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Un entretien avec Leïla Khaled – première partie

Posted: octobre 23rd, 2011 | Author: | Filed under: Traduction(s) | Commentaires fermés sur Un entretien avec Leïla Khaled – première partie

POUR QUE REVIENNE LA CHANSON

Lorsque la chanson meurt
sur les brûlures des enfants d’Amman …
lorsque le souhait devient
retrouver la sécurité,
enterrer les membres arrachés,
et que le blessé enfin boive un verre d’eau

Quand meurt la chanson
et que le souhait s’évanouit
que les balles fusent
que les bombes explosent
pour priver le peuple de son salut
pour enchaîner les consciences
alors nous devrons combattre …
envahir les casernes
retourner ces terres
bouter le feu à ce monde lâche
pour que réapparaisse la chanson
sur les lèvres des enfants d’Amman

anonyme, 7 octobre 1970

(voir l’introduction)

Alors que la question de la « reconnaissance d’un état palestinien » (en fait, de sa reconnaissance par l’ONU) domine les conversations politiques palestiniennes, le récit que fait Leïla Khaled de la Nakba et des conséquences de celle-ci dans sa vie rappelle la place centrale du retour, de la privation et du salut dans la question palestinienne. Les réfugié-e-s palestinien-ne-s à travers tout le monde arabe sont toujours, soixante ans après leur expulsion, soumis-es à un régime d’exception. D’un côté, le gouvernement israélien cherche à approfondir son déni du retour palestinien en passant du « droit à l’existence d’Israël » à « la reconnaissance d’Israël en tant qu’état juif » comme condition préalable aux négociations. De l’autre, les régimes arabes continuent à refuser l’égalité des droits aux réfugié-e-s palestinien-ne-s se trouvant à l’intérieur de leurs frontières, théoriquement pour préserver leur droit au retour, mais, en réalité, afin de normaliser leur condition d’exilé-e-s. Ce que la discussion sur la reconnaissance d’un état palestinien oublie complètement, c’est que cette demande de reconnaissance perpétue l’abandon, commencé il y a des années, des réfugié-e-s palestinien-ne-s et des citoyen-ne-s palestinien-ne-s d’Israël par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

L’occupation est terroriste, être un-e réfugié-e un enfer.
Voir sa terre natale dérobée est un crime
Etre un-e combattant-e de la liberté une libération.

J’ai commencé par dire cela parce que je veux me concentrer sur quelques points clés de l’histoire d’un-e réfugié-e palestinien-ne. Je suis née à Haïfa en 1944, mais, en 1948, nous avons été expulsé-e-s de notre maison par la force comme tou-te-s les palestinien-ne-s expulsé-e-s de leur terre natale. Nous sommes parti-e-s sans mon père. Nous étions huit en tout, deux frères et six soeurs, moi y compris. Mon père faisait à l’époque partie des combattant-e-s de la résistance, donc nous n’avons plus su où il se trouvait dès les premiers affrontements en 1947.

Ma mère a décidé de nous envoyer dans sa famille, à Tyre, au sud du Liban, jusqu’à ce qu’on puisse revenir. J’ai été la première dans la voiture. Je me rappelle des pleurs des enfants pendant toute la durée du voyage. Nous ne savions pas où était notre père et nous abandonnions tout derrière nous. Ma maman m’a demandé pourquoi je pleurais. Je pensais à mon amie Tamara, une fille juive de mon âge, une Juive Palestinienne. J’ai dit à ma mère que je voulais être avec Tamara. Sa mère nous avait accueillie chez elle et avait dit à ma mère que personne ne pourrait nous faire de mal dans sa maison. Elle avait fait ça juste après le massacre de Deir Yassine. Malgré ce geste, l’intensification des affrontements et les opérations sionistes nous poussaient à partir. Ce climat est, encore aujourd’hui, gravé dans ma mémoire. Je conserve encore des images très précises de gens se précipitant dans les rues pour fuir. Nous sommes parti-e-s en voiture alors que d’autres marchaient. Nous les voyions: les vieux et les vieilles, les femmes, les enfants. Le temps n’était pas encore trop chaud.

Nous sommes arrivé-e-s à Tyre, et ma mère nous a emmené dans la maison de son oncle. Le bâtiment était entouré d’un grand jardin avec des orangers. Mes frères et soeurs  virent les oranges et voulurent en prendre. Ma mère leur fit une tape sur les mains en leur disant: « Ce ne sont pas vos oranges, vos oranges sont en Palestine« . Nous avions effectivement plusieurs orangers sur nos terres d’Haïfa. Après ce moment, j’ai détesté les oranges pendant longtemps. Il a fallu attendre les années 80 pour que j’en mange à nouveau. Malgré tout, voir une orange me transporte toujours dans le passé, vers ce moment où ma mère a dit ces mots.

Mon oncle a propose à ma mère que nous venions vivre avec lui dans sa maison, mais elle a refusé. A la place, nous nous sommes installé-e-s dans la cave, un endroit qui n’était pas supposé être habitable. Nous l’avions tou-te-s entendu parler avec son frère. Elle pleurait pendant toute la durée de la discussion, en répétant que notre maison était à Haïfa. Quand on lui demandait ce que faisait mon père, elle répondait qu’elle ne savait pas et qu’il travaillait avec les révolutionnaires. Notre père nous a rejoint six mois après notre arrivée à Tyre. Avec ses camarades révolutionnaires, il s’était replié dans la bande de Gaza. Une fois à Rafah, il a été arrêté par les autorités égyptiennes et placé dans un camp. Une crise cardiaque l’a rendu gravement malade pendant son séjour au camp. Un groupe de médecins allemands a réussi à le faire sortir du camp et à l’amener clandestinement avec eux au Liban. Il s’exclamait constamment: « Nous avons perdu notre pays, j’ai perdu ma famille« . La première chose qu’il a dit ma mère à son arrivée, était que nous ne reviendrions jamais. Il s’était rendu compte que notre voyage allait durer plus longtemps que nous l’avions tou-te-s pensé au départ, mais nous ne prêtions pas beaucoup d’attention à ce qu’il disait. Mes frères et mes soeurs demandaient tous les jours à notre mère quand nous allions revenir.

A mon arrivée au Liban, ma première école a été une école coranique traditionnelle, une de ces écoles où les enfants étaient rassemblés chez une femme pour qu’elle leur apprenne à lire le Coran. J’ai changé d’école quand une école anglicane a été fondée à Tyre en 1950. L’école était proche de la cave où on habitait, et était essentiellement une grande tente divisée en quatre, dans laquelle nous nous asseyions pour écouter les leçons d’un professeur écrivant sur un tableau noir tenu par un chevalet. Une fois là-bas, j’ai dit à l’instituteur que je savais lire l’arabe. Il m’a demandé de le prouver, et j’ai donc lu plusieurs chapitres d’un livre. Il a ensuite écrit quelques lettres en anglais au tableau et m’a demandé de les lire. Vu que je n’étais pas capable de le faire, il m’a dit que je devrais commencer par le cours élémentaire parce que je ne savais pas lire l’anglais. A ce moment-là, j’avais sept ans. L’école a continué dans cette tente et, un jour d’hiver, la tente s’est effondrée sur nous. Je suis rentré en pleurant à la maison et j’ai dit à ma mère que je ne voulais plus aller à l’école. Ma mère m’a dit qu’il fallait que j’y aille et qu’une fois qu’on serait rentré-e-s à Haïfa, mon école ne s’effondrerait pas sur moi.

A ce stade-là de ma vie, le message était clair: les oranges ne nous appartenaient pas, les nôtres étaient à Haïfa; l’école n’était qu’une école temporaire, la nôtre était à Haïfa. Chaque fois qu’on demandait de nouveaux vêtements pour les vacances, on nous répondait que de nouveaux vêtements nous attendaient à Haïfa. Toutes nos privations étaient reliées à la Nakba, et notre salut était lié à notre retour à Haïfa. Ceci était la première chose inscrite dans notre conscience: que nous devions retourner à Haïfa, et que c’était notre droit. Pour nous tou-te-s, notre futur attendait à Haïfa, et nulle part ailleurs. Dans notre famille, l’idée du retour a commencé à germer à ce moment-là. La plupart des familles palestiniennes concevaient leur monde de cette manière. Donc, quand des enfants demandaient pourquoi nous étions dans cette situation, la réponse était que les sionistes nous avaient expulsé-e-s et avaient occupé-e-s nos terres, et qu’à un moment, nous rentrerions chez nous.


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