Posted: mai 19th, 2010 | Author: murmures | Filed under: Poésie | Commentaires fermés sur poésie (ter): Front Populaire
au détour d’un livre, j’ai découvert que Jacques Prévert (oui, celui de la jolie poésie de nos [?] enfances) avait été, dans les années 30, un membre du groupe Octobre, une troupe de théâtre proche de divers mouvements communistes de l’époque, axé théâtre prolétarien (un peu à la Brecht), théâtre populaire, et voulant « diffuser les idées marxistes auprès du peuple ». ils se produisaient dans des usines en grèves et dans les rues, et pour moi sont en quelques sorte des précédesseureuses (illustres :)) de la compagnie Jolie Môme.
cette époque, c’était l’époque des grandes grèves avec occupation d’usines de 1936, de la gauche (déjà un peu « gauche plurielle ») arrivant au pouvoir pour la première fois. j’ai trouvé, dans le livre dont je parle plus haut, des poèmes de Prévert que j’aime beaucoup pour évoquer cette période, profondément traversée par les luttes des travailleureuses, sans que l’ombre du fascisme aie encore tout englouti.
alors, des beaux extraits.
Ceux qui pieusement
Ceux qui copieusement
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa croa (…)
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonette… on (…)
Ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait (…)
Ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on
augmente, qu’on diminue, qu’on manipule,
qu’on fouille, qu’on assomme
Ceux qui n’ont jamais vu la mer
Ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin
Ceux qui n’ont pas l’eau courante
Ceux qui sont voués au bleu horizon
Ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi
parce qu’ils voient venir le lundi
Et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi,
Et le samedi et le dimanche après-midi.
(Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France)
Travailleurs, attention
Votre vie est à vous
Ne vous la laissez pas prendre
Socialistes
Communistes
La main qui tient l’outil ressemble à la main qui tient l’outil.
Regardez dit l’hirondelle à ses petits
Ils sont des milliers
Et les petits passent la tête hors du nid
Et regardent les hommes marcher
S’ils restent unis bien ensemble
Ils mangeront
Dit l’hirondelle
Mais s’ils se séparent, ils crèveront
Restez ensemble hommes
Restez unis
Crient les petits
Quelques hommes les entendent,
Saluent du poing, et sourient.
(Evénements)
Le travail, la misère et l’ennui
Le travail, le travail à la chaîne
Soudain le travail casse sa chaîne
Et pose son outil.
Et tous les travailleurs se réveillent avec lui
Et poussent un grand cri
La grève, la grève, partout la grève
C’est une grève comme on n’en a pas vu souvent
Et le capital grince des dents.
Mais un jour le vrai soleil viendra
Un vrai soleil qui réveillera le paysage
Et les travailleurs sortiront
Ils verront le soleil
Le vrai, le dur, le rouge soleil de la révolution
Et ils se compteront
Et ils se comprendront
Et ils verront leur nombre
Et ils regarderont l’ombre
Et ils riront
Et ils s’avanceront.
(Le paysage changeur)
Posted: décembre 5th, 2009 | Author: murmures | Filed under: Poésie | 1 Comment »
un autre poème, choppé au hasard d’une lecture. en l’occurrence, c’est un poème d’Elizabeth Gurley Flynn, une communiste féministe américaine de la première moitié du XXème siècle. il a été écrit en octobre 1955, alors qu’Elizabeth était en prison avec trois de ses camarades, Marian Bachrach, Betty Gannet et Claudia Jones.
toutes les quatres avaient été arrêtées en 1951 à New York, en plein milieu de la période de la seconde chasse aux révolutionnaires aux USA (la seconde peur rouge), pour avoir « défendu et incité au renversement violent du gouvernement ». leur arrestation s’était faite sous le coup d’une loi qu’on appelait pas encore « anti-terroriste », mais qui en avait l’odeur, le goût et la couleur, puisqu’elle punissait, je cite, le fait de :
« sciemment ou volontairement défendre, soutenir, conseiller ou enseigner le devoir, la nécessité, l’intérêt ou l’acceptabilité du renversement violent du gouvernement des États-Unis d’Amérique, ou de n’importe quel autre État, par la force ou par la violence, ou pour quiconque d’organiser une association enseignant, conseillant ou encourageant un tel renversement, ou pour quiconque de devenir membre, ou de s’affilier d’une quelconque manière à une telle association. » (Smith Act)
votée en 1940, cette loi sur mesure va permettre de mettre en procès et d’emprisonner quelques dizaines de militant-e-s du parti communiste américain, qui était, à l’époque du vote, opposé à l’entrée des USA dans la guerre. les arrestations vont se faire sur la seule base de bouquins, brochures ou autres discours trouvés dans des perquisitions. comme d’habitude avec les lois d’exception, malgré le fait qu’elle aie été votée dans un certain climat, avant la guerre, elle va surtout être utilisée après la guerre, dans un climat complètement différent donc, pour foutre en taule des gens qui (horreur !) « faisaient circuler des écrits marxistes-léninistes ». après que plusieurs condamnations aient été annulées par la Cour suprême, cette loi va être de moins en moins utilisée, mais ne sera jamais abrogée (là encore, la ressemblance avec d’autres lois d’exception est frappante).
en prison donc, une amitié très forte va se maintenir entre Elizabeth et Claudia Jones, avec cette particularité si sympathique de l’époque que, Claudia Jones étant noire, elle va se retrouver dans les quartiers réservés spécifiquement aux femmes noires, avec des conditions de détention différentes. malgré ça, les deux vont rester ami-e-s et camarades très proches. en octobre 1955, Claudia Jones allait sortir de la prison d’Alderson où elle et Elizabeth étaient depuis quelques mois, et Elizabeth écrit ce poème pour le jour de son départ.
la traduction du poème est la mienne, alors pardonnez les maladresses. il y a probablement une autre traduction plus « officielle » de ce poème dans la traduction française du bouquin d’Angela Davis, Femmes, race et classe. d’ailleurs, si vous avez l’occasion, lisez-le, c’est un bouquin théorique vraiment passionnant sur l’histoire du croisement des mouvements féministes, ouvriers et noirs aux USA, plein de perspectives intéressantes (les autres bouquins d’Angela Davis valent le détour aussi).
De plus en plus s’approche ce jour, chère camarade,
Où je me verrai séparée de toi,
Jour après jour, une sombre anticipation triste,
S’est glissée dans mon coeur anxieux.
Ne plus te voir marcher dans la cour,
Ne plus voir tes yeux souriants et ton visage radieux,
Ne plus entendre ton rire joyeux et clair,
Ne plus être entourée de ton amour dans ce lieu triste.
Les mots ne pourront dire comment tu vas me manquer,
Je suis seule, sans personne pour partager mes pensées, ces jours fatigants,
Je suis vide et dépourvue, dans ce matin gris et inquiétant,
Faisant face à mon futur solitaire, enchâssée dans ma vie d’incarcérée.
J’ai parfois l’impression que tu n’as jamais mis les pieds à Alderson,
Tellement tu parais pleine de vie, étrangère à ce lieu.
Si fière de marcher, de parler, de travailler, d’être,
Ta présence ici s’évanouit comme un rêve causé par la fièvre.
Malgré tout, maintenant que le soleil se montre à travers le brouillard et les ténèbres,
Je ressens une joie soudaine que tu sois partie,
Que tu parcoures à nouveau les rues d’Harlem,
Que, pour toi au moins, aujourd’hui soit le commencement de la liberté.
Je serai forte dans notre foi commune, chère camarade,
Je serai autonome, honnête et fidèle à nos idéaux,
Je serai forte pour maintenir mon coeur et ma tête en dehors de cette prison,
Encouragée et inspirée par tes souvenirs pleins d’amour.
quelques jours après sa sortie de prison, Claudia Jones va être forcée à partir des USA, pour aller se réfugier en Grande-Bretagne, sans revoir ses camarades encore emprisonnées.
[mise à jour] j’ai corrigé quelques fautes dans la traduction d’après les remarques judicieuses laissées dans un commentaire. merci pour la relecture 🙂
Posted: novembre 18th, 2009 | Author: murmures | Filed under: Poésie | 1 Comment »
deux poèmes de l’allemagne de l’ouest des années 60, que j’ai trouvés dans un livre qu’on m’a offert.
Règles de préservation de l’autorité officielle
Vous avez le droit de faire
tout ce que nous vous disons.
Mais vous ne devez pas dire
ce que nous faisons.
Vous avez le droit de procéder aux changements
que nous vous demandons.
Mais vous n’avez pas le droit de demander
à ce que nous soyons changés.
Vous avez le droit d’aller
partout où nous voulons.
Mais vous n’avez pas le droit de vouloir
que nous nous en allions.
Lieselotte Rauner
La règle
Non pas l’exception
mais
l’état d’exception
confirme la règle
Quelle règle ?
pour qu’on ne puisse répondre
à cette question
on proclame
l’état d’exception
Erich Fried
[mise à jour] corrigé une faute d’orthographe. décidément, heureusement qu’il y a quelqu’un-e qui me relit 🙂