Use your widget sidebars in the admin Design tab to change this little blurb here. Add the text widget to the Blurb Sidebar!

Guerre civile

Posted: décembre 24th, 2009 | Author: | Filed under: Murmures | Commentaires fermés sur Guerre civile

On pourrait faire une (mauvaise ?) parodie du Manifeste du Parti Communiste et dire qu’un spectre hante la France en ce moment, et que ce spectre est celui de la guerre civile.

Ça faisait longtemps que les gauchistes criaient en manif que « ça allait pêter » (je dis longtemps, je sais pas de quand date ce grand classique du slogan de manif. 1994 ? 1995 ? 1997 ? Si quelqu’un-e sait …). Mais là, on a une ministre de l’intérieur qui dit qu’il faut s’inquiéter, on a un ancien premier ministre qui parle de « risque révolutionnaire« , un journal degôche qui titre sur « L’insurrection française« , un gouvernement qui retire une réforme des lycées par peur de plusieurs semaines d’émeutes ayant lieu dans un autre pays d’Europe, … Il y a aussi (du côté des gouverné-e-s) la colère un peu sourde, mi-impuissante, mi-rageuse qu’on entend au fil des manifs, des actions, des discussions. Bref, depuis quelques temps, on a un certain climat où beaucoup de monde se dit qu’il va y avoir une grosse confrontation d’ici pas longtemps. La ligne de fracture se fait entre les cramé-e-s pour qui c’est une bonne choses et les gens respectables qui annoncent la catastrophe. Je crois bien que si l’Insurrection qui vient a fait autant de bruit (et qu’il est actuellement dans les rayonnages des librairies les plus commerciales), c’est que ce bouquin a saisit une ambiance du moment, un parfum de l’époque.

Justement, comme le dit bien IQV (Insurrection Qui Vient) et d’autres textes du même genre qui sont venus avant (Tiqqun, l’Appel, …), au-delà des formulations, je crois que ce qui se joue c’est la peur de la guerre civile, de l’affrontement généralisé qui se faufile à l’intérieur de la société, qui tranche les liens sociaux et divise notre monde de l’intérieur. Jusqu’ici, la guerre civile, c’est ce qui arrivait au Rwanda, en Yougoslavie, ou en Colombie, c’est-à-dire dans des pays instables, violents et pas très civilisés, sans que nous occidentaux comprenions ce qui ce passait vraiment. Vous savez, c’était des histoires d’ethnies (parce qu’il faut bien dire qu’une « ethnie », c’est le mot qu’on utilise qu’on on sait pas bien de quoi on parle, une sorte d’identité vague mais ancestrale), de revendications religieuses étranges ou de barons de la drogue. En tout cas, chez nous, ça ne pouvait pas arriver. Maintenant, je crois bien qu’on est plus si sûr-e-s que ça.

Depuis, il y a eu le 11 septembre, la « guerre au terrorisme », le terrorisme « islamiste » qui menace notre mode de vie, alors même qu’il est pour une bonne part en notre sein. Il y a eu aussi les scènes de guerre des contres-sommets, des insaisissables « Black Blocks » qui détruisent et pillent sans qu’on comprenne pourquoi. Il y a eu les émeutes de novembre 2005, où voitures, mairies, écoles et commissariats ont cramé-e-s dans toute la France comme ça, par surprise, sans discours, par des bandes de barbares invisibles jusqu’ici. Dans tous les cas, après, il y a des rechutes. Après le 11 septembre, il y a eu les attentats de Madrid, et puis ceux de Londres. Après Seattle, il y a eu Prague, Evian, et tous les mouvements sociaux comptent maintenant leurs « casseurs » (toujours au masculin) en noir. Après novembre 2005, il y a eu Villiers-le-Bel, et beaucoup d’autres banlieues dont on ne voit le nom à la télé que quand ça brûle. On aurait pu se dire que ça allait être exceptionnel, mais plus ça se reproduit, plus ça devient problématique de le dire. Il peut donc y avoir des évènements directement chez nous; là où on y habite, il peut y avoir des flammes, de la fumée, des gens qui s’affrontent et des villes transformées par des conflits.

D’autres images, qui ont donné d’autres regards sur le monde.

Assez logiquement.

Petit à petit, on s’est habitué-e-s à voir, pas très loin de chez nous, ces images avec des flammes, de la fumée, des gens masqué-e-s, tout ça dans une zone urbaine. Visions et images très étranges, qu’on a du mal au départ à imaginer chez nous, juste à côté de l’endroit où on prend le tram/métro/bus pour rentrer après avoir fait ses courses. Et pourtant, ça ressemble à chez nous. C’est chez nous, mais avec un autre regard. A leur tour, ces images changent petit à petit le regard qu’on porte sur notre monde.

Maintenant, tout le monde paraît d’accord que quelque chose ne tourne plus rond. Quelque chose s’est cassé. Chirac avait déjà fait le coup en 1995 avec sa fameuse « fracture sociale », mais à l’époque, il s’agissait de « lutter contre l’exclusion générée par notre société ». Là, les gouvernant-e-s ne manient plus ça avec autant de légèreté, c’est devenu du lourd, quelque chose de menaçant. D’une certaine manière, ça ne fonctionne plus, le capitalisme, la société de consommation, la démocratie, tout ça a quelques petits problèmes. Même Sarkozy a dû se déclarer en « rupture » pour être élu. Faut que ça pête, que ça change, qu’il y ait une rupture. Le tout, c’est de savoir quelle rupture, rompre avec quoi ?

C’est là que je crois que le bât blesse. Cette ambiance est une ambiance un peu apocalyptique, c’est l’idée qu’un désastre va nous tomber sur la gueule sans qu’on puisse y faire grand chose. Sauf qu’on ne sait pas quel désastre, pourquoi il est arrivé, où qu’est ce qu’on pourrait faire pour y faire face. A partir de ce moment là, pour le coup, plus personne n’est d’accord. Le désastres et ses causes probables sont multiples et contradictoires: la société du spectacle, le capitalisme, les vilain-e-s musulman-e-s, les chomeureuses, un complot du complexe militaro-industriel américain, la Chine, le déclin de la valeur-travail, … En fait, aucune grille de lecture ne paraît englober tout ce qui « va mal », tout ce qui pose problème, d’une manière cohérente et logique. Du coup, chacun-e fait sa tambouille en fonction de ce qui cloche le plus pour ellui, et de comment y remédier.

Chez les insurrectionalistes, on se dit que les périodes de guerre civile sont des périodes où les sociétés volent en éclat, où les dispositifs de pouvoir se pètent, où beaucoup de possibles sont ouverts. Donc, à priori, la guerre civile offre des possibilités d’offensive qui n’avaient plus existé depuis longtemps, tellement ce monde actuel paraissait robuste et paisible. Avant, il tournait rond ce monde, mais maintenant, il débloque un peu, et ça c’est forcément bon. Après la pénurie de possibles des années 80 et du début des années 90, la conflictualité sociale semble revenir. Ça peut redonner de l’espoir, après des années sans perspectives tellement ce monde semblait solide. Les périodes de guerres civiles, de révolutions, sont des périodes où les anciens dispositifs de pouvoir éclatent, desserrent leurs liens et offrent des espaces nouveaux. La révolution française de 1789, les révolutions anglaises du XVIIème siècle, l’Allemagne des années 20/30 sont des périodes et des lieux denses et riches, où le conflit social se déroulant nourrissait des évolutions sociales, politiques, théoriques, artistiques incroyables. Tout change, et tout change plus librement qu’avant.

Tiqqun/Appel/IQV vont (encore) plus loin que ça. Si ces périodes si riches sont farouchement opposées et craintes par toutes les sociétés occidentales dans le cours de leur domination, c’est qu’elles doivent constituer leur opposé absolu. Là où ces sociétés ont toutes été des sociétés de domination, la guerre civile est le communisme. Il s’agit donc de vivre la guerre civile, de la propager, pour vivre le communisme et défaire la domination. Je pense que ce raisonnement ne fonctionne pas. Les périodes de crise sociale aigüe ne sont pas des périodes libres de l’inertie des dynamiques sociales précédentes. Au contraire, elles continuent les dynamiques sociales des sociétés qui les traversent, elles les prolongent de manière radicale. Je crois qu’une guerre civile constitue une accélération des processus sociaux existant dans une société, le point d’orgue de conflits qui se sont noués et dénoués dans les années qui ont précédées, et pas une désagrégation de ces processus sociaux. Le fait que les vieux réacs qui nous gouvernent geignent sur le lien social qui fout le camp devrait nous mettre la puce à l’oreille sur le fait que ce diagnostic est trompeur. Ce fameux lien social se transforme, se remodèle au fur et à mesure que les rapports de forces se chamboulent rapidement en ce moment. Qu’on pense que ce soit une bonne chose ou pas, je ne crois pas que tout foute le camp en ce moment et que nos sociétés soient en train de mourir à petit feu.

J’ai l’impression, que fondamentalement, les guerres civiles sont des moments de transition, où des dispositifs de pouvoir changent et se transforment à une vitesse folle. Dans la France de la fin du XVIIIème, cette transition se fait entre une société dominée par l’aristocratie vers une société bourgeoise. Dans l’Allemagne des années 20/30, ce qui se joue, c’est la destruction du mouvement ouvrier par le fascisme en train de monter. A chaque fois, étant donné que le monde change, il y a probablement des cartes à jouer pour espérer porter un coup mortel à la domination en tant que telle et faire surgir le communisme (et de nombreuses personnes essaient de jouer ces cartes). Mais ce n’est pas dit que ça soit cette issue qui triomphe, et les possibles sont configurés par des rapports de forces qui se constitue lentement au sein de la société qui vit ces transformations. Tout ne peut pas arriver pendant une guerre civile. Ce sont des périodes extraordinaires, mais la logique du monde n’est pas suspendue, simplement les forces en jeu sont tellement puissantes que des transformations beaucoup plus radicales peuvent se produire. Les périodes de crises sociales sont des éventuelles opportunités, des moments où il est possible de saisir des chances, mais elles ne vont pas miraculeusement nous libérer des problèmes et contraintes des époques précédentes. La guerre civile, c’est la société actuelle à son point d’orgue, à son paroxysme, une forme extrême et radicale, et pas l’opposé de cette société.

Tout ça pour dire que l’éventuelle insurrection/crise/guerre civile qui viendrait par chez nous ne nous amènera pas forcément le communisme. Des choses peuvent et vont changer, assurément, mais ce n’est pas parce que notre vieux monde agonisera que nos nouveaux mondes plus vivables surgiront. Je ne pense pas qu’on puisse éviter le boulot de comprendre en profondeur notre vieux monde pourri. Tout ce qui surgira de chouette sortira de lui, et de notre capacité à y trouver des leviers, et pas d’une chute miraculeuse qui nous laisserait libres. J’ai peur qu’on se laisse aller à la fascination de voir notre quotidien qui nous bouffe partir en fumée et en flamme, sans se donner les moyens de faire face à ce qui surgira du grand chamboulement qui a l’air d’avoir lieu en ce moment.

Et puis, heu … joyeux noël, nyark nyark !


Comments are closed.