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Tiqqun – Reformulation(s)

Posted: juillet 29th, 2009 | Author: | Filed under: Tiqqun | Commentaires fermés sur Tiqqun – Reformulation(s)

Au stade où en sont mes notes sur Tiqqun, je crois que je commence à avoir une lecture suffisamment cohérente de ces textes pour me servir de cette lecture comme base pour cerner ce qui me pose problème dans les Tiqqun. Ce qui me pose problème, c’est-à-dire les choses avec lesquelles je suis pas d’accord politiquement, les choses qui débouchent sur des pratiques qui ne me paraissent pas aller dans des directions collectives qui m’intéressent beaucoup. Mais d’abord je vais essayer de reformuler et de généraliser quelques idées que j’avais lancé un peu en vrac, pour pouvoir y voir plus clair.

Comme je l’ai dit au départ, j’ai découvert (il y quelques années) et lu Tiqqun en cherchant des pistes pour sortir de la gauche (ou des gauches, comme on veut), en tout cas j’ai lu tous ces textes en tournant autour de cette idée. Au final, je crois que le schéma théorique des gauches (qu’elles soient radicales, extrêmes, ultra, ou autre …) est assez simple (ce qui ne signifie pas qu’il soit facile de penser en dehors de ce schéma): il repose sur l’existence d’un sujet révolutionnaire qui, d’une manière ou d’une autre, gagne en force au sein du capitalisme qui l’opprime (dans l’exemple du prolétariat, ça correspond aux grèves, à l’extension du syndicalisme, au développement d’un parti ouvrier, …), et qui accomplit sa libération finale par la révolution et la destruction de ce même capitalisme. Que ce sujet soit la classe ouvrière, les masses populaires, le prolétariat, l’humanité ou plus récemment la multitude, ça ne change pas grand chose. L’important c’est que ce sujet existe en tant que sujet, c’est-à-dire qu’il dispose de choses en propre: des intérêts, une histoire, un destin, une conscience, … En propre, ça veut dire de manière indépendante du capitalisme, de manière extérieure à lui. 

Là ou ce schéma coince, c’est que le capitalisme tend apparemment (ça, c’est notre recul historique qui nous l’apprend) à s’étendre, à cannibaliser ce qui lui est extérieur, justement. Du coup, plus le temps passe, plus le capitalisme se développe, plus notre sujet révolutionnaire se retrouve intégré dans ce capitalisme qu’il voulait extérieur à lui. A partir de là, les perspectives révolutionnaires s’amenuisent au fur et à mesure que notre sujet révolutionnaire perd son autonomie, qui est la base de ces perspectives. En écrivant cette lecture de Tiqqun, j’ai souvent insisté sur cette description du prolétariat comme maintenant intégré au capitalisme, et donc comme se décomposant en tant que sujet autonome, ce qui est exactement l’idée que je développe ici. 

Face à ça, c’est compliqué de retrouver une stratégie révolutionnaire:

  • soit on nie l’évidence, et on tente de retrouver le vrai prolétariat (par exemple) qui en-vrai-n’a-jamais-disparu-depuis-le-XIXème, mais jusqu’ici ça n’a pas eu l’air de bien réussir.
  • soit on renonce, on se dit que l’ère des révolutions est finie, et on devient réformiste ou on fait dans l’alternatif, ce qui ne revient pas tant à trouver une solution qu’à renonçer à toute solution, et conduit par conséquent à accepter le capitalisme. Solution du désespoir, en quelque sorte. 
  • soit on cherche sous notre sujet devenu intégré un autre sujet révolutionnaire, caché, qui devrait d’abord être révélé par la lutte, par une crise du capitalisme, par le Parti, … Sous la classe ouvrière intégrée et passive, le prolétariat insoumis et révolutionnaire. C’est la voie qui a beaucoup nourri la réflexion de ce qu’on appelle l’ultra-gauche (celle qui s’est revendiquée comme telle, pas les délires médiatiques récents).

Cette troisième alternative est riche, et beaucoup de collectifs qui ont produit des expériences intéressantes au niveau théorique et pratique tout au long du XXème siècle se situent dans cette troisième alternative: Socialisme ou Barbarie, les situationnistes, des groupes d’extrême-gauche en Italie, beaucoup de groupes radicaux dans la révolution iranienne de 1979 (celle qui va finalement amener les islamistes au pouvoir), les communistes libertaires (notamment l’OCL, qui existe toujours de nos jours) … Sauf qu’elle sembler mener à une sorte d’impasse. Tout le travail de ces collectifs bute sur ce même problème: à quel moment un sujet qui existe de manière intégrée dans le capitalisme commence-t-il à s’attaquer lui-même, à se nier en tant que sujet existant pour devenir le sujet caché, vraiment révolutionnaire, qu’il aurait toujours dû être ? Au sein des luttes, comment faire ce passage de travailleureuses revendicatif/ves (réclamant par exemple des droits ou plus de thunes) à révolutionnaires acharné-e-s qui ont passé le cap, qui ont réussi à s’extraire du capitalisme, qui ont réussi à se mettre en position d’affirmer leur pouvoir face à lui ? Comment à la fois nier ce qu’on est en tant que soumis et broyé par le capitalisme tout en affirmant notre potentiel révolutionnaire ?

Tout ce jeu du positif et du négatif, de négation de ma situation propre pour me sortir du ‘système’ combiné à une affirmation de cette même situation propre en tant que point de départ de ma pratique révolutionnaire, semble un peu périlleux, voire même carrément casse-gueule. Des années de réflexion de cette ultra-gauche ne vont pas rendre cet échaffaudage plus solide. Un bouquin sur l’ultragauche récemment sorti (Histoire critique de l’ultragauche, aux éditions Senonevero; y’a plus d’infos si ça vous intéresse: il dit beaucoup plus clairement et précisement les choses dont je parle un peu dans cet article) dit ça d’une manière assez simple: "Ce territoire théorique [de l’ultragauche] est une névrose" (le sous-titre du livre est assez explicite aussi, vu que c’est "Trajectoire d’une balle dans le pied").  

Pour aller au-delà de cette situation un peu bloquée, Tiqqun offre une réponse claire: il faut abandonner toute cette histoire de révolution produite par un sujet révolutionnaire qui détruit le capitalisme en s’émancipant: passer de la révolution à une "subversion sans sujet", comme je cite dans la note sur le Parti Imaginaire. Si Tiqqun fait quelque part une rupture sur les traditions révolutionnaires de gauche, c’est là. Je crois que l’idée la plus forte chez Tiqqun, c’est de dire qu’à force de vouloir tout intégrer, le capitalisme se désintègre, qu’il fuit de l’intérieur. On a pas à chercher un hypothétique extérieur au capitalisme sous la forme d’un sujet révolutionnaire, même caché, c’est le capitalisme lui-même qui nous rend tou-te-s extérieur-e-s à lui à force de vouloir nous absorber complètement. Le Parti Imaginaire se renforce par l’arme même que le capitalisme a utilisé pour nous diviser: l’hostilité, la mise à distance. A force de vivre dans un monde où tout est étrange et où chacun-e nous est étranger, on se retrouve en tant qu’étrangers à ce monde. Au final, notre autonomie par rapport au capitalisme, notre capacité à lui être extérieur-e-s, vient justement de notre intégration à lui: Introduction à la guerre civile (Tiqqun n°2 pour celleux qui n’ont pas suivi) parle de "retroussement", du fait que le capitalisme dans son dernier stade s’est retroussé, a "rendu l’extérieur intérieur"; au lieu d’avoir un extérieur qui lui échappe, il se retrouve avec un intérieur qui fuit constamment.

J’ai pris du temps pour reformuler tout ça, parce que c’est de cette histoire d’extérieur dont je vais partir pour commencer à développer mes désaccords avec Tiqqun.


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