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Notes de lecture(s): Brigades rouges, Italie et années 70

Posted: février 16th, 2011 | Author: | Filed under: Fils historiques | 2 Comments »

 

« Il existait alors un mouvement fait d’hommes et de femmes qui croyaient changer le monde. De manière radicale. Par une révolution. »

Insurrection, Paolo Pozzi

Comme beaucoup de camarades, j’ai un jour découvert avec des yeux émerveillés l’histoire des années 70 en Italie. Pour ma part, ça va être par l’intermédiaire du formidable boulot que font les camarades de l’intervento (bientôt près de chez vous).

Comme beaucoup de camarades encore, j’ai d’abord été fasciné par la richesse de la période que je découvrais. Un mélange bigarré de luttes ouvrières radicales, un foisonnement d’auto-organisation, de comités, d’assemblées de base, de squats, de grèves à l’usine, de grèves des loyers, d’autoréductions, une lutte armée vivace et tout aussi diverse que le mouvement, une poussée féministe incroyable, des luttes homosexuelles se mélangeant à tout ça, …

Ensuite, toujours comme beaucoup de camarades, j’ai découvert l’incroyable violence de la période: les manifestations armées, les affrontements constants avec la police, mais aussi avec les fascistes, les attentats-boucheries contre des cortèges dans le cadre de la stratégie de la tension, la clé à molette  des étudiant-e-s milanais-e-s et le P38, …

Au fil de mes lectures, il y avait toujours un étrange point sombre, un sujet qui revenait souvent mais qui restait bien mystérieux tellement les gens le contournaient: les Brigades Rouges. Ces mystérieuses BR possèdent le charme certain d’être à peu près calomniées par tout le monde, du PCI au mouvement autonome en passant même par un des fondateurs du groupe. Debord ira aussi de sa célèbre accusation complotiste à leur sujet (dans ses Commentaires sur la société du spectacle de 1988). Dès qu’on parle des BR, on rencontre une foule de réflexions allusives les mettant en cheville avec le KGB, la CIA, des officines secrètes des services secrets italiens et autres méchants divers. Une sorte d’aura digne d’un film d’espionnage entoure le groupe.

C’est donc peut-être surprenant que ce qui m’incite à écrire maintenant sur cette période en Italie soit la lecture d’une traduction, qui vient de sortir, d’un recueil d’interview d’un des fondateurs des BR, Mario Moretti: Brigate Rosse, une histoire italienne. Le regard de ce type est décalé par rapport aux autres regards que j’ai eu sur la période, et je crois que c’est ce décalage qui m’a permis de commencer à tirer des analyses concrètes de ce noeud historique fascinant des années 70 en Italie.

Ma petite théorie personnelle concernant les BRs, avant de lire ce livre, c’était qu’il y avait eu en Italie dans les années 70 le croisement de deux mouvements: un « vieux » mouvement ouvrier centré sur la prise du pouvoir de la classe ouvrière organisé au sein d’un grand parti communiste et un nouveau mouvement autonome qui abandonnait la centralité ouvrière et la question de prise du pouvoir. Dans cette optique, les BRs auraient été une sorte d’aile radicale du Parti Communiste Italien (PCI) , une avant-garde bolchevik voulant pousser le parti à prendre le pouvoir alors qu’il y avait renoncé. Cette avant-garde radicale aurait été créée par la force incroyable de la classe ouvrière italienne à la sortie de la guerre, une grande partie de l’Italie s’étant retrouvée sous le contrôle de milices ouvrières au moment de la chute du fascisme, avec une énorme vague de grèves partiellement responsable de la chute de Mussolini.  En somme, le mouvement ouvrier italien aurait été moins écrasé par le fascisme que les autres mouvements ouvriers d’Europe, et il aurait donc eu, même après la guerre, assez de force pour générer une avant-garde armée voulant prendre le pouvoir.

Dans cette optique toujours, le fameux mouvement autonome qu’on a découvert avec les camarades n’aurait fait que croiser ce vieux mouvement, ils auraient cohabité dans la même période historique, mais en obéissant à des logiques et à des dynamiques vraiment différentes. Ca me semblait expliquer la méfiance et l’hostilité globale du « mouvement » envers les BRs.

Ben après avoir lu le bouquin de Moretti, je crois que c’était foireux comme théorie. Il n’y a eu qu’un grand mouvement d’offensive sociale en Italie durant les années 60/70, mouvement dont les BRs font parti, et mouvement qui partage de nombreuses caractéristiques avec d’autres mouvements de la même époque dans les pays occidentaux. Mieux que ça, je crois qu’on peut essayer de commencer à avoir une perspectives critique par rapport à ce mouvement, à pouvoir voir les raisons de son échec à partir de notre position historique. Bref, à pouvoir écrire son histoire. Je vais essayer de mettre par écrit les grandes lignes que j’ai dans la tête à ce sujet, en fonctionnant par grandes dates.

 

Ouvriers de la fiat Mirafiori à Turin en assemblée en 19691969: Automne chaud et ouvrier-masse

« Parce que nous ne voulons pas passer la moitié de notre vie à
l’usine. Parce que le travail est malsain. Parce que nous voulons avoir
plus de temps pour nous organiser politiquement.  »

Nous voulons tout, Nanni Balestrini

Comme tous les pays occidentaux, l’Italie a connu une forte poussée sociale en 1968. Cette poussée a été un peu différente de celle de la France, puisque qu’elle a été essentiellement étudiante et lycéenne, sans grève générale ouvrière à l’échelle du pays. De nombreuses grèves éclatent durant l’année 1968, à Pise à Turin ou à Milan par exemple, mais elles restent régionales et se lient peu les unes aux autres. On trouve déjà en 1968 de nombreuses caractéristiques des mouvements de l’époque: des grèves sauvages non lancées par les syndicats, des créations de comités de bases et de délégués d’ateliers et le rôle des étudiant-e-s et des lycéen-ne-s comme « caisse de résonance » du mouvement ouvrier.

Mais c’est en 1969 que le colère ouvrière va vraiment éclater en Italie. Elle va éclater dans tout le Nord industriel de l’Italie: Turin, Milan, Gênes, … Cette colère va monter tout au long de l’année, avant de finir par atteindre son maximum à la fin de l’été 1969, durant ce qui va être appelé l’automne chaud. Dans cette automne, l’usine FIAT de Mirafiori, à Turin, va devenir un symbole de la lutte.

L’usine Mirafiori, c’est la plus grande usine d’Europe, plus grande encore que l’usine Renault de Billancourt, qui donne une réalité au terme de forteresse ouvrière: plus de 40 000 ouvrier-e-s rassemblé-e-s sur un site gigantesque. Durant toutes les années 60, la Fiat de Turin connaît une transformation importante de sa main-d’oeuvre, transformation qui va être central dans le processus politique qui va se jouer là-bas, et qu’on va pouvoir retrouver ailleurs, même au-delà de l’Italie.  Avec les progrès de la mécanisation, une homogénéisation croissante de la main-d’oeuvre se réalise. Le travail qualifié se raréfie, l’apprentissage du travail se fait de plus en plus sur le tas, une fois l’embauche effectuée, plutôt que dans les structures traditionnelles d’organisation des métiers. Durant les années 60, la main-d’oeuvre des grandes usines d’Italie tend de plus en plus à être composée quasi-exclusivement d’hommes jeunes et en bonne santé. Les femmes et les travailleureuses plus âge-e-s  qui pouvaient constituer auparavant une partie considérable de la force de travail sont petit à petit remplacé-e-s par une combinaison de machines et de travailleurs jeunes.

Ce qui se passe, c’est que les cadences augmentent, que les temps morts diminuent et que le contrôle des ouvriers sur le rythme de la production se réduit de plus en plus. Pour les patrons italiens, il s’agit d’augmenter la production sans augmenter ni la masse ouvrière ni le temps de travail: c’est pour cela qu’il faut des travailleurs jeunes et performants, afin qu’ils puissent résister à cette accroissement physique de la charge de travail. Les marxistes italiens indépendant du PCI, qui cherchent à dépasser le cadre marxiste-léniniste traditionnel (qu’on appelle en général les opéraïstes), vont donner un nom de cette nouvelle figure ouvrière: l’ouvrier-masse. Ouvrier-masse, c’est-à-dire force de travail qu’on essaie d’homogénéiser pour pouvoir plus facilement la reproduire  et la multiplier. Le travailleur standardisé qui correspond à la production standardisée.

Toute cette main d’oeuvre nouvelle, ces jeunes hommes à la recherche d’un travail, doit venir de quelque part. Elle va venir du Sud de l’Italie, resté essentiellement rural et agricole. Durant les années 60, des milliers de jeunes méridionaux vont émigrer du Sud vers le Nord, fournissant aux grandes usines du Nord en pleine expansion l’élément nécessaire. Dans le courant des années 50, des luttes agricoles très dures ont eu lieu dans l’Italie du Sud, sans déboucher sur des avancées concrètes.

En ce qui concerne la dynamique de lutte, le changement est fondamental. L’organisation de la classe ouvrière du Nord de l’Italie a accompagné l’industrialisation. Cette organisation a notamment inclut l’apprentissage de la discipline d’usine. Le mouvement ouvrier s’est même construit en insistant sur cette importance. La classe ouvrière doit hériter de la machine de production capitaliste et de ses outils et la mettre à son service, il n’est donc pas question de remettre en cause l’organisation de l’usine. Dans le marxisme-léninisme comme dans le réformisme social-démocrate, l’Etat doit être conquis et transformé au service de la classe ouvrière, mais l’appareil de production, lui, doit être préservé (les camarades de Senonevero ont traduit un bouquin sur ce processus dans l’Espagne et la France des années 30). Les jeunes méridionaux qui arrivent dans les années 60 vont faire éclater ce cadre, émerger de nouveaux modes de luttes, et une grande partie de la classe ouvrière du Nord va les suivre.

Quand ils arrivent à l’usine massivement, les jeunes méridionaux ont à subir de plein fouet une discipline de l’usine en pleine intensification, mais en constatant bien que le mouvement ouvrier ne porte plus réellement de perspective révolutionnaire, ou plutôt que patrons, syndicalistes et militant-e-s du PCI parlent le même langage. Ce langage  n’est pas celui des ouvriers. Ce qui émerge dans l’automne chaud, ce sont des revendications nouvelles, ancrées dans le quotidien ouvrier et profondément égalitaires: remise en cause des différentes catégories de travail utilisées pour l’échelle des salaires, volonté de maîtrise des cadences, augmentations uniformes des salaires, … Par exemple, les revendications d’augmentations générales de salaires, égales pour tou-te-s, vont être lancées pour la première fois à l’usine FIAT Mirafiori en juin, avant d’être reprises massivement ailleurs à l’automne. Ces revendications ne pointent pas en direction d’une conquête ouvrière du pouvoir étatique, mais plutôt vers une volonté se reprendre prise sur le quotidien de l’usine, de ne pas sa plier à la discipline de la production capitaliste.

Une autre caractéristique des luttes de l’automne chaud, c’est leur extension à des revendications qui peuvent ne pas être directement liées au lieu de travail. La fameuse « bataille du corso Traiano » (racontée par Nanni Balestrini dans Nous voulons tout) du 3 juillet 1969, affrontement de plusieurs dizaines d’heures entre manifestant-e-s et policiers dans un quartier ouvrier de Turin, part d’une manifestation appelée par les syndicats pour dénoncer les expulsions locatives et les augmentations de loyer. Là encore, ceci est lié à l’arrivée massive d’immigrants du Sud: l’infrastructure ne suit plus, les logements sont insalubres, en quantité insuffisante et (par conséquent) très chers.

Contrairement aux années précédentes, les luttes locales font tâche d’huile et la propagation est rapide dans tout le Nord de l’Italie. Que ce soit dans l’automobile (à FIAT, chez Pirelli ou chez Lancia, …), dans la métallurgie ou dans les autres secteurs qui s’étaient mis en grève à un moment ou à un autre fin 1969, de belles victoires vont être enregistrées: les métallo obtiennent par exemple leurs augmentations de salaires uniformes ainsi qu’un droit d’assemblée dans l’usine. Par ailleurs, le patronat va renoncer aux sanctions qu’il avait au départ envisagé contre certains grévistes et syndicalistes. A travers ces victoires, c’est la conflictualité sociale de toute l’Italie qui explose: le nombre d’heures de grèves va être quadruplée en Italie durant l’année 1969 par rapport à 1968

Les nouvelles organisations qui vont porter les luttes des années suivantes naissent à ce moment: Lotta continua se créé à Turin à partir de noyaux étudiants et d’ouvriers de la FIAT, formant ce qui va devenir une énorme organisation d’extrême-gauche (jusqu’à 30 000 adhérent-e-s au début des années 70). Potere Operaïo (pouvoir ouvrier), groupe d’ultra-gauche plus radical mais plus réduit naît du même milieu à la même époque. Les Brigades Rouges commencer à se structurer à Milan autour de Renato Curcio et de Margarita Cagol. C’est tout un cycle de lutte qui s’ouvre à ce moment, et les BRs naissent dans le Nord bouillonnant dans l’époque. Mario Moretti, pour parler de l’apogée de ce cycle, les « Foulards rouges » de Mirafiori début 1973, va parler de la mise en place d’un « pouvoir » ouvrier dans l’usine, et j’ajouterais peut-être même qu’il se produit une prise de pouvoir ouvrière dans la ville en général. « Reprenons tout ! » est le slogan de la période.

Au prochain épisode: 1972, limites et saut insurrectionnel.


2 Comments on “Notes de lecture(s): Brigades rouges, Italie et années 70”

  1. 1 Christine said at 20 h 39 min on février 18th, 2011:

    Tu racontes bien et j’apprends sans fatigue. Donc : la suite ! la suite !

    Concrètement aux années précédentes ==> contrairement aux…

  2. 2 murmures said at 12 h 32 min on février 21st, 2011:

    Merci pour le retour et pour la correction !