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Tahrir: et maintenant ?

Posted: novembre 25th, 2011 | Author: | Filed under: Traduction(s) | Commentaires fermés sur Tahrir: et maintenant ?

[Je traduis ici un texte du 22 novembre du journaliste vivant au Caire Issandr El Amrani, du (passionnant), mais en anglais, The Arabist. Je trouve qu’il apporte un peu de contextualisation dans les nouvelles que je fais passer ces derniers temps, et qu’il montre comment les dernières annonces du gouvernement militaire ne répondent à rien du tout.]

Voilà, le maréchal [Tantaoui, dirigeant du conseil militaire égyptien qui dirige actuellement le pays] a fait son discours, et, divine surprise, c’était un discours inintéressant qui n’offrait aucune perspective pour apaiser les foules de Tahrir. Le discours amenait assurément une concession significative en mentionnant en passant que le CSFA [Conseil Supérieur des Forces Armées égyptiennes, qui dirige actuellement le pays] était prêt à organiser des élections présidentielles en juillet. Cette concession devait être le clou du discours. Ça aurait mieux marché si cette annonce avait été faite par un nouveau gouvernement crédible, ou au minimum par un nouveau premier ministre crédible, qui aurait assuré qu’il avait une indépendance réelle. Ça aurait mieux marché si quelques têtes avaient été offertes à la foule pour les violences des derniers jours.

Aujourd’hui [le 22 novembre, donc], je suis allé à l’endroit où les affrontements avaient lieu, et j’en suis ressorti avec l’impression étrange que les affrontements sont entretenus par les manifestant-e-s et pas par la police, qui se contente actuellement d’empêcher les protestataires d’atteindre le ministère de l’Intérieur sur la rue Lazoughly. Les policiers sont violents, mais sont sur la défensive, même si beaucoup de manifestant-e-s pensent que les forces de l’ordre essaient de les empêcher de retourner sur la place. Les policiers paient leurs excès répressifs de ce week-end.

En fait, il y a là-bas une ambiance de sacrifice. Tout le monde est excité et veut participer, tout le monde veut avoir sa chance d’être un-e héros. Les gens sont en colère, et c’est justifié. Mais cette dynamique est actuellement sans limite, et les foules veulent connaître à nouveau la satisfaction de janvier: la satisfaction de voir tomber l’homme qu’elles ont dans le collimateur.

La situation est actuellement hors de contrôle. La coordination qui existait sur la place Tahrir en février n’existe plus. Penser trouver une réponse précise à de telles émotions pour faire émerger une solution est naïf. Par exemple, vendredi dernier, les Frères Musulmans et les salafistes ont organisé une grande démonstration de leur opposition aux amendements supra-constitutionnels de l’armée, et ont immédiatement perdu le contrôle des manifestations qu’ils avaient déclenché (mais je ne voudrais pas me répéter [en anglais]).

Ce matin, personne ne pensait qu’autant de gens seraient là ce soir, alors imaginez combien de gens pourraient être là vendredi. A ce stade, la situation ne pourrait s’apaiser que de deux manières: un usage massif de la force par la police et par l’armée, ce qui semble peu probable là tout de suite, ou un geste bien plus grand de Tantaoui, un geste qui manifesterait une vision convaincante pour le futur de l’Égypte.

Je n’aime pas parler de ce qu’il faudrait faire, parce que je ne suis pas égyptien, et que les égyptien-ne-s n’aiment pas que des étrangers leur disent quoi faire. Des options ont été envisagées pour un gouvernement d’unité national, et je crois comprendre qu’El Baradei, qui a refusé de rencontrer le CSFA aujourd’hui (ça c’est de l’intuition politique !), ne veut pas être nommé premier ministre par les généraux. Ce couillon arrogant veut un mandat populaire et des garanties de non-interférence !

D’autres idées flottaient dans l’air aujourd’hui, comme un transfert du pouvoir à l’autorité judiciaire, ce qui ne me semble pas très malin, même si un homme comme Ahmed Mekky a une certaine popularité. Et je ne sais pas si l’armée accepterait de confier comme ça, sans garanties, le pouvoir à un conseil présidentiel civil.

Tantaoui pourrait démissionner de son ministère de la défense, et Sami Enan prendre le relais. Mais je ne sais même pas si ça suffirait à mettre fin aux manifestations.

Peut-être que ce qui est nécessaire, c’est une de ces options combinée avec de réelles excuses pour la mauvaise volonté de ces deux derniers moins. Un geste révolutionnaire, comme l’arrêt de l’actuel procès Moubarak, et son remplacement par un vrai procès révolutionnaire d’anciennes personnes-clés du régime. Une vraie justice pendant la transition. La nationalisation des possessions d’anciens acteurs-clés du régime (comme ça a été fait en Tunisie), et l’utilisation des sommes acquises pour financer un fond pour les martyrs. Une vraie tentative de changer le contrat social.

L’échec de la transition de ces neuf derniers mois n’est pas que de la responsabilité du CSFA. Elle est de la responsabilité d’une bonne partie de la classe politique qui n’a rien dit quand d’anciennes figures clés du régime ont été laissées tranquilles pendant des mois, et que Moubarak était à Charm el-Cheikh avec ses fils. Elle est de la responsabilité d’une élite égyptienne qui a retrouvé son mode de vie privilégié et qui n’a rien fait pour répondre aux injustices sociales du pays; je n’aime pas toujours comparer avec la Tunisie, mais, là-bas, le secteur privé, les syndicats et le gouvernement se sont retrouvés et ont négocié des augmentations généralisées de 10 à 15% des salaires. Ils ont ramené [pour l’instant ?] la paix sociale en renégociant le contrat social.

En Égypte, on a l’impression que les classes supérieures ont complètement ignoré les racines sociales du soulèvement de janvier, et sont, en même temps, revenu à une politique de patronage, où les partis et les mouvements essaient d’acheter les pauvres avec de l’assistance et de la viande pas chère pendant l’Aïd. Les gens ne veulent pas la charité, illes veulent des droits sociaux. Ça aussi c’est politique: il ne s’agit pas de mauvaise gestion économique, il ne s’agit pas d’un soulèvement des pauvres, il s’agit d’une vision politique pour une économie sociale.

Que ce soit à propos de la violence policière, du changement social ou de la politique, mon impression c’est que les égyptien-ne-s veulent avoir le sentiment d’avoir eu vraiment une révolution. Pour rallier les gens de Tahrir, il faudra leur donner ce sentiment.

[mise à jour (26/11/11)] Les camarades d’Égypte Solidarité publient un témoignage de la place Tahrir, daté du 23: « En direct de Tahrir » – Témoignage et appel à rejoindre les manifestants.


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