas, je crois que ces pièges théoriques fonctionnent très bien pour donner une position centrale à la personne qui l’utilise, et pour lui permettre de la garder, et, comme je l’ai dit avant, je crois que c’est le rôle essentiel d’un piège théorique, de fonctionner comme un outil de pouvoir. Je ne compare pas Debord à Mao en terme de pouvoir: Mao a bien sûr disposé d’infiniment plus de pouvoir que Debord dans son existence, mais je crois que les mécanismes théoriques qui les ont aidé à disposer d’une aura de leader et de la préserver au sein d’une avant-garde politique sont assez proches.

Oops, j’ai encore fait long, je vais donc continuer dans un troisième article, où j’arriverais (enfin) à reparler de Tiqqun cette fois, je crois bien.


Pièges théoriques (I)

Posted: août 19th, 2009 | Author: | Filed under: Murmures | Commentaires fermés sur Pièges théoriques (I)

En lisant Histoire critique de l’ultragauche (dont j’ai déjà parlé ici), je suis tombé sur une formulation qui exprimait bien certaines impressions que j’ai lu en lisant des textes, parfois. L’auteur, en parlant de la Société du spectacle de Debord, parle de "piège théorique". J’aime bien l’expression, et elle m’a donné l’occasion de réfléchir à certains trucs qui me tournaient dans la tête depuis un bout de temps.

Pourquoi parler de "piège théorique" pour le livre de Debord ? Ce que j’ai déjà décrit dans mes notes sur Tiqqun est toujours valable ici. Dans la Société du spectacle, Debord parle du développement contemporain (contemporain de Debord, c’est-à-dire les années 60, la fameuse "société de consommation") du capitalisme et du développement du monde marchand qui l’accompagne. Il dit qu’au fur et à mesure du développement capitaliste, les interactions marchandes et les marchandises remplacent petit à petit toutes les autres interactions humaines. Ce phénomène fait que le rapport des humain-e-s au monde passe de plus en plus par des marchandises, qu’il devient de plus en plus "médiatisé" (c’est un terme venant de Hegel que Debord utilise pour parler de ça) par des relations marchandes, capitalistes. En conséquence, chacun-e de nous a de moins en moins d’accès direct au monde et a de plus en plus de difficultés pour se construire une représentation du monde qui ne serait pas déformée par "l’idéologie spectaculaire-marchande" comme dirait Debord, c’est-à-dire par les images faussées que le capitalisme construit et nous vend pour maintenir sa domination. Le capitalisme prend sa vision du monde, son idéologie, et la réalise, la fabrique de manière massive à travers les marchandises pour prolonger l’exploitation et la non-vie que nous subissons tou-te-s. Debord emprunte beaucoup d’exemples au cinéma, à la publicité, à la télévision, et à tous les domaines forgeant notre regard sur le monde qui étaient en train (à son époque) de se transformer en grandes industries capitalistes. Le "Spectacle" et sa société, c’est ce jeu de miroirs déformants qu’est devenu le monde maintenant que le capitalisme a pu coloniser les représentations de l’humanité.

Jusqu’ici, le "piège" n’est pas évident: Debord dit qu’en transformant chaque chose en marchandise, le capitalisme est en train de rendre le monde et nos vies artificielles, et qu’au final c’est le réel lui-même qui disparaît puisque nous n’avons plus la possibilité de l’expérimenter sans passer par la marchandise. Sauf qu’à ce moment-là, le problème devient de savoir de quel réel on parle, puisque nous n’y avons plus accès. Dire que le monde se déréalise, que "l’idéologie matérialisée" qu’est le Spectacle nous fait vivre une fausse vie de fausses expériences, ça suppose d’avoir accès à un autre monde, une autre vie, à partir de laquelle on juge la vie marchande. C’est là que tout se complique, puisque cette aspiration à un autre monde est récupérée elle aussi dans le Spectacle, qui nous offre ainsi de manière infinie des images d’évasion, des fausses échappatoires à son emprise, et tire ainsi encore de la force de nos propres tentatives de lui échapper. Tout le mouvement de la Société du spectacle réside ainsi dans le fait que le livre ferme chaque porte qu’il ouvre vers un échappatoire en montrant méticuleusement comment cette porte aussi nous ramène au sein du Spectacle absorbant tout. Le piège est là, dans le fait qu’au sein de la logique du livre, il n’y a aucune possibilité de sortir du cercle infernal que le bouquin lui-même expose et démonte méthodiquement. Face à cette absence de porte de sortie théorique, les camarades de Debord, l’Internationale Situationniste, utiliseront plutôt, comme le fait remarquer l’auteur de Histoire critique de l’ultragauche, une sorte de version ‘allégée’ de l’idée de spectacle où le spectacle devient la simple propagande capitaliste constante, particulièrement forte dans les pays développés. En enlevant l’aspect englobant de la théorie du spectacle, en enlevant donc l’idée que le Spectacle est un nouveau rapport au réel et au monde auquel on ne peut pas échapper et qui est la destruction même du réel et du monde, on se retrouve avec l’idée simple (mais assez forte) que le capitalisme contemporain à une capacité prodigieuse de travestir le réel, ce qui lui permet de propager son idéologie et ses mensonges. 

En fait, les deux usages, ‘allegé’ ou non, du concept de spectacle se trouvent chez les situationnistes. Mieux, ils sont même complémentaires. L’usage allégé peut être utilisé pour les interventions pratiques, là où la théorie complète de Debord ne donnerait que peu de possibilités d’action, mais l’usage plus ‘théorique’ peut permettre de disqualifier quand on le souhaite la version allégée en développant le raisonnement d’une manière plus subtile face aux actions ou réflexions avec lesquelles on est en désaccord (les réflexions de Debord sur l’Italie des années 70 et les Brigades Rouges dans la Préface à la quatrième édition italienne de la "Société du spectacle" sont assez révélatrices là-dessus). Dès qu’il y a désaccord théorique ou pratique, la théorie complète est suffisamment souple et constitue un piège suffisamment parfait pour démonter toute lutte/action comme "spectaculaire", et donc comme participant au capitalisme. Le fait de toujours pouvoir disposer d’une nouvelle profondeur théorique qui permet de dire ‘ahah, en fait, là, tu crois échapper au spectaculaire-marchand mais en fait non’ est une arme redoutable pour imposer son point de vue: utiliser l’usage allegé tout en maîtrisant l’usage plus théorique permet d’amener les discussions et/ou les réflexions sur un terrain qu’on peut chambouler théoriquement à tout instant, quand c’est nécessaire pour s’imposer. Un piège théorique comme celui-ci est donc à mon sens un dispositif de pouvoir, qui permet à celui ou celle qui réussit à le manier correctement de se placer sur des positions toujours inattaquables. Debord a souvent dit vouloir être un stratège, et je crois qu’il a très bien réussi d’un point de vue stratégique avec cette idée de spectacle. Tout le rapport de séduction/répulsion de l’IS avec les artistes, les "pro-situs", tou-te-s les individu-e-s qui vont se retrouver à graviter autour d’elleux montre à mon avis bien que ce jeu théorique est un jeu de contrôle: il s’agit de propager un discours révolutionnaire, mais de se donner la marge théorique permettant d’attaquer toute personne tentant de se l’approprier. Je crois que ce rapport est rendu (notamment) possible grâce au piège théorique du spectacle, et c’est ça que je veux tirer au clair, ce fonctionnement du piège théorique comme rapport de pouvoir. 

Ce texte commence à devenir plus long que prévu, et je vais donc le couper, et continuer dans un prochain épisode, où je poursuivrais en causant de Mao et de Tiqqun (et oui, encore Tiqqun).