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Naissance de l’information

Posted: avril 19th, 2010 | Author: | Filed under: Etudions le capitalisme | Commentaires fermés sur Naissance de l’information

Hop hop, comme je l’ai dit un peu auparavant, je vais commencer par essayer de parler de l’informatique. Mais pour ça, je vais essayer de commencer par parler du concept d’information en lui-même: en effet, l’informatique, ce n’est ni plus ni moins que la science de l’information: quoi en faire, comment l’extraire, comment la préserver, … Je crois que « l’information », ça fait partie de ces concepts qui nous entourent tellement qu’on y fait plus attention, alors qu’en vérité, ils cachent des présupposés assez intéressant à comprendre.

En effet, ce terme construit une vision du monde qui n’avait rien d’évident au départ: l’idée qu’un texte, une image ou un son (par exemple) peuvent être envisagés sous le même angle, et que cet angle, c’est ce fameux angle de l’information qu’ils contiennent (les fameux méga ou giga octets, utilisés pour parler aussi bien de la vitesse de la connexion internet que de la taille d’un exposé tapé sous word). En quelque sorte, l’information représente le matériau commun de tous ces éléments virtuels qui nous entourent. Un tel concept était indispensable pour en arriver à la présence massive d’appareils électroniques dans nos vies contemporaines: les ordinateurs (ou les lecteurs mp3, ou les téléphones portables, …) dont nous disposons maintenant ne sont que des machines traitant de l’information, nous permettant d’y accéder, de la transformer et d’en produire. Tout ce qui constitue pour nous maintenant nos « données », stockées sur les clés usb, dans des boîtes mails ou sur des DVDs n’était pas pensable dans les années 50, étant donné qu’on ne disposait pas à l’époque de cet outil très puissant qu’est l’idée d’information, qui permet de regrouper tout ça comme un ensemble de données, sans avoir besoin de se poser la question de ce que sont ces données (un jeu, une présentation powerpoint, un mp3, …). De nos jours, le mot fait un peu ringard, mais le fameux terme de multimédia, qu’on mettait à toutes les sauces dans les pubs des années 90 (pour celleux qui peuvent, rappellez-vous le début du CD-Rom), reflétait bien cette idée de fusionner des choses qu’on avait pu penser auparavant comme étant des réalités séparées: son, image, texte, … Si ça a un sens de dire qu’on vit dans une « société de l’information » ou quelque chose comme ça, c’est dans cette réalité quotidienne où un même appareil peut nous servir maintenant à faire des choses qu’on avait tendance à considérer comme des activités séparées auparavant, comme par exemple discuter avec des amis et écouter de la musique. Qu’on le fasse en même temps ou pas, le fait est qu’on se retrouve à faire toutes ces choses sur une même machine, et que cette machine repose de manière centrale sur cette mystérieuse idée d’information.

Un petit détour. Une vieille idée marxienne qui a été beaucoup utilisée dans la critique du capitalisme, c’est l’idée de réification (on parle parfois de « chosification », mais les connotations ne sont pas tout à fait les mêmes). Réifier quelque chose, c’est faire de cette chose un objet, quelque chose d’abstrait qui peut être utilisé, manipulé et vendu indépendamment de son contexte de création. Pour que la fabrication d’un objet soit profitable en tant qu’investissement, une marchandise doit nécessairement être suspectible d’être produite massivement, et la stabilité d’un prix du marché nécessite des objets relativement standards, dont les différences sont minimes. La réification est donc une étape indispensable pour faire de quelque chose une marchandise: elle est le passage d’un produit artisanal à chaque fois unique et issu d’un rapport particulier entre l’artisan-e fabriquant-e, son/sa client-e et ce qui est créé, à une marchandise anonyme et reproduite à des milliers d’exemplaires, pour être vendue à des milliers de client-e-s différent-e-s, à un prix standardisé. La marchandise est la forme réifiée d’un produit, forme idéale de ce produit dans le cadre du capitalisme. L’objet ainsi obtenu est déconnecté de son contexte de production: quand on achète une tasse dans un supermarché, elle est là avec des dizaines de tasses identiques, toutes fabriquées dans la même usine quelque part en Chine, sans qu’aucune trace ou contact avec son processus de fabrication ne subsiste pour nous, le/la consommateurice final-e. Et, sauf accident, on ne peut pas faire la différence entre deux tasses du même modèle, elle sont toutes les deux des étranges représentantes abstraites de leur modèle, parfaites comme dans un catalogue. Où est-ce que je veux en venir avec ça ? Je crois que c’est là que le concept d’information joue un rôle fondamental: il permet une réification des contenus issus des différents médias. Ou plutôt, il permet une réification d’un plus grand ordre. Un livre ou un vinyl est déjà une marchandise réifiée: ils ont été produits de manière industrielle, à l’identique à partir d’un modèle donné. Mais leur contenu reste attaché au média en lui-même, il ne peut pas en être facilement extrait, et même s’il l’était, le résultat serait artisanal, manuel (au sens d’impliquant une intervention humaine), sujet à des pertes et à des imperfections. Ce n’est plus le cas pour tous les médias numériques (c’est-à-dire basé sur des technologies de l’information) que nous utilisons de nos jours: le contenu d’un DVD peut être copié à l’identique sans perte, et un livre au format pdf ou ePub peut être transferé d’ordinateur en ordinateur sans problème. Avant, c’est en tant qu’objet matériel qu’un livre était (par exemple) réifié, maintenant il l’est en tant que contenu intellectuel.

En un sens, voici la définition de l’information: l’information, c’est du sens (c’est-à-dire quelque chose d’intelligible) réifié, c’est-à-dire coupé de son contexte, et rendu infiniment découpable, séparable et ré-assemblable (outch, vilain mot). L’information, c’est quelque chose comme une unité de sens, c’est-à-dire un élement produit humainement pour être intelligible, compréhensible, partageable, qui aurait été transformé en un matériau retravaillable et abstrait, à partir duquel un grand nombre de manipulations sont possibles, indépendamment du bloc de sens plus large dont l’information a été extraite, et indépendamment du contexte plus large de production. Une fois réifié en tant qu’information, un livre n’est pas différent d’une vidéo, et peut être traité avec les mêmes outils et les mêmes techniques. Un ordinateur est justement une machine universelle à traiter ce genre de contenu, à ré-arranger de l’information ou à transformer du sens (que ce soit un livre scanné, ce qu’on tape au clavier, …) en information. Les progrès de l’informatique sont les progrès de ce processus de transformation du sens en information: extraire de plus en plus d’information d’un contenu donné, pouvoir automatiser des processus d’extraction d’information qui ne l’était pas (reconnaissance vocale ou reconnaissance de caractère par exemple), traiter de plus en plus d’information de plus en plus vite, augmenter l’efficacité de techniques existantes de traitement d’information, … Ce mouvement d’automatisation de plus en plus grande, d’intervention humaine de moins en moins nécessaire, c’est ça le mouvement même d’une industrialisation, à mon sens. Plus le temps passe , plus on dispose d’outils et de machines permettant de manipuler l’information en tant que matériau de la production intellectuelle de manière de plus en plus complexe et diversifiée. De la même manière qu’il a fallu l’élaboration de toute une théorie physique centrée autour du concept de force pour pouvoir concevoir les premières machines à tisser automatisées (les jennies dont j’ai parlé dans le texte précédent), notre XXème siècle a vu la naissance de ce concept d’information, permettant d’automatiser petit à petit le travail intellectuel dans des domaines de plus en plus larges. Pour moi, les « technologies de l’information » renvoient à l’ensemble des sciences et des techniques utilisées pour produire graduellement les outils de cette industrialisation intellectuelle, et si ça peut avoir un sens de parler de notre société comme une société de l’information, c’est dans le sens de l’importance grandissante de cette « industrie des produits intellectuels ». Peut-être bien que le XXIème siècle sera celui de cette nouvelle industrialisation, tout comme le XIXème a été celui de l’industrialisation de la production manuelle.

Ces vingt dernières années, ce phénomène a connu une grande accélération et tous nos appareils utilisés au quotidien sont devenus des ordinateurs numériques, et tous nos formats sont maintenant eux aussi numériques. La photo, le cinéma, la radio, la télévision, la musique, et maintenant le livre ont tous connus ou sont en train de connaître leur « révolution numérique » (toujours les grands mots), qui correspond au passage généralisé aux technologies de l’information pour la production et à la disparition de tout ce qui ne produit pas de l’information numérisée et expoitable en tant que telle (la vitesse de disparition des appareils photos traditionnels a été assez incroyable). Je crois donc que ce processus est en train de transformer profondément le capitalisme lui-même, qu’il est peut-être bien en train de se réorganiser autour de cet industrialisation intellectuelle, ce qui amène logiquement ce processus à transformer profondément notre environnement et nos vies. Et donc, pour dire un peu plus précisément ce que je compte faire, je voudrais essayer de cerner un peu plus les dynamiques actuelles de ce processus, et essayer d’y trouver des possibilités éventuelles de luttes présentes et futures, ou au minimum de voir comment cela peut transformer nos luttes actuelles. Ce sera quand même le diable qu’une transformation profonde du mode de production capitaliste ne débouche pas sur de nouvelles perspectives pour préparer sa chute. Ou peut-être alors que mes présupposés étaient faux, et que la transformation que j’essaie de décrire ne se produit pas ou n’est pas si importante, mais la meilleure manière de s’en rendre compte me semble être d’explorer cette intuition, et d’espérer que les réponses vaudront le détour. En produisant ces textes, j’affine au fur et à mesure mon objectif et mes idées, je verrais bien où ça mènera 🙂

Le prochaine texte, qui devrait venir vite j’espère, devrait causer d’Internet.


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