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Message urgent de la place Tahrir: rejoignez notre lutte pour la survie de la révolution

Posted: novembre 23rd, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 5 Comments »

Une bataille décisive se déroule actuellement face à une offensive répressive potentiellement fatale. Ces trois derniers jours, l’armée a lancé une attaque sans relâche contre les révolutionnaires de la place Tahrir et des autres places égyptiennes. Plus de 2000 d’entre nous ont été blessé-e-s, plus de 30 d’entre nous assassiné-e-s; tout cela seulement au Caire, et uniquement dans les 48 dernières heures.

Mais les révolutionnaires continuent d’affluer. Des centaines de milliers se trouvent sur la place Tahrir et dans les autres places du pays entier. Nous affrontons leurs gaz, leurs matraques, leurs fusils et leurs mitrailleuses. L’armée et la police attaquent toujours et encore, mais nous continuons à tenir et à les repousser. Les mort-e-s et les blessé-e-s sont évacué-e-s à pied ou à moto, et d’autres prennent leur place.

La violence ne fait faire qu’augmenter, car NOUS NE BOUGERONS PAS. Les généraux ne veulent pas abandonner leur pouvoir. Nous voulons qu’ils partent.

C’est le futur de la révolution qui se joue: celles et ceux qui sont sur les places sont prêt-e-s à mourir pour la liberté et la justice sociale. Les bouchers qui nous attaquent sont prêts à nous tuer pour rester au pouvoir.

Ce qui se passe n’a aucun rapport avec les élections ou une éventuelle constitution, puisque rien de tout ça ne ferait cesser la violence et autoritarisme qui nous entourent. Ce qui se passe n’a pas non plus à voir avec une soi-disant « transition » vers une démocratie qui a vu le renforcement d’une junte militaire et la trahison de la révolution par les forces politiques. Il s’agit ici d’une révolution, d’une révolution totale. Le peuple veut la chute du régime, et ne s’arrêtera pas avant d’avoir trouvé sa liberté.

Les gouvernements étrangers parlent de « droits humains » tandis qu’ils négocient avec les généraux, échangeant des poignées de mains et les légitimant avec des discours creux. Les États-Unis fournissent toujours 1,2 milliards de dollars d’aide militaire à l’armée égyptienne. L’armée et la police utilisent du gaz lacrymogène, des balles et des armes venant de l’extérieur. Leurs réserves ont probablement été reconstituées par les États-Unis et par d’autres gouvernements durant les neuf derniers mois. Elle vont s’épuiser à nouveau.

Nous vous demandons d’agir:

  • Occupez ou bloquez les ambassades égyptiennes du monde entier. Elles représentent actuellement les militaires: faisons-les représenter le peuple égyptien.
  • Bloquez les vendeurs d’armes. Ne les laissez pas en fabriquer et en vendre.
  • Bloquez votre institution gouvernementale traitant avec les généraux égyptiens.

La révolution continue parce qu’elle est notre seule possibilité.

Place Tahrir, le 22 novembre à 14h

Mosireen, Comrades from Cairo, Defend the Revolution

[mise à jour] Alain Gresh a, comme souvent, un bon article sur la situation actuelle: Révolution égyptienne, acte II

[mise à jour (24/11/11)] Apparemment, les gaz utilisés en ce moment en Égypte seraient carrément costauds, voire même plus léthaux et militaires que lacrymogènes. Le ministre égyptien de la Santé, Amr Helmy a nié que les gaz soient autre chose que des lacrymos dans sa visite d’hier sur la place Tahrir, mais il a par contre admis que des balles réelles avaient été tirées par la police sur les manifestant-e-s. Ah oui, et je tiens à préciser que je ne suis, bien évidemment, pas l’auteur de ce texte, que je n’ai fait que traduire par solidarité envers les camarades égyptiens qui l’ont envoyé. Un commentaire laissé sur la page m’a fait penser qu’il y avait peut-être ambiguïté, vu que d’habitude, je signale mes traductions.

Un récit de ces derniers jours place Tahrir, avec photos: Le roi est nu.


Communiqué de Camarades du Caire en réponse à la proposition d’Occupy Wall Street d’envoyer des observateur-e-s électoraux

Posted: novembre 16th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 3 Comments »

[Le communiqué qui suit a été diffusé par Camarades du Caire le 13 novembre 2011.]

A nos frères et sœurs occupant-e-s de Zuccotti Park,

Lorsque nous en avons appelé à vous, vous demandant de vous joindre à nous le 12 novembre dans la défense de notre révolution et dans notre campagne contre les procès militaires faits aux civils en Égypte, votre solidarité (des photos de manifestations, des vidéos, et des déclarations de soutien), nous a rendu plus fort-e-s.

Mais nous avons appris, très récemment, que votre assemblée générale avait voté une résolution autorisant l’usage de 29 000 dollars pour envoyer vingt de vos membres en Égypte en tant qu’observateur-e-s électoraux. Pour être franc-he-s, la nouvelle nous a plutôt choqué-e-s: nous avons passé quasiment toute une journée à nous demander qui pouvait bien avoir sollicité en notre nom une telle assistance.

L’idée nous pose problème, et nous voulons participer à la discussion que vous avez à ce sujet.

Nous pensons que vous êtes descendu-e-s dans les rues et que avez occupé vos places publiques et vos villes parce que vous n’étiez pas satisfait-e-s par les fausses promesses du jeu électoral. Il en est de même pour nos camarades en Espagne, en Grèce et au Royaume-Uni. Quoi que l’on puisse penser de l’utilité des élections et des représentant-e-s élu-e-s, le mouvement Occupy est au-delà de la politique électorale; la décision d’occuper dépasse, en tout cas, n’importe quelle élection. Alors pourquoi nos élections devraient être acclamées, sachant que, même dans le meilleur des mondes possibles, elles n’amèneront qu’un nouvel organe « représentatif » qui gouvernera les 99% d’entre nous au service du 1% ? Ce nouveau parlement égyptien ne possédera absolument aucun pouvoir réel, et beaucoup d’entre nous pensent que cette élection n’a pour but que légitimer la confiscation actuelle du processus révolutionnaire par les militaires au pouvoir. Est-ce cela que vous souhaitez « observer » ?

A travers le monde, nous avons tou-te-s appris à nous représenter nous-mêmes de manière différente, à parler, à vivre notre politique directement et sans attendre et, en Égypte, nous ne sommes pas descendu-e-s dans les rues pendant la révolution pour ne gagner qu’un parlement. Notre lutte, que nous pensons partager avec vous, est plus grande et plus noble qu’une démocratie parlementaire bien huilée: nous avons revendiqué la chute du régime, nous avons revendiqué la dignité, la liberté et la justice sociale, et nous nous battons toujours pour ces revendications. Nous ne pensons pas que des élections créant un parlement de pantins pourront nous servir à les obtenir.

Même si l’idée d’une observation des élections ne nous a pas vraiment enchanté-e-s, nous voulons de votre solidarité, nous voulons de votre soutien et de vos visites. Nous voulons vous connaître, vous parler, nous voulons partager ce que nous avons appris, comparer nos stratégies et partager nos plans futurs. En tant que militant-e-s ou en tant que personnes impliqué-e-s dans les changements actuels profonds de nos réalités quotidiennes, nous pouvons faire bien mieux ensemble que de rendre légitimes des processus électoraux (laissons ce travail ennuyeux à la Fondation Carter) qui nous paraissent tellement pauvres par rapport aux formes nouvelles de démocratie et de vie en commun que nous construisons. Jouer au jeu des élections ne doit être ni notre travail ni notre souhait: nous occupons et nous devons construire nos espaces et nos réseaux, parce qu’ils sont les fondations sur lesquelles nous allons construire du neuf. Élargissons nos canaux de communication, découvrons et développons ce que peuvent bien être nos nouvelles manières de travailler ensemble et de se soutenir mutuellement.

Venez quand vous voulez, nous avons toujours des canapés confortables prêts à servir. Ça ne sera pas le grand luxe, mais ça sera drôle.

Cordialement, et toujours solidairement,

Camarades du Caire
le 13 novembre 2011

PS: Nous avons enfin une adresse mail: comradesfromcairo@gmail.com


Appel à la solidarité avec l’Egypte: défendons la révolution !

Posted: novembre 8th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | Commentaires fermés sur Appel à la solidarité avec l’Egypte: défendons la révolution !

[Ce communiqué a été écrit le 4 novembre 2011 par le Mouvement Contre les Procès Militaires faits au Civils]

Une lettre du Caire aux mouvements d’occupation, de décolonisation et aux autres mouvements de solidarité.

Après trois décennies de quotidien sous une dictature, les égyptien-ne-s ont lancé une révolution réclamant pain, liberté et justice sociale. Après une occupation presque rêvée de la place Tahrir pendant dix-huit jours, nous nous sommes débarrassé-e-s de Moubarak et avons entamé la deuxième, et plus difficile, tâche de démanteler ses instruments de pouvoir. Moubarak n’est plus là, mais le régime militaire se poursuit. Donc la révolution continue, en maintenant la pression, en s’appropriant les rues et en revendiquant le droit à contrôler nos vies et nos moyens d’existence contre des systèmes de répression qui nous ont oppressés pendant des années. Mais à cet instant, alors qu’elle vient à peine de commencer, la révolution est attaquée. Nous écrivons cette lettre pour vous parler de ce à quoi nous assistons, de ce que nous comptons faire pour résister à cette offensive, et pour vous appeler à être solidaires avec nous.

Le 25 et le 28 janvier, le 11 février, vous étiez là lors de ces journées, vous les avez vécu avec nous à la télévision. Mais nous avons dû nous battre le 25 février, le 9 mars, le 9 avril, le 15 mai, le 28 juin, le 23 juillet, le 1er août, le 9 septembre et le 9 octobre. Jour après jour, l’armée nous a attaqué-e-s, frappé-e-s, arrêté-e-s et tué-e-s. Nous avons résisté, nous avons continué. Nous avons parfois perdu, nous avons parfois gagné, mais toutes ces luttes ont eu un prix. Plus d’un millier de personnes ont donné leurs vies pour renverser Moubarak. Beaucoup d’autres sont morts depuis qu’il n’est plus au  pouvoir. Nous continuons la lutte afin que leurs morts n’aient pas été inutiles. Des personnes comme Ali Maher (un manifestant de 15 ans tué par l’armée place Tahrir, le 9 avril), Atef Yehia (abattu d’une balle dans la tête par la police lors d’une manifestation de solidarité avec la Palestine, le 15 mai), Mina Danial (abattue par la police dans une manifestation devant Maspero, le 9 octobre). Mina Daniel a eu, après sa mort, à subir l’affront pervers de se retrouver sur la liste des accusé-e-s lors d’un procès militaire.

Plus encore, depuis que la junte militaire a pris le pouvoir, plus de 12000 d’entre nous ont été poursuivi-e-s par des tribunaux militaires sans avoir le droit de faire citer des témoins et avec un accès très limité à des avocats. Des mineurs sont incarcéré-e-s dans des prisons pour adultes, des condamnations à mort ont été prononcées, la torture est partout. Les manifestantes sont soumises à des « test de virginité » qui sont de réelles agressions sexuelles.

Le 9 octobre, l’armée a massacré vingt-huit d’entre nous devant Maspero: ils nous ont roulé dessus avec des chars et nous ont tiré dessus dans la rue tandis qu’ils utilisaient les médias officiels pour atiser des affrontements inter-confessionnels. Tout ça a été censuré. C’est l’armée qui enquête sur elle-même. Elle attaque systématiquement celles et ceux qui osent parler. Dimanche dernier, notre camarade le blogueur Alaa Abd El-Fattah a été emprisonné à cause d’allégations bidonnées. Ce soir, il va passer une nouvelle nuit dans une cellule sans lumière.

Tout ceci nous vient de l’armée qui est supposée assurer une transition vers la démocratie, qui prétend défendre la révolution, et qui a réussi à faire croire à beaucoup de monde, en Égypte et au-delà, qu’elle défendait effectivement cette révolution. La ligne officielle est celle de la « stabilité » et des promesses sans lendemains, celle qui dit que l’armée essaie simplement de créer un environnement serein pour les élections. Mais même après l’élection du nouveau parlement, nous vivrons toujours sous le joug d’une junte militaire qui contrôle le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, sans aucune garantie que ce régime prenne fin un jour. Celles et ceux qui contestent cette réalité sont harcelé-e-s, arrêté-e-s et torturé-e-s. Les procès militaires faits aux civils sont l’outil principal de cette répression. Les prisons sont pleines des victimes de cette « transition« .

A partir de maintenant, nous refusons de coopérer avec les enquêtes et les procès militaires. Nous ne nous livrerons pas à cette justice, nous ne répondrons pas aux questions qu’elle pourrait nous poser. S’il nous veulent, ils devront venir nous chercher dans nos maisons et dans nos lieux de travail.

Neuf mois depuis le début de cette nouvelle répression militaire, nous nous battons toujours pour notre révolution. Nous manifestons, nous occupons, nous faisons la grève, nous bloquons. Vous aussi, vous manifestez, vous occupez, vous faites la grève et vous bloquez. Avec le déferlement de soutien que nous avons reçu en janvier, nous avons vu que le monde nous regardait attentivement et était inspiré par notre révolution. En janvier, nous nous sommes senti-e-s plus proche de vous que nous ne l’avions jamais été auparavant. Maintenant, c’est à votre tour de nous inspirer, tandis qu’on suit de près vos mouvements. Nous avons manifesté devant l’ambassade américaine du Caire pour protester contre l’expulsion violente de la place Oscar Grant à Oakland. Nos luttes communes sont notre force. S’ils écrasent notre résistance, le 1% gagnera: au Caire, à New York, à Londres, à Rome, partout. Mais tant que la révolution se poursuit, notre imagination n’a aucune limite. Nous pouvons toujours créer un monde qui vaille la peine d’y vivre.

Vous pouvez nous aider à défendre notre révolution.

Le G8, la Banque Mondiale et les états du Golfe veulent accorder au régime 35 milliards de nouveaux crédits. Les Etats-Unis donnent à l’armée égyptienne 1,3 milliards chaque année. Les gouvernements du monde entier prolongent leur alliance passée avec les gouvernants militaires de l’Egypte, et continuent à les soutenir. Les balles qu’ils utilisent pour nous tuer sont fabriquées aux Etats-Unis. Le gaz lacrymogène qui brûle d’Oakland jusqu’en Palestine est fabriqué dans le Wyoming. La première visite de David Cameron à l’Egypte post-révolutionnaire avait pour but de signer un contrat d’armement. Il y a encore beaucoup d’autres exemples de cette coopération. Les vies, les libertés et le futur des peuples ne doivent plus être manipulés pour servir des intérêts stratégiques. Nous devons nous unir contre les gouvernements qui n’ont pas à coeur les intérêts de leurs peuples.

Nous vous appelons à réaliser des actions de solidarité pour nous aider à résister à cette offensive gouvernementale.

Nous proposons de lancer un Journée Internationale pour la Défense de la Révolution Egyptienne le 12 novembre, derrière le mot d’ordre « Défendons la révolution égyptienne, mettons fin aux procès militaires ! »

Des exemples d’évènements qui peuvent être organisés:

  • Des actions ciblant les ambassades et les consulats égyptiens et demandant la libération des prisonniers et des prisonnières condamné-e-s par les tribunaux militaires. Si Alaa est libéré, nous demandons la libération des milliers d’autres prisonniers et prisonnières.
  • Des actions ciblant votre gouvernement afin de le pousser à ne plus soutenir la junte militaire égyptienne.
  • Revendiquer la libération des civils condamné-e-s par les tribunaux militaires. Si Alaa est libéré, des milliers d’autres doivent l’être aussi.
  • Réaliser des documentaires à propos de la répression à laquelle nous faisons face (les procès militaires, le massacre de Maspero, …). Contactez-nous pour des liens.
  • Des conférences vidéos avec des militant-e-s égyptien-ne-s.
  • N’importe quoi qui montre votre soutien, et qui montre aux égyptien-ne-s qu’illes sont soutenu-e-s ailleurs.

Si vous souhaitez organisez ou que vous organisez quelque chose, contactez nous à defendtherevolution at gmail point com.  Nous apprécierons aussi de recevoir photos et vidéos de vos évènements.

La campagne pour mettre fin aux procès militaire des civils
La campagne « Free Alaa« 
Mosireen
Des camarades du Caire

[mise à jour (16/11/11)] Je viens de découvrir que le site Égypte Solidarité a réalisé (à peu près au même moment) une autre traduction du même texte: Pas de procès militaire pour les citoyens – Appel à défendre la révolution égyptienne .  Ce sont des choses qui arrivent, mais c’est toujours frustrant de savoir qu’on a été plusieurs à bosser sur la même chose en même temps 🙂


La laïcité et les révolutions arabes sont dans un bateau …

Posted: novembre 2nd, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | Commentaires fermés sur La laïcité et les révolutions arabes sont dans un bateau …

Je trouve que c’est intéressant d’essayer d’imaginer ce qu’on aurait pu dire au sujet du résultat des élections tunisiennes de fin octobre.

Par exemple: « après des années de combat face à la répression de Ben Ali, deux anciens partis illégaux remportent les premières élections après la chute du dictateur« . C’est effectivement un fait marquant: les partis d’opposition reconnus par Ben Ali avant sa chute ont tous obtenus des résultats très faibles. Cette ancienne opposition « officielle », consentie par Ben Ali pour faire plaisir aux « démocraties » occidentales semble donc bien mal partie après la chute du dictateur. Inversement, que Ennahda et le CPR obtiennent une victoire éclatante seulement quelques mois après être sortis de la clandestinité prouve leur ancrage et leur solidité.

Un autre angle, ç’aurait pu être de simplement rappeler que plus de 90% des inscrit-e-s sur les listes électorales sont allé-e-s voter. C’est un chiffre très élevé, absolument impensable dans nos pays à nous.  Peut-être prouve-t’il le niveau de politisation et d’intérêt à l’évolution du pays de la majorité des tunisien-ne-s.

On aurait encore pu parler du programme politique des différents partis en présence. Notamment de leur programme économique, voir comment ils se positionnaient par rapport à la politique néo-libérale qui a été une des causes de la chute de Ben Ali. Dans le contexte où l’Union Européenne essaie d’imposer à la Grèce une politique d’austérité d’une dureté sans précédent, quelle politique économique ont en tête les différents partis tunisiens ? Sachant que cette fameuse crise est partie pour s’approfondir, que pensent-ils faire ?

Au lieu de ça, on a eu droit aux vieux chevaux de batailles de la laïcité et de l’inquiétude face aux « islamistes« .  Les débats sur la « charia » et les « droits de la femme« . Les petites phrases condescendantes sur la « prudence qu’il faut savoir garder » et les « certes, mais … » tellement prévisibles.

Je pourrais ne parler que des médias. Mais ce genre de discours se retrouve un peu partout, même au fin fond de la gauche dite radicale, même chez les anarchistes et autres autonomes. Ce discours m’inquiète terriblement. Il m’inquiète parce que je crois qu’il nous aveugle à des événements politiques passionnants qui se déroulent en ce moment. Il m’inquiète parce que j’ai peur qu’on se retrouve à participer à une contre-offensive réactionnaire qui se déroule en ce moment contre les soulèvements des pays arabes.

Ça fait un bout de temps que je m’interroge sur la laïcité. Sur ce mot qui est devenu incontournable dans les discours politiques en France depuis une dizaine d’années.

L’histoire de ce mot et de cette idée est plutôt intéressante: le mot apparaît pour la première fois aux alentours de la Commune de 1871, qui vote, pendant sa courte vie, la séparation de l’Église et de l’État. La notion de laïcité a toujours été liée en France à la lutte pour la séparation de l’Église et de l’État. Cette lutte était une lutte politique et sociale, il s’agissait pour le mouvement ouvrier et la bourgeoisie républicains de limiter l’influence de l’Église sur la vie politique, et donc d’affaiblir le camp monarchiste et conservateur. La laïcité telle qu’elle s’est créée est le produit d’une alliance de circonstance entre le mouvement ouvrier et la bourgeoisie républicaines face à l’aristocratie et la grande bourgeoisie catholique. Il s’agissait pour la République de s’installer durablement en France en s’appropriant petit à petit beaucoup des fonctions sociales précédentes de l’Église (enregistrement des naissance par l’intermédiaire des baptêmes, mariages, fêtes publiques, …) pour ne lui laisser que l’exercice du culte en lui-même. Le mouvement ouvrier en tirait un affaiblissement des forces conservatrices en France. La laïcité était donc un outil de lutte contre l’Église en tant qu’institution, une manière de l’affaiblir et d’affaiblir les forces réactionnaires qui s’appuyaient sur elle.

La laïcité était une outil au service d’une lutte collective, pas une valeur. Le mot valeur est de plus en plus employé au sujet de la laïcité ces derniers temps. Je vais peut-être fâcher des gens, mais valeur, c’est un mot de droite. Une valeur, ça ne s’interroge pas, ça ne se remet pas en cause, ça n’est pas créé historiquement. C’est là, de tout temps, et ça s’impose à tout le monde. Si Sarkozy nous sort sa rengaine sur la « valeur travail« , c’est bien justement pour empêcher tout interrogation du travail salarié tel qu’il est maintenant, pour empêcher qu’on parle de ses évolutions historiques et de sa contestation. On parle de valeur quand on veut mettre quelque chose sur un piédestal ou derrière une vitrine en verre. On ne fait pas de lutte sociale autour d’une valeur.

A gauche, tout ce discours autour de la laïcité comme une « valeur » repose souvent sur un athéisme militant. Un climat où le fait d’être croyant-e est un défaut, une imperfection, où la politisation, la radicalisation ne peut qu’amener à se débarrasser de ses croyances archaïques. Je crois bien qu’une bonne partie de la gauche (et des radicaux) française voit fondamentalement la religion comme une sorte de maladie qu’on attrape et dont on a un peu honte. Si, à la rigueur, on est croyant-e, on n’en parle pas en public, parce que ça ne se fait pas. A ce niveau, la laïcité permet de justifier cette vision de la religion: la pratique de la religion, c’est quelque chose qu’on veut bien « tolérer« , à la rigueur, tant que ça se fait en privé, discrètement.

Plus radicalement, on retrouve en ce moment une des ambiguïtés historiques de la laïcité à la française. Comme à son habitude, Marine Le Pen a exprimé clairement ce que beaucoup pensent tout bas: que la laïcité serait une sorte de religion de substitution (ce qui la fâche d’ailleurs avec les cathos traditionalistes plus classiques du FN). Comme pendant la révolution de 1789 et son culte de l’Être Suprême, on glisse de la lutte contre l’institution religieuse à la création d’une sorte de culte de remplacement, où Dieu serait remplacé par la République et le Peuple. Une laïcité de croisade, qui se fixe comme objectif d’éliminer toutes les religions de la surface de la terre, de remplacer leurs valeurs par les siennes. Le succès de Sarkozy repose aussi, à mon avis, sur le fait qu’il a parfaitement su parler le langage de ce culte républicain qui a du succès en ce moment. Ségolène Royal essaie aussi de surfer sur cette vague.

Ce discours enfle de plus en plus ces derniers temps. Il y a quelques semaines, on a eu une étude de Gilles Kepel qui mettait en opposition « la République » et « l’Islam« , comme deux ensemble de valeurs qui devaient s’opposer et conquérir des terrains l’un face à l’autre. Le problème des gosses des banlieues, c’est qu’ils sont tourné-e-s vers « l’islam » (perçu comme un bloc monolithique), et pas vers « la république » (perçue comme tout aussi monolithique). Les trucs qu’on entend depuis longtemps sur la nécessité de « sacraliser l’école« , c’est la même logique: il s’agit de « faire assimiler » aux enfants les « valeurs de la République« , comme si « la république » était une vision du monde, et une vision du monde qu’il fallait à tout prix partager pour être un-e vrai-e français-e.

Pourquoi ce discours prend en ce moment ? Parce qu’il permet de rejouer un scénario qui est ancré dans notre histoire, de mettre en scène à nouveau le combat pour la séparation de l’Église et de l’État de la fin du XIXème siècle. A cette époque, la gauche combattait la réaction en se battant pour la laïcité. Donc, à notre époque, se battre pour cette même « laïcité« , c’est forcément être du bon côté, non ? Utiliser ce mot, ça permet de court-circuiter l’histoire, de faire comme si le contexte était le même et d’imposer une certaine lecture de notre réalité contemporaine. Ça permet de disqualifier les discours du camp d’en face: qui peut bien être contre la laïcité, une idée pour laquelle des générations de militant-e-s se sont battu-e-s ? La laïcité, en ce moment, fonctionne comme une puissante arme rhétorique.

Je crois que la laïcité (et sa transformation d’un outil de lutte à une « valeur« ) est en ce moment une des passerelles qui permettent à une rhétorique de droite d’imprégner tous le discours politique, jusqu’au fin fond de la gauche. L’utilisation du langage de la laïcité permet à des bonnes vieilles thèses racistes d’être formulées de manière plus acceptable et permet donc d’étendre le consensus raciste de plus en plus largement. Taper sur les musulman-ne-s, c’est raciste. Taper sur l’islam au nom de la laïcité, ça passe. Je dirais même plus, que le langage de la laïcité permet à des bon vieux discours coloniaux d’être réutilisés sans problèmes.

Toutes les discussions sur « la place de la femme dans l’islam » sont un exemple parfait de ça. Accuser les « civilisations inférieures » de maltraiter « leurs femmes« , c’est un grand classique du discours colonial. En France, au Royaume-Uni, aux USA, on a toujours accusé les noirs, les indiens, les arabes, etc d’être des barbares qui battent et violent « leurs » femmes. La littérature coloniale est remplie de ce genre d’accusations. Mais, maintenant, on peut reformuler ce genre de discours en parlant de la charia, des Talibans et autres épouvantails.

En France, historiquement parlant, la laïcité n’a jamais débouché sur des avancées pour les droits des femmes. Les députés socialistes qui ont voté la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État n’étaient certainement pas féministes. Après 1905, aucune loi favorable aux droits des femmes n’a été votée dans la foulée de cette victoire, et cette loi n’a pas changé grand chose à la situation des femmes en France. La laïcité à la française n’a pas empêché les femmes françaises de ne pouvoir voter qu’assez tard (en 1945).

La diversité des conditions des femmes dans ces pays musulmans prouve que cette condition n’est pas tellement liée à l’islam, mais plutôt à certaines réalités sociales et économiques (et ça devrait être une évidence de rappeler que les dominations sont issues de réalités de cet ordre, et pas « d’archaïsmes« ). Or, le colonialisme est responsable de beaucoup de ces réalités sociales et économiques, ce sont nos pays qui largement exploité et détruit les sociétés locales. De nombreuses manières, le colonialisme a été, et est toujours, le pire ennemi des droits des femmes dans les pays musulmans, et c’est ce que disent de nombreuses associations féministes là-bas. Que ces pays soient patriarcaux est évident, mais le fait qu’ils le soient plus que les nôtres ne l’est pas. Certains le sont peut-être, mais tous ne le sont certainement pas.

Si ces discours autour des droits des femmes dans les pays arabes venaient d’une préoccupation réelle pour les droits des femmes, on ne nous bassinerait pas avec la laïcité. On traduirait des textes écrit par des féministes musulman-ne-s, on parlerait de l’histoire de leurs luttes, on leur donnerait la parole, on faciliterait leur travail, bref on ferait un vrai travail de solidarité. Au lieu de ça, on parle « laïcité » pour pouvoir ressortir les fadaises coloniales sur les indigènes et les femmes sans avoir l’air d’y toucher. Comment croire que Bernard-Henri Lévy, grand défenseur de Polanski et de DSK aie vraiment quelque chose à foutre des femmes arabes ?

Il faut se débarrasser de cette association historique qui est faite, par l’intermédiaire d’utilisation du mot « laïcité« , entre nos luttes contre l’Église comme institution au XIXème siècle et la situation actuelle dans les pays arabes. Les différents partis islamiques qui remportent des élections dans les pays arabes depuis quelques années (le Hamas en Palestine en 2006, l’AKP en Turquie en 2007, Ennahda en octobre de cette année, probablement les Frères Musulmans en Égypte bientôt) ne représentent pas les mêmes forces sociales que l’Eglise représentait en France en 1870.

Ils ont été victimes d’une répression plus ou moins féroce mais toujours réelle depuis des décennies et ont, malgré tout, réussi à prospérer, ce qui prouve qu’ils disposent d’une base sociale solide. L’Église en France était en cheville avec la grande bourgeoisie et l’aristocratie, ce n’est pas le cas de ces partis. Tous ces partis sont nés de l’expérience de la lutte contre le colonialisme (et contre le néo-colonialisme qui a pris le relais dans les années 70), ce qui leur donne une perspective et une situation fondamentalement différente de l’Église française qui exerçait, au XIXème siècle, un rôle central dans la société depuis des siècles. Étant donné qu’on les classifie comme des « terroristes » depuis leur apparition, on a peu d’études sur eux, mais le peu qu’on a tend à montrer qu’on à plus affaire à des partis portant un programme réformiste bourgeois classique mais adapté aux réalités locales qu’à une succursale du Front National.

C’est sûr que si une révolution sociale devait avoir lieu dans les pays arabes, ces partis seraient du côté conservateur, mais ça n’en fait pas des menaces fascistes. Par contre, les forces qui s’opposent à eux ont eu de nombreuses occasions de montrer qu’ils étaient prêts à toutes les saloperies, ici et maintenant (spéciale dédicace aux généraux algériens: plus de 100 000 morts depuis 1991). Je crois que continuer à propager un discours sur la « laïcité » et les « danger de l’islam politique » ne fait que renforcer les tortionnaires de tout poil. De la même manière que le soutien de nos gouvernements aux dictateurs arabes au nom de la lutte contre l’islamisme a probablement empêché les révolutions de se produire vingt ans plus tôt, ramener la question de la laïcité maintenant me semble dangereux.

Dangereux, parce que les révolutions arabes vont devoir maintenant affronter leurs contre-révolutions, et je ne vois pas comment amener le discours sur la question religieuse peut aider à renforcer les forces révolutionnaires. Ennahda va probablement se faire rattraper par la crise comme tous les partis bourgeois et, à ce moment-là, les ruptures se feront sur des bases sociales et politiques claires. Pour moi, c’est ça qu’il faut préparer dès maintenant, pas se perdre en débats savants sur la nature de l’islam politique.


Pendant ce temps, en Israël …

Posted: juillet 28th, 2011 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 2 Comments »

Ces temps-ci, il y a une actualité très riche concernant le Moyen-Orient en général, et la situation en Palestine en particulier. Moi comme beaucoup d’autres, je me suis retrouvé à parler des révoltes arabes, des derniers développement autour de la reconnaissance d’un état palestinien, de la réconciliation Fatah-Hamas, … on avait pas vu autant de transformations et d’évènements dans la région depuis longtemps.

Mais on ne parle pas d’Israël. Enfin si, on parle du gouvernement israélien qui essaie de vendre ses salades comme d’habitude, de l’insondable relation entre Israël et les USA et d’autres sujets géopolitique du genre. Mais on ne parle pas de la société israélienne, de l’atmosphère quotidienne en Israël pendant qu’on dissèque la mythique « rue arabe« . Pourtant, la société israélienne est sacrément ballottée en ce moment, peut-être bien de la manière la plus intense depuis l’invasion du Liban, au début des années 80.

Depuis quelques années, Israël connaît un virage à droite complètement délirant. Le gouvernement actuel repose en grande partie sur des partis extrémistes religieux et sur l’extrême-droite laïque et ultra-nationaliste d’Avigdor Liberman (un type avenant qui a pu déclarer qu’on « ferait mieux de noyer [des prisonniers palestiniens] dans la mer Morte »). Ce qui permet de se rendre compte de l’ampleur de l’échec de la gauche juive israélienne, c’est que le Parti Travailliste, bon vieux parti social-démocrate (profondément sioniste, mais social-démocrate quand même), qui a gouverné quasiment tout seul le pays pendant quatre décennies a choisi de rejoindre ce gouvernement histoire de grappiller quelques postes. Réunis, les votes de l’extrême-droite religieuse ont été supérieurs à ceux du parti travailliste.

En fait, Israël fonctionne en ce moment comme une caricature de tous les pays occidentaux: ces dernières années, la droite la plus raciste a réussi à y dominer la parole politique et à imposer son langage et ses thématiques. Toute la scène politique se sent obligée de se positionner sur les lubies de l’extrême-droite. Et l’extrême-droite israélienne ferait passer Marine Le Pen pour une gentille conservatrice un peu molle.

Pendant quelques années, les délires verbaux et les projets cinglés de cette extrême-droite ont surtout visé les palestinien-ne-s, à l’extérieur comme à l’intérieur d’Israël. Liberman est, là encore, un bon exemple. En 2006, il a qualifié des élus arabes du parlement israélien qui rencontraient le Hamas de « collaborateurs »: « la Seconde Guerre Mondiale s’est achevée avec les procès de Nuremberg. Les dirigeants du régime nazi et leurs collaborateurs ont été exécutés. J’espère que les collaborateurs [au sein du parlement israélien] connaîtront le même sort ». Tant que ces délires visaient les palestinien-ne-s, la gauche israélienne a très peu réagi: quand Haneen Zoabi, une élue arabe à la Knesset (l’assemblée nationale israélienne) a été agressée par des députés de droite dans l’enceinte du parlement après sa participation à la flottille pour Gaza de 2009, la gauche israélienne n’a (presque) rien dit (les vidéos, uniquement sous-titrées en anglais, sont éclairantes: les seuls députés la soutenant sont ses camarades du Balad, parti d’extrême-gauche arabe israélien).

Mais plus le temps passe, plus les menaces se rapprochent de la gauche juive israélienne. Au mois de juillet, l’extrême-droite a réussi à faire permettant aux colons de faire un procès à toute personne appelant au boycott des produits des colonies israéliennes. Il s’agit d’une attaque politique directe: en réaction à la campagne palestinienne BDS, une partie de la gauche juive israélienne a commencé à s’impliquer dans un boycott plus modéré, un boycott des produits venant des colonies; avec cette nouvelle loi, tout appel à boycotter les produits des colonies devient illégal. L’extrême-droite a immédiatement voulu exploiter sa victoire en demandant à la Knesset de mandater une commission parlementaire d’enquête sur des associations et ONGs israéliennes qui seraient soupçonné-e-s de participer à des boycotts. La demande de commission a été repoussée sous le regard embarrassé de Netanyahou, qui se retrouvait coincé entre deux alliés, mais l’offensive de droite va très clairement reprendre bientôt.

Dans ce contexte de fascisation globale de la politique israélienne, la question palestinienne paralyse complètement la gauche juive israélienne. Toutes les érosions de la démocratie libérale israélienne ont commencé à être expérimentées sur les palestinien-ne-s, que ce soit dans les Territoires Occupés ou à l’intérieur d’Israël. Mais maintenant, ce durcissement commence à toucher la société juive israélienne, et la gauche juive se retrouvé coincé: dénoncer maintenant le processus de répression est compliqué quand on en a accepté les principes et les justifications tant que ça concernait les palestinien-ne-s. Vu que cette gauche juive a accepté le chantage à la « sécurité » et à la « défense de l’intérêt national », elle est à court d’argument pour contester cette logique maintenant qu’elle s’approfondit. Quelques mois avant la loi interdisant l’appel au boycott, une autre loi votée par la Knesset a interdit aux associations subventionnées d’une manière ou d’une autre de parler de la Nakba (l’expulsion massive et par la violence des palestinien-ne-s durant la fondation de l’état d’Israël en 1948). L’argument invoqué est que l’évocation de la Nakba débouche sur la remise en cause de l’état d’Israël et/ou de son caractère « juif et démocratique ». La gauche juive israélienne ne s’est pas élevée contre cette loi. Le même argument lui est revenu comme un boomerang au moment du vote sur la loi contre le boycott des colonies: les colonies font partie intégrante de l’état d’Israël, et les remettre en cause, c’est s’en prendre à la fois à l’intérêt national d’Israël et à ses citoyens.

Le problème est très profond, puisqu’il vient directement de l’idéologie fondatrice de l’état d’Israël. Malgré le fait que la plupart des dirigeants fondateurs d’Israël étaient des juifs non-pratiquants, la construction nationale d’Israël s’est faite sur des bases profondément religieuses (malgré un ton un peu irritant, le bouquin de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, explique tout ça très bien). Toute l’idée du peuple en exil revenant vers la Terre Sainte qui lui a été promise et qui lui est destinée est une idée fondamentalement religieuse. L’état israélien a exploité cette idée parce qu’elle était profondément ancrée dans l’imaginaire juif de l’époque, et qu’elle pouvait exercer une influence profonde. Israël a eu, comme tous les états, besoin d’un mythe fondateur au moment de sa création, et a utilisé un mythe religieux. Ce mythe a fonctionné efficacement pendant de nombreuses années, permettant de cimenter la société juive israélienne, mais paralyse maintenant toute lutte de la gauche juive israélienne contre les colons et la droite religieuse. Les colons, après tout, ne font que s’installer sur le territoire qui revient de droit aux juifs, illes ne font que repeupler la Terre Promise. Si s’approprier les trois-quarts de la Palestine était juste en 1948 (au nom du droit du peuple juif sur sa terre ancestrale), pourquoi en grignoter encore quelques pour-cents serait injuste ? La droite et l’extrême-droite religieuse israélienne a bien conscience du rôle fondamental de la religion juive dans l’identité nationale israélienne. Elle se sert efficacement de cette importance pour présenter toute attaque contre elle comme une attaque contre la nation israélienne.

Tant qu’Israël avait le vent en poupe, des intérêts laïques et religieux contradictoires pouvaient cohabiter (c’est le fameux statu-quo négocié entre Ben Gourion et les leaders religieux en 1948). Maintenant que la situation mondiale est plus difficile, qu’Israël, comme le reste du monde, est pris dans la crise capitaliste, que l’occupation des territoires palestiniens devient de plus en plus coûteuse moralement et économiquement (si vous lisez l’anglais, cherchez le formidable bouquin d’un chercheur israélien, Shir Hever, sur les conséquences économiques de l’occupation), les tensions présentes dès l’origine d’Israël sont prêtes à éclater. Derrière les conflits de plus en plus intenses entre israéliens religieux et israéliens non-pratiquants, c’est la question de l’identité d’Israël qui est en jeu. L’occupation actuelle des palestinien-ne-s ne peut être maintenue qu’en conservant l’identité israélienne actuelle, profondément sioniste et religieuse, et tant que ce fondement identitaire d’Israël perdurera, la gauche juive sera impuissante face aux colons et aux orthodoxes.

C’est dans ce contexte que les tensions au sein de la société israélienne ne font qu’augmenter: Jérusalem est un terrain d’affrontement politique régulier entre orthodoxes et laïques autour de l’application ou non du Shabbat, et la police a dû intervenir plusieurs fois pour empêcher des juifs orthodoxes d’agresser des voitures circulant près de leurs quartiers le samedi. Même l’armée israélienne (qui n’a jamais été un bastion de générosité) commence à s’inquiéter des propos de certains rabbins d’extrême-droite légitimant le fait de tuer les non-juifs, et la dispense de service militaire massive accordée aux « étudiant-e-s » religieux (qui commencent à représenter plus de 10% de la population) est vue comme de plus en plus injuste. Les juifs orthodoxes représentent un coût de plus en plus grand (notamment en avantages sociaux) pour la société israélienne, et beaucoup de juifs non-pratiquants commencent à trouver ce coût excessif dans la situation actuelle. Une enième loi instaurant un mariage civil et non religieux vient une nouvelle fois d’être rejetée à la Knesset. Globalement, il y a une polarisation de plus en plus grande de la société israélienne: de plus en plus de juifs orthodoxes, et une fracture de plus en plus grande entre pratiquant-e-s et non-pratiquant-e-s.

Il y a donc un équilibre de forces qui bouscule en ce moment dans la société israélienne, entre le poids de plus en plus grand de l’occupation sur la société, la crise économique mondiale qui remet en cause la position économique d’Israël dans le monde, et les tensions croissantes entre orthodoxes et non-pratiquant-e-s. Je pense que le noeud qui se forme en ce moment dans la société israélienne ne pourra pas se dénouer sans des changements profonds dans l’identité de l’état d’Israël, ce qui va induire des changements profonds sur le rapport d’Israël aux palestinien-ne-s. L’élite politique actuelle est profondément liée au complexe financier, sécuritaire et militaire qui bénéficie de l’occupation, mais se retrouve en conflit avec les ultra-religieux (et les ultra-nationalistes qui leur sont liés) qui veulent pousser l’occupation à s’intensifier d’une manière intenable (quand on est au gouvernement, il faut tenir compte de deux/trois petites contraintes matérielles). Les non-pratiquant-e-s juives, elles, voient de plus en plus de leurs revenus passer dans le financement de l’occupation. En plus de ça, les colons religieux poussant à intensifier cette occupation sont aussi les mêmes qui cherchent à avoir une emprise de plus en plus grande sur leurs concitoyen-ne-s non-pratiquant-e-s.

Face à ça, Lieberman incarne une des possibilités de réaction: une droite non-religieuse, mais profondément fasciste et raciste, qui veut à tout prix se débarrasser des palestinien-ne-s dans l’espoir que se débarrasser d’elleux résoudra les problèmes d’Israël. Cette droite prend plus en plus de pouvoir, mais je pense qu’à long terme, elle va devoir faire face au fait que, sans justification religieuse, l’oppression nue et cynique des palestinien-ne-s ne réussira pas à fédérer la population israélienne. Abandonner le versant religieux d’Israël, c’est abandonner le mythe du Grande Israël, et c’est renoncer à plus ou moins long terme à l’occupation, étant donné que l’occupation perdra toute justification. La place de la religion dans la société israélienne est trop importante pour beaucoup de monde en Israël, mais sans projet religieux, quelle identité israélienne ? La seule porte de sortie de cette extrême-droite serait l’expulsion définitive des palestinien-ne-s, une tentative de purifier, de faire disparaître les problèmes, mais ce projet est complètement irréalisable dans l’état actuel des choses.

Y’a-t’il d’autres possibilités de transformation ? Ou plutôt, un mouvement en Israël peut-il empêcher que ce glissement à droite n’en finisse plus ? Peut-être. En ce moment, des luttes sur la question du logement éclatent un peu partout en Israël (des campements des tentes et des manifs, à la manière des Indigné-e-s ailleurs en Europe). Un peu comme chez nous, derrière le logement, il y a la question du néolibéralisme, de la crise financière, … A priori, rien à voir avec l’identité israélienne ou la religion. Sauf que l’essentiel (93 %) des terres israéliennes sont contrôlées par l’état, qui les utilise au compte-goutte. Soulever la question de qui utilise les terres et qui en est propriétaire, pour quelle raison, c’est aller chercher le cadavre caché dans le placard de l’état. Depuis les débuts d’Israël, la gestion du territoires et des terres est une question politique fondamentale, et la politique à ce sujet est menée avec une grande discrétion. Dans un état avec une société aussi fragmentée et conflictuelle, la question de qui peut et doit habiter dans quelle quartier est toujours hautement complexe, que ce soit à Jérusalem, dans une colonie de Cisjordanie ou dans le nord d’Israël. Comment maintenir les équilibres démographiques entre palestinien-ne-s et juif/ve-s (surtout à Jérusalem, mais la question se pose ailleurs) ? Comment préserver le caractère orthodoxe ou non de tel ou tel quartier ? Comment décider d’agrandir ou non telle colonie en fonction de la situation diplomatique ?

Ce mouvement sur la question du logement commence à grandir (le syndical officiel vient d’appeler à rejoindre le mouvement et à une grève générale le 1er août). Je pense que s’il veut aller suffisamment loin dans ses revendications, il va devoir se confronter aux problèmes de la société israélienne, et soulever les question identitaires et, avec elles, la question de la Palestine et des palestinien-ne-s. Je ne sais pas si, actuellement en Israël, des alliances sociales suffisamment fortes peuvent se forger pour articuler un nouveau cadre politique et une nouvelle identité qui peut mettre fin au sionisme dominant. Mais c’est ce qui sera nécessaire pour vraiment obtenir quelque chose face à la droite israélienne qui est à l’affût. La gauche juive n’a jamais réussi à faire un travail de remise en cause des fondements sionistes de l’état d’Israël, et elle a toujours été paralysée par ça. Des futurs mouvements sociaux israélien peuvent-ils dépasser ce cadre ? En tout cas, ils n’obtiendrons quasiment rien sans dépasser ce cadre, et sans se confronter à la base raciste de la société israélienne. D’une manière ou d’une autre, l’identité israélienne actuelle devient de plus en plus problématique, et faire reconnaître à la terre entière le « caractère juif et démocratique » de l’état n’y changera rien. En Israël, la question sociale est profondément imbriquée à la question de l’identité nationale, et derrière tout ça, ce qui est en jeu, c’est la Palestine.

[mise à jour (07/09/11)] Plusieurs partis, syndicats et organisations palestiniennes et israéliennes viennent de s’associer dans une déclaration liant la question de l’occupation et de la colonisation de la Palestine aux luttes sociales en cours en Israël, juste après un week-end de grosses manifs (à peu près 500 000 personnes, d’après les médias) là-bas. Il y a une traduction en français.