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Bricolage d’une tradition: mon marxisme à moi (III) – problèmes et réflexions

Posted: septembre 30th, 2009 | Author: | Filed under: Marx, marxisme, matérialisme | Commentaires fermés sur Bricolage d’une tradition: mon marxisme à moi (III) – problèmes et réflexions

Il y a des choses qui me travaillent dans la mise en mots de ma tradition marxiste que j’ai fait.

Déjà, il y a cette histoire d’intérêts. J’ai employé ce mot pour caractériser les contradictions collectives qui existent puisqu’il y a domination dans nos sociétés. Je l’ai employé parce que dire que les rapports de domination existent quand des individu-e-s ne sont pas "libres", que leur "volonté" n’est pas respectée ou que leurs "désirs" sont niés, ça me pose problème. Si on commence à vouloir caractériser les rapports de domination en terme de "liberté", de "volonté" ou de "désirs", ça place l’analyse des rapports de domination sous un angle subjectif, comme si ce qui était en jeu, c’était simplement les envies des un-e-s et des autres, et que de toute façon, il faudrait bien trancher d’une manière ou d’une autre vu qu’elles sont incompatibles. Ce qui me plaît en utilisant le mot "intérêts", c’est que ça met en valeur le côté matériel, concret et nécessaire de ce qui est en jeu dans les rapports de domination. Les rapports de domination existent parce que les dominant-e-s tirent des avantages concrets des dominé-e-s, parce que ces rapports rendent la vie des dominant-e-s plus simple, plus confortable. Ce qui est en jeu dans les rapports de domination, c’est l’exploitation et les privilèges, pas une "volonté de pouvoir" qui serait abstraite, naturelle, et qui ferait partie des sombres pulsions de l’humanité.

Cela dit, parler d’intérêts peut aussi amener dans une direction "matérialiste vulgaire" comme disait Marx, qui ferait des "intérêts" d’un groupe donné un ensemble complètement objectif, quantifiable, totalement déterminé par la position du groupe dans la société. Une fois qu’on part dans cette direction, on se retrouve à vouloir mesurer les "intérêts objectifs" d’un groupe, à vouloir déterminer une stratégie pour les satisfaire, et à se plaindre ou à agir contre les pauvres créatures qui n’ont qu’une "fausse conscience", c’est-à-dire qui n’arrivent même pas à se rendre compte de leurs intérêts en tant que classe et à qui il faut botter le cul pour qu’elles comprennent. En gros, on se retrouve à se transformer en stalinien de base, qui "représente les intérêts de la masse" et échafaude constamment des magouilles en prétendant "servir le peuple" ou "la révolution internationale". Toute la logique des avant-gardes diverses et variées du vingtième siècle fonctionnait souvent sur cette capacité à prétendre exprimer les intérêts du groupe que chacune d’entre elles prétendait "représenter".

En réalité, ce mot, "intérêts", ne me plait pas beaucoup. Je l’ai utilisé faute de mieux, dans l’attente d’autre chose. Je l’ai aussi utilisé parce que le préférais mettre l’action sur le côté concret de la domination, en trouvant le risque que quelqu’un-e, en me lisant, me prenne pour une avant-garde, assez faible. Mais il me pose problème ce mot. L’alternative la plus intéressante que j’ai trouvé à ce sujet, c’est l’idée d’attachements, dont Judith Butler, une théoricienne américaine des genres, assez célèbre pour avoir écrit un bouquin qui s’appelle Troubles dans le genre, parle dans un livre qui s’appelle La vie psychique du pouvoir. Dans ce bouquin, elle utilise beaucoup la psychanalyse pour essayer de caractériser le niveau à la fois matériel et intime où se situe, je crois, les rapports de domination. Ce que j’aime bien dans cette idée d’attachements passionnés qu’elle développe dans ce livre, c’est qu’elle exprime à la fois l’implication d’objets extérieurs, de plaisirs, de douleurs, de besoins, mais aussi le fait que cette implication se fait sur un mode intime, à travers la trace que toutes ces choses laissent en nous, à travers leur inscription dans notre monde personnel. En gros, je crois qu’elle montre, et c’est ça qui me plaît, que les rapports de pouvoir qui nous traversent sont à la fois intérieurs et extérieurs à nous-mêmes, ils existent à la fois "dans le monde réel" et "dans nos têtes" (elle ne le dit pas comme ça, hein), ce qui fait que le rapport à ces relations de domination est à la fois collectif, au sens où ces relations impliquent des choses et des interactions qui nous sont extérieures, et intime, au sens où ces relations font partie de ce que chacun-e d’entre nous est et de comment chacun-e d’entre nous est construit. C’est ça qui fait à mon avis qu’on ne peut pas réduire les rapports de domination à de simples déterminations objectives résumables par des statistiques socio-économiques et qu’on ne peut pas non plus en faire de simples actions gratuites et arbitraires déclenchées par les pulsions des dominant-e-s.

Cela dit, la formulation que fait Butler de cette idée d’attachements repose beaucoup sur la psychanalyse, qui n’est pas un langage que je manie très simplement ou qui me met très à l’aise; c’est pour ça que j’ai parlé d’intérêts dans mon texte précédent. Je vais probablement reparler de ces histoires d’attachements et de Butler en général, mais je voulais déjà en parler là pour essayer de préciser des choses.

Parler de Butler amène à un autre point. Butler est une théoriciennedes genres, et une bonne partie de sa réflexion s’inscrit dans lacontinuation et en lien avec le féminisme. Dans ce que j’ai écrit, etque j’ai choisi d’appeller ma tradition marxiste, il y a beaucoup deréflexions et de points importants qui sont amené par le féminisme etla tradition théorique féministe. Le féminisme est un mouvement defemmes et est un mouvement de lutte contre des oppressions quiaffectent les femmes. A partir de là, en tant qu’homme, je me sentiraisassez ridicule à me revendiquer ‘féministe’.Je ne suis pas très sûr de comment je pourrais marquer les apportsdu féminisme dans ma réflexion sans me prétendre féministe. Delphy, uneféministe française dont j’ai déjà cité le nom,parle, elle, pour quelque chose qui est, je crois, assez proche de ceque j’essaie de développer, de "méthode matérialiste", ce qui évited’écraser l’apport du féminisme sous le poids du ‘marxisme’, mais quine me satisfait pas vraiment, étant donné que ce mot de ‘matérialisme’ne me semble pas particulièrement clair et un peu trop philosophique. Là encore, je n’ai pas d’idée magique, mais je voulais en parler plutôt que de glisser la difficulté sous le tapis.

En lien avec tout ça, mais d’une manière assez différente, les prochaines choses que je vais mettre en ligne ici seront des notes de lecture sur McKinnon, une féministe américaine qui s’est coltinée notamment le problème des liens entre tradition marxiste et tradition féministe.

[Mise à jour] Sur cette question d’une alternative au terme "intérêts" qui me pose problème plus haut, j’ai trouvé une idée intéressante. J’ai trouvé cette idée dans le texte de Danièle Kergoat (désolé, j’ai rien trouvé de mieux qu’un lien officiel), une sociologue française, dans Sexe, race et classe, passionnante anthologie de textes théoriques universitaires sur les rapports de dominations et leurs intrications. Kergoat parle de "rapports sociaux […] opposant des groupes sociaux autour d’un enjeu". Elle précise plus loin que ces "enjeux" peuvent être "matériels et idéels". "Enjeux" me plaît bien je crois, et je pense que je vais l’utiliser à l’avenir.


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