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Matérialisme ? Vous avez dit matérialisme ?

Posted: mars 3rd, 2011 | Author: | Filed under: Marx, marxisme, matérialisme | Commentaires fermés sur Matérialisme ? Vous avez dit matérialisme ?

Y’a quelques jours, j’ai eu une discussion plutôt très intéressante avec une camarade. Si vous voulez tout savoir, c’est la camarade qui a fait le joli dessin qui me sert de bannière. Elle est très chouette comme camarade, mais ce n’est pas le sujet. Un peu métaphysique comme discussion: on parlait du mal et de la cruauté, chez les animaux et chez les humain-e-s. C’est une discussion qu’on avait déjà eu il y a quelques mois, elle et moins et j’étais assez content cette fois puisque j’arrivais à exprimer clairement ce que je voulais dire.

En revenant dans ma tête sur la discussion, je me suis rendu compte que dans ce genre de discussions, je revenais à chaque fois à un principe fondamental de ma vision du monde. Quelque chose qui serait mon matérialisme personnel. Un truc simple: toute action humaine est toujours rationnelle du point de vue de la personne qui la réalise. Qu’est-ce que je veux dire par là ?

Je veux dire que les gens ne sont pas con-ne-s, ou méchant-e-s gratuitement, ou incohérent-e-s, ou simplement fous ou folles. Ce qu’on fait quand on met ce genre d’étiquettes, c’est de signaler une limite à notre capacité de compréhension d’un acte ou d’un ensemble d’actes. Un truc « trop con », c’est essentiellement un geste que je ne saisis pas, dont je n’arrive pas à comprendre la logique. Hors, je crois que les humain-e-s sont des êtres fondamentalement rationnel-le-s. Dit comme ça, ça fait un peu rigide. Quand je dis « rationnel », je ne pense pas à la logique utilitariste occidentale traditionnelle. Je ne suis pas un économiste un peu obtus, je ne pense pas que les gens agissent en calculant soigneusement des intérêts et des manières de satisfaire ces intérêts. Non, quand je dis « rationnel », je veux dire que ça a une raison, une cohérence, que ça se tient.

Pour moi, chacun-e d’entre nous construit dans sa tête un monde, un ensemble cohérent qui s’enchaine, qu’il est possible d’appréhender. Personne n’a dans la tête un chaos insondable. Sinon, on ne pourrait pas agir. On fait tout le temps des choix, et sans rien pour nous guider dans nos choix, sans base pour décider, ça ne pourrait pas fonctionner. Pour le coup, un des trucs très intéressants qu’on doit à Freud je dirais, c’est justement cette idée là, que les fous et les folles, les gens qui ont des psychoses dans le langage clinique, ne sont pas très différent-e-s des « gens normaux ». Illes ont une logique, une logique fonctionnant vers d’autres directions, c’est tout.

D’une manière similaire, le Mal absolu, ça n’existe pas. C’est ce que j’ai toujours détesté dans les films de serial killers (de quoi ?). Très très souvent, le vilain serial killer (c’est un garçon en général) n’a pas vraiment de raison d’agir. On ne comprend pas vraiment pourquoi il tue tous ces gens, il le fait c’est tout, et il aime ça. Tout est fait pour nous le présenter comme une personne vivant dans une réalité différente, dans un autre monde.  Tiens, c’est pour ça que j’ai traduit le texte d’Ulrike Meinhof sur Jürgen Bartsch (je pense que vous devriez aller le lire si vous ne l’avez pas encore fait; mais bon, j’dis ça, j’dis rien): elle interroge justement cette mise à distance du tueur, comme si il n’y avait aucun lien entre nous, la société où ce tueur est né, et lui, comme si son acte venait d’un puits sans fond de noirceur, inaccessible et insondable. Le diable a disparu avec la prise de la religion sur la vie quotidienne, mais on reconstruit des figures du Mal au quotidien dans nos société contemporaines: le pédophile multirécidiviste, le terroriste ultra-violent, …

Je crois qu’on a tou-te-s besoin de rendre notre expérience du monde cohérente. On a besoin de se dire que le monde que nous expérimentons, dans lequel nous baignons, a du sens. Du sens, c’est-à-dire une certaine justice, en fait. Qu’on ne peut pas tout nous prendre sans rien qu’on aie en retour, que ce ne sont pas toujours les mêmes qui gagnent et qui perdent, que les actes généreux qu’on fait sont récompensés. Je crois que ce n’est pas possible de vivre en tant qu’être humain sans cette conviction. S’il y a quelque chose de très très ancré chez l’être humain, je crois que c’est ça. Le truc fondamental des mômes: c’est pas juste ! On ne fait pas souffrir quelqu’un-e d’autre parce qu’on est méchant-e, mais parce qu’on pense qu’on a le droit de le faire, que la personne le mérite, ou que c’est nécessaire.  Je crois que c’est pour ça que la religion est une des constantes de la vie humaine: la religion, c’est fondamentalement une machine à représenter le monde comme juste. Le type qui t’a offensé ou agressé, ne t’inquiète pas, il le paiera d’une manière ou d’une autre. Dans l’au-delà, par son karma, dans le prochain cycle de réincarnation, … Ce qu’on n’arrive pas à intégrer au sein de cette vision, on le rejette dans une entité, un trou noir qui récupère tout ce qui dépasse: le Mal. Sauf que ce Mal n’existe pas vraiment.

Quand je dis que je suis matérialiste, je veux dire ça: qu’il n’y a rien d’autre dans notre monde que des actes humains, c’est-à-dire des actes ayant une cohérence. Toute la difficulté, c’est de faire communiquer les différentes cohérences, d’intégrer au sein de nous d’autres cohérences pour pouvoir comprendre des réalités de plus en plus complexes et lointaines. Les luttes du quotidien, les affrontements entre les individu-e-s et entre les groupes, sont toujours des conflits de vision du monde. Chacun-e se sent justifié-e et légitime d’agir comme ille le fait, et n’arrive pas forcément à comprendre la légitimité et la cohérence des autres. Ça rejoint ce dont j’avais parlé dans plusieurs autres textes: ce qui est fondamental dans une révolte, c’est que des paroles nouvelles surgissent, que des réalités sont entendues alors qu’elles ne l’étaient pas avant. Une fois que ces réalités sont entendues, l’essentiel du chemin est fait: une fois que la situation injuste est nommée et reconnue comme telle par une quantité suffisante de gens, le combat est gagné. Ça ne durera plus longtemps. Les dominations ne perdurent que tant qu’elles arrivent à se faire passer pour justes, naturelles. D’où mon insistance sur le lien entre état et parole: l’état garantit que certaines paroles ne sortent pas, que certaines choses ne soient jamais entendues. Sans ça, la domination ne serait pas tenable: la domination ne perdure pas parce qu’il y a des gens méchant-e-s pour l’infliger à d’autres gens gentil-le-s, mais parce que toute la société est organisée pour que cette domination semble juste. Le patriarcat et le capitalisme sont des systèmes travaillant à ce que tout le monde trouve acceptable et justifié ce qui ne l’est pas.

On en revient à des choses que j’avais formulé il y a un petit bout de temps: dès qu’on recommence à formuler les conflits en termes moraux, avec du bien et du mal, on arrête de pouvoir réellement comprendre ce qui est en jeu, puisque, pour pouvoir avoir du bien et du mal, il faut que les deux vivent dans une réalité différente, comme si il y a avait un monde du bien et un monde du mal. C’est très facile de repartir là-dedans politiquement: les vampires suçant le sang des pauvres prolétaires innocents, au lieu de l’exploitation, par exemple. Pour moi, poser un point de vue politique matérialiste, c’est ça, c’est dire que ce qui nous bouffe la vie est aussi fait par des humain-e-s, et que je peux comprendre pourquoi illes le font. Comprendre, ça ne veut pas dire excuser et/ou accepter, ça ne veut pas dire ne pas lutter contre. Mais ça veut dire ne jamais entrer sur un terrain moral ou religieux, toujours rester sur le terrain humain, c’est-à-dire sur le terrain social.

Mon matérialisme à moi, c’est de dire que les histoires individuelles comme les histoires collectives ne sont pas des histoires où le bien affronte le mal, mais des histoires où des humain-e-s agissent chacun-e comme ille leur semble juste. C’est bien pour ça que c’est si compliqué. Il n’y a pas de point de vue surplombant qui nous permettrait de juger tout le monde de toute éternité. Il n’y a que des points de vue partiels qu’on essaie de faire communiquer tant bien que mal, en parlant, en échangeant, mais aussi en se confrontant, en luttant avec et même en luttant contre. Dieu n’existe pas. Comme on dit de l’autre côté de la Manche: « There is no justice, just us !« 


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