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Tiqqun – Guerre civile, éthique (II)

Posted: juillet 27th, 2009 | Author: | Filed under: Tiqqun | Commentaires fermés sur Tiqqun – Guerre civile, éthique (II)
[Cet article fait partie de mes notes sur Tiqqun, que c’est bien de lire dans l’ordre, je crois]

Cet article est la deuxième partie d’une note, donc si elle vous paraît incompréhensible, c’est peut-être que vous n’avez pas lu la première partie. Ça, ou alors cet article est vraiment incompréhensible, et là, ça veut dire que je me suis pas très bien débrouillé (ce qui est tout à fait possible) …

Donc, un des fronts sur lequel le capitalisme travaille à empêcher le libre jeu des formes-de-vie est celui des corps. Plus précisément, il "fêle" les corps, c’est-à-dire qu’il les brise afin qu’ils ne soient plus capable d’être chacun habité que par une unique forme-de-vie. Ça a comme conséquence que les corps deviennent de moins en moins capable de souplesse, de changement, et qu’ils tendent à ne plus pouvoir vivre que dans une situation donnée à l’exclusion de toute autre. Tiqqun: "Plus un corps est fêlé, […] plus il tendra à recréer les situations où il se trouve engagé à partir de ses polarisations familières". Le Bloom est l’exemple ultime de ce processus, car il est une figure qui ne peut réagir en toute situation que par une indifférence, une mise à distance, une incapacité de faire face à la situation. Tiqqun encore: "Avec la fêlure des corps croît l’absence au monde et la pénurie des penchants". Or, sans penchants, sans goûts, pas d’ami-e-s ou d’ennemi-e-s, c’est-à-dire pas de communauté; et réciproquement: "Il est constant que les corps privés de communauté sont aussi par là privés de goût: ils ne voient pas que certaines choses vont ensemble, et d’autres pas".

La générisation de ces "fêlures" est un mécanisme essentiel par lequel le capitalisme a réussi à pacifier son monde, et donc à survivre, étant donné que son facteur de survie le plus sûr est de réussir à empêcher tout conflit, nous dit Tiqqun. Fêler les corps, c’est à la fois rendre impossible tout conflit et détruire toute possibilité de communauté, l’une (la communauté) n’allant pas sans l’autre (le conflit, la politique). Là encore, la tâche du Parti Imaginaire est de retrouver le sens de la communauté brisé par le capitalisme en libérant le jeu des formes-de-vie, c’est-à-dire en étendant la guerre civile.

Cela dit, comment le capitalisme s’y prend t’il pour fêler les corps ? Tiqqun dit que l’outil qui à servir à la fêlure des corps a été l’Etat moderne (celui qui naît aux alentours de la révolution française), dont "le geste fondateur" a été et est encore de séparer le "public" du "privé", la "politique" de la "morale". En accomplissant cette séparation, l’Etat a fait naître le dilemne perpétuel entre les idées et les actes, ce que chacun-e pense et ce qu’ille vit, et la souffrance perpétuelle de devoir faire des compromis constants entre ces deux sphères. La "scission entre liberté intérieure et soumission extérieure" est inévitable en vivant à l’intérieur d’un Etat, et elle finit par épuiser chacun-e tentant de préserver son ‘intégrité’, son ‘authenticité’ face à ce qu’ille se retrouve à faire pour survivre.

En effet, l’autre face de ce processus est la naissance de l’individu-e économique, c’est-à-dire de l’individu-e avec des intérêts, des valeurs. Devenir un-e citoyen-ne, c’est à dire un-e individu-e public/que, est conditionné au fait de devenir aussi un-e individu-e privé-e, c’est à dire une individu-e économique. J’ai parlé dans d’autres notes du processus d’intégration du prolétariat, qui a justement dû abandonner sa partie négative, inintégrable dans l’Etat, la lutte des classes, afin d’obtenir des droits, des garanties et de voir ses ‘intérêts de classe’ respectés. En ce faisant, il a aussi dû accepter les règles du jeu capitaliste qui le condamnent à l’exploitation, en ayant perdu ce qui faisait sa force, c’est-à-dire la lutte des classes. Le Bloom est l’aboutissement des deux branches de ce processus, devenu complètement transparent à force de vouloir être parfaitement "citoyen", statut de citoyen qu’il n’a obtenu qu’au prix de sa totale soumission au règne de l’économie capitaliste.

Ce front de la fêlure des corps ne semble pas fournir beaucoup de perspectives pour attaquer le capitalisme. Ces perspectives, nous allons donc les trouver sur l’autre front, complémentaire de celui dont je viens de parler, le front de l’hostilité.

En fait, en fêlant les corps, en attachant chacun d’eux à une forme-de-vie unique, le capitalisme a généralisé l’hostilité. "L’hostilité", nous dit Tiqqun, c’est "lorsque que deux corps animés […] par des formes-de-vie l’une à l’autre absolument étrangères viennent à se rencontrer" (c’est moi qui souligne). L’amitié ou l’inimitié suppose que deux formes-de-vie partagent une certaine proximité; l’hostilité correspond à une distance absolue, à une étrangeté totale. Deux formes-de-vie hostiles l’une à l’autre ne peuvent rien faire ensemble, ni se lier, ni s’affronter. En fêlant les corps, en freinant au point de presque l’arrêter le mouvement, le jeu des formes-de-vie, l’Etat a par la même occasion "étendu la sphère de l’hostilité": quand ni amitié ni inimitié, ni communauté ni affrontement ne sont plus possibles, il ne reste que l’hostilité. Mais plus l’hostilité se répand, plus il ne lui reste qu’une issue: se transformer en hostilité à l’hostilité elle-même, et en hostilité à l’égard ce de qui créé cette hostilité, c’est-à-dire l’Etat et le capitalisme. C’est par la que le libre jeu des formes-de-vie peut-être retrouvé, et la guerre civile étendue: en dirigeant l’hostilité contre ce qui nous rend chacun-e hostile. "L’hostilité qui, dans l’Empire, régit tant le non-rapport à soi que le non-rapport global des corps entre eux, est pour nous l’hostis. […] Je veux dire que c’est la sphère même de l’hostilité que nous devons réduire".

Le schéma est donc celui-ci:

  • le capitalisme a toujours dû, pour survivre, "atténuer", neutraliser le libre jeu des formes-de-vie. Afin de réussir, il a généralisé l’hostilité des corps les uns envers les autres, les brisant afin de les priver de tout commun, de toute possibilité de partager des expériences.
  • à la fin de ce processus, il ne reste plus maintenant que des Bloom, des êtres absolument hostiles à tout, ne partageant plus aucune communauté.
  • à partir de là, ce qu’il reste à faire, c’est retourner l’hostilité contre elle-même, et la "réduire" méthodiquement avec ses propres armes.
  • le Parti Imaginaire est l’espace dans lequel cette réduction de l’hostilité se fait. L’espace où amitié et inimitié, communauté et conflit sont expérimentés, c’est-à-dire où on "élabore la guerre civile". Le Parti Imaginaire s’agrandit par "contagion", en réduisant l’Empire, espace de l’hostilité et des citoyens.
  • au bout du chemin du Parti Imaginaire, il y a le "tiqqun", le communisme, le libre jeu des formes-de-vie sans restriction, chaque être libérant sa "signification" propre, trouvant sa communauté. Chaque forme-de-vie tend à constituer une communauté, qui à son tour se "constitue en monde". Face au capitalisme et à son monde, il y a le communisme des mondes.

Le chemin a été long, mais je crois que j’ai fini cette lecture. Il y a des thèmes et des textes des Tiqqun dont je n’ai pas du tout parlé, mais je vais m’arrêter là, en tout cas pour l’instant, vu que je crois être arrivé à quelque chose qui décrit plutôt pas mal la cohérence théorique des textes tiqquniens en général. A partir de cette lecture, je vais essayer, dans les jours qui viennent, de développer les désaccords, les problèmes que j’ai avec la logique que je viens d’exposer et qui est, je crois, celle des Tiqqun et des (nombreux) textes qu’ils ont inspiré.

[Mise à jour] En fait, j’ai finalement fait un petit détour.


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