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Bricolage d’une tradition: mon marxisme à moi (II)

Posted: septembre 19th, 2009 | Author: | Filed under: Marx, marxisme, matérialisme | Commentaires fermés sur Bricolage d’une tradition: mon marxisme à moi (II)

« […] le marxisme est la tradition théorique contemporaine qui, malgré ses limitations, affronte la domination sociale organisée, l’analyse dans sa dynamique plutôt que statiquement, identifie les forces sociales qui modèlent systématiquement les imperatifs sociaux, et cherche à expliquer la liberté humaine à la fois dans et contre l’histoire. Elle se confronte à l’existence des classes, qui sont réelles. Elle offre tout à la fois une critique de l’inévitabilité et de la cohérence de l’injustice sociale et une théorie de la nécessité et des possibilités de changement. »

(Catherine McKinnon, Towards a feminist theory of the state, ma traduction)

Allez, je commence d’y plonger, dans ma tradition marxiste. Je vais faire une sorte de liste des points qui me semblent importants, des principaux principes qui forment de ce que j’ai choisi d’appeller ‘ma’ tradition marxiste.

1. Partir de la société, du collectif, de l’ensemble. Souvent, dans nos représentations contemporaines, on imagine des petit-e-s individu-e-s un peu paumé-e-s au milieu d’un grand ensemble qui serait la société, le système, le monde, je ne sais quoi. On imagine les individu-e-s comme apparaissant tou-te-s formé-e-s au sein de cette société et devant alors se positionner par rapport à elle comme par rapport à un environnement étranger et mystérieux, à prendre ou à laisser. Par opposition, je vois la société et les différents groupes humains en général comme des organisations complexes, à l’intérieur desquelles des individu-e-s se forment petit à petit à travers des pratiques, des interactions et des expériences collectives. Les individu-e-s sont créé-e-s dans la société et sont profondément lié-e-s à elle, sans qu’on puisse isoler un bout de ces individu-e-s et dire « Ça, c’est la Vraie Nature des individu-e-s, leur Moi profond et primitif que la société n’a pas corrompu avec ses sales pattes ». Ça ne veut pas dire que les individu-e-s n’existent pas, qu’illes ne sont pas important-e-s ou qu’illes ne peuvent pas influencer et transformer la société, l’ensemble dans lequel illes se sont formé-e-s. Simplement, je crois que, même pour regarder sa situation particulière, il faut partir d’un regard global sur les ensembles collectifs dans lesquels on est imbriqué-e.

2. Domination(s) et contradiction(s). Ces ensembles collectifs ne sont pas des organismes harmonieux, équilibrés et justes fonctionnant selon des principes anciens et parfaits. A l’intérieur de ces ensembles, il y a des oppositions et des conflits, entre groupes et entre individu-e-s. Il y a des intérêts différents, et qui sont souvent contradictoires entre eux, c’est-à-dire que l’un ne peut pas être satisfait si l’autre l’est. En pratique, l’un des intérêts en jeu va être satisfait au prix de l’insatisfaction de l’autre intérêt. Donc, il y a domination, domination du groupe porteurs d’intérêts satisfaits dans le cadre donné, qui va s’arranger pour maintenir la situation actuelle qui l’avantage; domination de ce groupe sur l’autre groupe, celui qui porte les intérêts insatisfaits, qui va vouloir transformer la situation. Dans notre société contemporaine, il y a par exemple contradiction et donc domination entre les travailleureuses et les patron-ne-s (le capitalisme), ou entre les hommes et les femmes (le patriarcat).

3. Pas de terrain neutre. De la même manière que les individu-e-s sont lié-e-s à leur société et ne peuvent pas être isolé-e-s d’elle pour être analysé-e-s à part, les différentes sphères d’une société, d’un ensemble collectif, ne sont pas isolables et séparables. Ça veut dire que chaque sphère d’une société est traversée par ce qui traverse la société dans son ensemble, en particulier les relations de domination. Il n’y a pas de lieu de la société, que ce soit la culture, l’art, la science, la famille, le couple ou quoi que ce soit d’autre, qui ne soit pas formé et transformé dans et par les rapports de domination. Ça s’applique aussi aux individu-e-s: nous sommes tou-te-s traversé-e-s par les relations de domination qui traversent notre société, d’une manière ou d’une autre, étant donné que notre construction s’est faite à l’intérieur de cette société, et donc que notre construction a été traversée par les contradictions de cette société.

4. Luttes, résistances. Chaque relation de domination ne va pas sans une résistance constante et irréductible des dominé-e-s. Chacun-e essaie de lutter contre les dominations auquel ille est soumis-e, de tirer le meilleur parti de sa situation, et d’échapper le plus possible à l’oppression avec les moyens dont ille dispose. Nos résistances ne sont pas forcément collectives, elles peuvent nourrir des solidarités ou au contraire rester individuel-le-s et limité-e-s, en fonction des situations de chacun-e, mais aussi en fonction des contextes collectifs et des possibilités de chaque moment. Nos résistances ne sont pas non plus forcément victorieuses, évidemment, et elles n’ont aucune garantie de réussite. Elles peuvent prendre des formes incroyablement variées: flemme, sabotage, refus, grève, violences, folie, magouilles et tricheries, suicide, mensonges, fuite, création manuelle/artistique/littéraire, … L’expérience que nous faisons tou-te-s des dominations est l’expérience des oppressions mais aussi de nos résistances. L’une ne va pas sans l’autre.

5. Combinaison des dominations. Dans une société donnée, il y a rarement une seule et unique domination présente, il y en a en général plusieurs. Etant donné que chaque domination traverse l’ensemble collectif en entier, les dominations se croisent, se rencontrent, se combinent dans les individu-e-s et les groupes. Mieux, étant donné que chaque domination se construit dans un environnement précis qui est déjà traversé par d’autres dominations, les dominations s’influencent et se transforment les unes les autres. On ne peut pas isoler une forme ‘pure’ et abstraite pour une domination donnée et additionner les différentes formes pures de différentes dominations pour arriver et comprendre l’effet combiné de ces différentes dominations. Etre un travailleur homosexuel, ce n’est pas simplement ‘être un travailleur’ + ‘être homosexuel’. Une autre conséquence, c’est que les luttes contre une domination donnée ont aussi une influence sur les autres dominations: on ne peut pas ‘simplement’ lutter contre le capitalisme sans toucher au patriarcat, et inversement.

6. Rapports de forces, transformation et histoire. Les dominations évoluent avec le temps et les différentes resistances qu’y opposent les dominé-e-s. Les résistances des dominé-e-s peuvent être plus ou moins efficaces, et c’est par là qu’évolue le rapport de force entre les dominant-e-s, qui essaient de maintenir leur domination par des moyens qui se renouvellent régulièrement, et les dominé-e-s, qui essaient de renforcer leurs luttes de manière à rendre la position des dominant-e-s intenable, et donc à les forcer à abandonner leur domination. C’est par cet affrontement constant que des dominations disparaissent et que d’autres apparaissent. Ces rapports de forces entre dominant-e-s et dominé-e-s transforment constamment les rapports de domination, et transforment du coup constamment la société en général. L’histoire d’une société, c’est l’histoire de ces rapports de forces et de leur évolution.

7. Bonheur/malheur et privilèges. Dire qu’un groupe en domine un autre, ce n’est pas dire que le groupe dominant est plus heureux que le groupe dominé, qu’il est plus épanoui ou plus joyeux. Il y a des patrons plus malheureux que certain-e-s de leurs salarié-e-s ou des nanas plus heureuses que beaucoup de mecs, ça n’élimine pas l’existence du capitalisme et du patriarcat. Dire qu’un groupe en domine un autre, c’est dire que ce groupe bénéficie de plus d’écoute, d’attention, de respect et de possibilités au sein de la société, c’est dire que les membres de ce groupe sont privilégié-e-s par rapport aux membres du groupe dominé, ce qui ne veut pas dire que tout est automatiquement facile et sans problème pour les dominant-e-s.


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