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Tiqqun – Extérieur(s), intérieur(s), pouvoir et communisme (I)

Posted: juillet 29th, 2009 | Author: | Filed under: Tiqqun | Commentaires fermés sur Tiqqun – Extérieur(s), intérieur(s), pouvoir et communisme (I)

Du coup, comme je l’ai dit à la fin du précédent article, c’est de cette histoire d’extérieur dont je vais partir pour ma critique de Tiqqun. Je sais que dans le vocabulaire tiqqunien, critique n’est pas un mot qui a la cote (Introduction à la guerre civile est assez saignant là-dessus), mais, étant donné que j’essaie de faire une critique qui soit aussi politique, j’espère que ça puisse sembler intéressant quand même.

[Note technique: dans cette note, toutes mes citations, sauf exception,
sont à nouveau extraites d’Introduction à la guerre civile]

En fait, je crois que la solution que Tiqqun apporte à la problématique de l’autonomie, de notre incapacité à trouver des extérieurs dans le capitalisme contemporain, ne fonctionne pas. Je crois même qu’elle ne fonctionne pas parce que ce problème n’est même pas vraiment posé: d’une certaine manière, pour Tiqqun, chacun-e de nous est toujours resté extérieur au monde capitaliste.

Comment se fait le passage de « citoyen de l’Empire » (ce qui revient à dire « flic », en vertu de « l’équation citoyen = flic ») à « agent du Parti Imaginaire »
? En redirigeant son hostilité contre l’hostilité elle-même, en « désertant ». En faisant ça, on accomplit la mince transformation éthique qui mène au « commun ». Si ce pas est si mince, si infime, c’est qu’en fait tout ce dont à quoi ‘on’ est attaché avant de faire ce geste n’existe pas vraiment. Toutes les relations amicales, les relations amoureuses, l’environnement de travail, tout cela ne constitue pas des liens réels, puisque tout cela se fait dans le cadre de l’Empire. Tout ce qu’on déserte, ce sont des « simulacres ». En un sens, chacun-e de nous ne se situe pas à l’intérieur de quoi que ce soit, ni même du capitalisme, puisque dans notre condition, nous n’expérimentons rien, que rien n’est donc autour de nous. Notre capacité à nous tenir en-dehors du capitalisme n’a jamais été perdue, mais plutôt inutilisée et, plus précisément encore, gaspillée. Une glose d’Introduction à la guerre civile précise clairement qu’en fait, alors qu’on pourrait croire le Bloom (c’est-à-dire le « citoyen de l’Empire » dont je parlais plus haut) incapable de penchants, d’expérience, et donc de présence, il a en fait un goût pour le « néant ». Le Bloom est un trou noir à énergie, à intensité.

En relisant certains passages, ça se précise: « l’Etat moderne » extrait de la « vie nue » des formes-de-vie, en les « brisant », en les « déchirant », et c’est cette « extraction » de vie qui lui permet « d’entraver […] le libre jeu des formes-de-vie » (ça, c’est dans la première glose de la proposition 39). Ce que fait cet Etat moderne (et donc le capitalisme), c’est d’usiner des formes-de-vie, en prenant bien garde à les usiner brisées, pour qu’il puisse récupérer toute cette « vie nue » qui « suinte » des fêlures, ce qui lui permet par la même occasion de maintenir sa domination puisque des formes-de-vie fếlées ne peuvent pas développer de vraies intensités, et donc constituer une menace. Par certains côtés, on retrouve là le même genre de formulation que dans les passages les plus enflammés du Capital de Marx où il parle du capitalisme comme d’un « vampire », suçant la vie des prolétaires pour se développer. C’est là que je me dis que quelque chose cloche. Chez Marx, ces passages correspondent à des envolées, au moment notamment où il décrit (tout en images) la condition des ouvrier-e-s dans l’Angletterre du XIXème siècle, mais il ne prétend pas fonder la révolution prolétarienne sur la souffrance de ces ouvrier-e-s. Là, dans Tiqqun, la logique théorique même des textes est fondée là-dessus: c’est comme si les citoyens, les Blooms, étaient des citrons qui finissaient par éclater à force d’être trop pressés, et qui en éclatant libéraient toute leur énergie, qui pourra alors être utilisé pour balayer ce qui les écrasait avant. Le problème, c’est qu’en observant divers systèmes de domination, je ne suis pas sûr que ce soit ça qu’on voie.

Là où je trouve le contraste avec Marx intéressant, c’est que le Capital n’est pas un livre dénonçant la condition ouvrière, c’est un livre prétendant décomposer, analyser le fonctionnement du capitalisme, et rendre ses contradictions claires pour pouvoir travailler à sa destruction. Si la révolution est possible chez Marx, c’est parce que le capitalisme ne peut pas échapper à ses propres contradictions, c’est sa logique même qui fait qu’il ne peut pas trouver de stabilité, ou qu’il ne la trouve que pendant un temps limité. Dans la construction théorique de Tiqqun, ce n’est pas clair pourquoi le capitalisme ne pourrait pas continuer à survivre comme ça, en gérant constamment l’hostilité qu’il génère dans la société. Pour que le mécanisme insurrectionnel décrit dans Tiqqun fonctionne, il faudrait que toute cette hostilité éclate d’un coup, se propage très rapidement, avant que l’Empire ne puisse réussir à répartir à nouveau dans toute la société cette hostilité dirigée d’un coup contre lui. Peut-être que les choses se passeront comme ça, mais étant donné qu’on a peu d’éléments à se mettre sous la dent sur le fonctionnement contemporain de l’Empire dans Tiqqun, on ne sait pas trop.

En fait, il s’agit de quelque chose de plus profond: la caractérisation quasi unique du capitalisme (ou de l’Empire) dans Tiqqun, c’est qu’il est décadent. A partir du moment où on a dit qu’il était décadent, on a tout dit, puisqu’on part du principe qu’il n’a plus rien à faire, qu’il ne peut plus que s’agiter dans tous les sens et finir par mourir. C’est à cette condition-là que l’éclatement nécessaire (dans la perspective de Tiqqun) est possible: il n’y a qu’à commencer à faire exploser tout ça, et puis, par contagion, tout va s’écrouler. Si on part de ce postulat, si on a affaire a une structure aussi fragile, peut-être effectivement que l’hostilité retournée du Parti Imaginaire peut tout faire sauter. Mais cela fait reposer toutes nos pratiques collectives possibles sur cette décadence, ce qui nous laisse seulement deux possibilités: avoir la foi, ou chercher (et trouver) les signes de cette décadence. L’Appel et l’Insurrection qui vient, deux textes très proches de Tiqqun, combinent ces deux possibilités: ils affirment tous les deux cette foi en l’effondrement prochain de ce monde (c’est en effet une insurrection imminente, « qui vient »), tout en listant les multiples signes de cet effondrement. Le problème restant, c’est que la décadence du capitalisme semblait tout aussi inéluctable à Rosa Luxembourg dans les années 1910, et que si nous sommes encore à en parler, c’est qu’elle s’est malheureusement trompée.

[Mise à jour] En fait, j’ai coupé ce texte en deux, la suite est donc au prochain épisode


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