Tiqqun – décadence du capitalisme
Posted: juillet 18th, 2009 | Author: murmures | Filed under: Tiqqun | Commentaires fermés sur Tiqqun – décadence du capitalismeQuand une civilisation est ruinée, il lui faut faire faillite. On ne fait pas le ménage dans une maison qui s’écroule.(Tiqqun n°1, Eh bien, la guerre !)
Une des bases fondamentales de l’analyse de Tiqqun, c’est l’idée de la décadence du capitalisme, l’idée que notre monde actuel, notre monde capitaliste est en bout de course, qu’il "vit à crédit", comme dit plus loin le second texte de Tiqqun n°1. "Civilisation à son terme", "dernier arrêt avant la fin", "ineluctable destruction", les termes abondent dans les textes pour affirmer cette évidence: le capitalisme est à son dernier stade, son stade terminal et il ne fait que s’agiter dans tous les sens pour retarder sa mort. Cette évidence est centrale dans la cohérence théorique des Tiqqun et ce n’est pas un hasard si les deux numéros s’ouvrent tous les deux sur l’affirmation de cette décadence.
Cette décadence est absolue et inguérissable: en effet, elle ne vient pas d’un choix, mais d’une nécessité. Elle a pour origine la réponse du capitalisme à la précédente conflictualité qu’il a eu à affronter, c’est-à-dire la lutte des classes. Pour faire face à la lutte des classes, le capitalisme est devenu Spectacle, c’est-à-dire qu’il est devenu "dictature de la visibilité" (Tiqqun n°1, Thèses sur le Parti Imaginaire). L’idée du capitalisme contemporain comme "société spectaculaire-marchande" est donc reprise de Debord pour décrire la phase actuelle de l’évolution du capitalisme. Dire que le capitalisme est devenu Spectacle, pour Tiqqun, c’est dire qu’on assiste actuellement à la "complète déréalisation du monde" (Tiqqun n°1, Qu’est-ce que la Métaphysique Critique ?).
Pour faire face à la rébellion qu’était le mouvement ouvrier tout au long du vingtième siècle, le capitalisme a colonisé la création, l’art, "toute la sphère du sens, tout le territoire de l’apparence, et finalement aussi, tout le champ de la création imaginaire" (idem). En mettant ainsi sous sa coupe les idées, les imaginaires, jusqu’aux émotions humaines, il pouvait étouffer toute forme de rébellion puisque rien d’autonome par rapport à lui ne pouvait plus exister. Si on ne peut pas réfléchir ou se parler sans passer par une relation capitaliste, comment en sortir ? Tel a été le piège qui a permis d’intégrer le vieux mouvement ouvrier (et donc de le vaincre).
Du simple capitalisme producteur massif de biens matériels, il est donc devenu capitalisme de l’immatériel. Sauf qu’en faisant cela, il a aussi produit la conscience de plus en plus massive de son artificialité, du fait qu’il est un ordre arbitraire, qu’il incarne un monde déterminé qu’on pourrait tout aussi bien décider de remplacer par un autre monde. Les mécanismes de domination le précédant s’appuyaient tous sur une certaine "transcendance" (idem), sur l’idée que des choses étaient fixées, sans qu’on puisse rien y changer, par une ou des puissances qui nous dépassaient totalement (le Dieu chrétien étant un exemple typique). En montrant par l’exemple que tout pouvait potentiellement être produit par l’humanité, le capitalisme a sapé les bases de toute domination, et donc les bases de la sienne. S’il n’y a pas de forces supérieures et que tout est un produit humain, pourquoi ne pas faire les choses d’une manière vraiment différente de celle que l’on pratique actuellement ?
Le dilemne du capitalisme, d’après Tiqqun, est clair: pour répondre à la menace de sa destruction, il a étendu son emprise à toute activité humaine, mais en accomplissant ce tour de force, il a par la même occasion révélé toute activité humaine comme construction, comme artifice, et se retrouve ainsi dans la difficile position d’être un ordre injustifiable par principe, puisqu’il détruit lui-même toute les bases éventuelles qui pourraient servir à le justifier au fur et à mesure qu’il accroît sa domination. Il n’a plus rien à dire pour sa défense, puisqu’il ne peut plus s’appuyer sur rien de solide (solide au sens d’incontestable, de transcendant, comme dit plus haut). Le serpent se mord la queue, et donc le capitalisme ne peut que tourner en rond et se débattre de plus en plus violemment face à sa propre mort certaine.
Le capitalisme est donc actuellement décadent au sens où il ne peut plus que se dégrader, il n’a plus de marge de manoeuvre, et la stratégie qu’il a utilisé pour survivre ne peut que lui garantir un sursis, pas lui permettre de vraiment résoudre son problème.
Le schéma est donc celui-ci:
- le capitalisme, comme tout système de domination, essaie d’écraser ce qui lui résiste. A la phrase précédente de son évolution, il a affronté le mouvement ouvrier, qui le défiait dans les usines, dans les lieux de production des marchandises.
- pour priver le mouvement ouvrier de ce qui faisait sa force, le capitalisme l’a privé de toute autonomie, de toute capacité d’exister sans lui, en étendant son emprise à tous les liens humains. Ce mouvement ouvrier s’est par conséquent retrouvé intégré au capitalisme, et donc vaincu.
- le monde ainsi produit apparaît maintenant comme complètement artificiel et donc arbitraire, alors qu’il prouve par son existence même qu’il est possible pour l’humanité de produire un monde complet. Dès lors, le capitalisme meurt en tant que système de domination, puisqu’il devient évident qu’il est possible de produire d’autres mondes.
Voilà donc le portrait de la situation actuelle que fait Tiqqun. Mais alors, pour la phase précédente du capitalisme, un mot a été mis sur cette fameuse "conflictualité historique": ce mot c’était la lutte des classes, incarnée par le prolétariat. Pour la phase actuelle, Tiqqun amène un mot nouveau, le "Parti Imaginaire". Ce Parti Imaginaire va constituer mon prochain axe de lecture.