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Fin de chapitre !

Posted: juin 18th, 2012 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | Commentaires fermés sur Fin de chapitre !

[Je traduit ici le dernier texte d’un révolutionnaire égyptien (Mahmoud Salem), publié le soir du deuxième tour des élections présidentielles égyptiennes. Je le traduit parce que je trouve qu’il clarifie des choses sur la nouvelle séquence dans laquelle entre la révolution égyptienne (quelque chose déjà mentionnée il y a quelques mois dans un article de l’OCL), et parce que je trouve qu’il y a des choses qui s’appliquent tout autant en France qu’en Egypte. Pour plus de contexte sur ce texte, Alain Gresh a de très bonnes synthèses en français, comme d’habitude. Vous pouvez aussi jeter un oeil à mes précédentes traductions sur l’Egypte.]

– A mon humble avis, c’est aujourd’hui que s’est terminé le premier chapitre de la révolution égyptienne. Je sais que d’autres gens la divisent en sous-parties (les 18 premiers jours, les élections, la période parlementaire et les élections présidentielles), mais ça ne me va pas. Nous nous sommes lancé-e-s dans cette révolution avec en tête les choses que les gens comme moi pensaient déjà en 2005 : il faut virer Moubarak, empêcher son fils de prendre sa relève et obtenir des élections démocratiques. Nous poursuivions tou-te-s ces objectifs et nous n’avions aucune idée de comment faire après, parce que virer Moubarak nous semblait déjà impossible. Et donc, vous réussissez à détrôner un tyran, et vous n’avez aucun plan concernant l’après, aucune idée de quoi faire et aucune compréhension réelle du régime lui-même. A partir de là, logiquement, vous vous ramassez et voilà ce qu’on a fait les 18 derniers mois, voilà notre histoire : la fin du dictateur et les conséquences de cette fin, voilà ce qui s’est passé. Cette étape se termine aujourd’hui, et un nouveau chapitre commence, pour le meilleur et pour le pire.

– Je n’ai jamais cru une seconde que Shafiq soit le candidat du CSFA (le Conseil Supérieur des Forces Armées qui commande l’armée égyptienne, ndt), principalement parce que tout le monde pensait qu’il l’était, et que ces réussites et ses échecs seraient donc comptés comme des réussites et comme des échecs. Et il y aurait surtout eu des échecs, puisqu’il existe un petit truc appelé l’économie mondiale et son effondrement, et donc que Shafiq n’aurait jamais été en mesure de tenir ses promesses, que les égyptien-ne-s sont connu-e-s pour être impatient-e-s, et l’aurait donc attaqué pour ses échecs, ce qui aurait fait chuter la popularité du CSFA au sein de la population sans que ce même CSFA ait plus personne pour lui servir de fusible. A ce moment-là, pourquoi faire ça ? C’est mieux de ne pas avoir de candidat, de choisir d’ignorer les écarts de Morsi (candidat officiel des Frères Musulmans, ndt), de le laisser gagner en tant que « candidat de la révolution » (parce que quelques idiot-e-s ont décidé de le populariser en tant que tel), et de nous laisser gérer les conséquences. En réalité, le CSFA n’a besoin de négocier avec personne, puisqu’ils ont les fusils et les institutions, et donc qu’ils savent que tout personne élue devra négocier avec eux. Au final, il n’y avait pas de candidat du CSFA, simplement un affrontement entre l’ancien NDP (ancien parti unique de Moubarak, ndt) et les Frères Musulmans et une situation où les révolutionnaires, en tout cas beaucoup d’entre eux, plutôt que de se rendre compte que les deux candidats étaient des ennemis et de choisir de rester en dehors de cette bataille, ont rejoint Morsi, ce qu’ils et elles vont regretter pendant des années.

– J’ai voté blanc, essentiellement parce que je refuse de céder aux sirènes de la politique de la peur et que je pense qu’ils sont tous les deux des candidats lamentables. Ceci dit, j’ai été continuellement attaqué par beaucoup de révolutionnaires parce que je ne soutenais pas Morsi. Et bien, mes chers ami-e-s, je suis désolé que vous ne soyez qu’un tas de lâches qui laissent leur peur contrôler leurs choix politiques. Je ne suis pas comme ça. J’ai attaqué Morsi parce que je ne veux pas qu’il soit considéré comme le candidat de la révolution, parce qu’il ne l’est pas, et parce qu’il ne le sera jamais à mes yeux. Notre révolution a revendiqué un état civil, c’est-à-dire un état non-religieux et non-militaire, et ce type va essayer de créer un état religieux et militaire. Les gens qui ont soutenu Morsi en croyant que les Frères allaient changer ou être démocratiques, se divisent en trois groupes : premièrement, les gens qui se pissent dessus de peur, deuxièmement, les gens qui ont conclu des accords avec les Frères (oui, Maher, je pense à toi) et, troisièmement, les gens qui sont suffisamment stupide pour croire que les Frères allaient changer et ne les trahiraient pas à la première occasion. Pour moi, le choix était simple : laisser les Frères se battre avec le NDP, tandis que nous nous organisions pour pouvoir affronter le vainqueur par la suite, mais l’absence d’esprit critique a toujours été le cancer de cette révolution, donc voilà où nous en sommes. Bien joué. Profitez de votre complicité dans les évènements qui vont suivre.

– Aujourd’hui a aussi marqué la fin du concept de légitimité révolutionnaire, et de tout le folklore symbolique qui l’entourait. Tou-te-s les détenteurs et les détentrices de cette légitimité ont échoué. Il va falloir faire autre chose que de continuer à s’aliéner nos allié-e-s et de faire toujours le pire choix possible. Si tu es un révolutionnaire, prouves le. Lance quelque chose, rejoins un parti, construis une organisation, résous un problème concret. Fais quelque chose plutôt que de courir de manifestation en manifestation, et de rassemblement en sit-in. Tout ça, ce n’est pas du travail de terrain : le travail de terrain, c’est de changer le terrain, pas seulement de s’y déplacer. Travailler réellement sur le terrain veut dire que l’environnement dans lequel on vit nous connaît et nous fait confiance, que les gens qui nous entourent se bougeront avec nous parce qu’on les aide et parce qu’on se préoccupe d’elles et d’eux, pas parce qu’on veut mettre en application un concept abstrait qu’on a découvert dans un livre sans avoir aucune idée de sa pertinence dans la situation égyptienne. Tant qu’on n’a rien fait de tout ça, on ne peut rien faire. Le prochain chapitre nécessite quatre choses : premièrement, que tou-te-s les leaders et tous les figures symboliques laissent de côté, rien qu’une fois, leur pureté idéologique et leurs différences insignifiantes dans l’intérêt du pays (ce qu’ils et elles n’ont jamais été capable de faire jusqu’ici), afin de se mettre autour d’une table pour réfléchir aux erreurs passées et à la manière dont nous pouvons les dépasser. Deuxièmement, une fois trouvé cette manière de dépasser les erreurs passées, tous ces gens doivent s’effacer une fois pour toute, et laisser la deuxième et la troisième génération révolutionnaire prendre les rênes. Nous avons échoué, ce qui veut dire que les générations suivantes doivent arrêter de nous suivre et peuvent même jeter à la poubelle nos perspectives de sortie de crise s’ils et elles ne pensent pas qu’elles peuvent fonctionner. Nous devons être là pour les soutenir du mieux que nous pouvons, mais il faut qu’une nouvelle génération de leaders et de figures émerge, ou alors nous sommes perdu-e-s. Troisièmement, il ne faudra pas être émotif ou réactionnaire et négliger ne serait-ce qu’un seul front : nous allons avoir besoin de gens sur le terrain du développement, sur le terrain culturel et sur le terrain politique. Si nous ne sommes pas sur tous ces fronts, nous échouerons. Quatrièmement, nous devons en finir avec l’idée d’Unité, et penser les choses en terme de coopération : nous sommes trop différent-e-s en terme d’idéologie, de principes et de méthodes pour réussir à se rassembler au sein d’une entité unifiée. Pas de problème, pas besoin d’une entité unifiée, chacun-e peut créer sa petite organisation, travailler dans son domaine et s’associer si nécessaire, mais ARRETONS DE NOUS DISPUTER ET DE S’ACCUSER DE TRAHISON LES UN-E-S LES AUTRES. Ça n’a servi à rien du tout jusqu’ici, et ça n’a fait que renforcer le cliché qui veut que les révolutionnaires soient une bande de mômes incapables de gérer un camion de glace, et encore moins capables de gérer un pays.

– Pendant que nous faisons le deuil et que nous accusons le coup, nous ne devons pas perdre de vue nos victoires. Voilà ce que nous avons obtenu :

  • Hosni Moubarak, son fils et son vice-président ne nous gouvernent plus
  • le NDP est fragmenté
  • le prochain président va être choisi selon une procédure démocratique, juste et compétitive, quoi qu’on pense du résultat
  • la liberté d’expression et celle de la presse
  • l’affaiblissement des Frères Musulmans, des salafistes, ainsi que la fin de l’utilisation du discours religieux à des fins politiques (par exemple, Morsi n’a pas parlé du tout de la charia les deux dernières semaines)
  • une compréhension sérieuse de la nature de l’Etat dans lequel nous vivons ainsi que de l’origine de ces problèmes, ce que nous n’avions pas auparavant.
  • une mise en réseau sans précédente d’individu-e-s à travers toutes les régions
  • un sérieux affaiblissement du classisme dans notre société classiste
  • une incroyable vague artistique, musicale et culturelle déferlant sur tout le pays.
  • plusieurs générations d’étudiant-e-s maintenant politisé-e-s, conscient-e-s et actives.
  • une évaluation sérieuse de notre classe intellectuelle et de sa médiocrité.
  • une découverte de la différence entre un-e leader et une figure, et de notre besoin de l’un-e plutôt que de l’autre.

– Quoi qu’il arrive, je ne suis ni déprimé, ni démotivé. J’ai compris, il y a déjà plusieurs mois, que cette révolution continuerait avec ou sans moi, et que le conflit entre l’Etat et les Frères Musulmans était inévitable, imminent, et parti pour durer, essentiellement parce que les problèmes qui en sont à l’origine sont réels, qu’ils s’aggravent, et que personne n’a, jusqu’ici, essayé de les résoudre. Que ça nous plaise ou non, qu’on soit encore là pour le voir ou pas, cette affrontement va continuer. Beaucoup de gens disent qu’on a atteint un point de non-retour sans vraiment comprendre ce que ça signifie. Tout simplement, ça signifie qu’il n’y a pas de stratégie de sortir de crise pour ce bordel, pas de solution simple et rapide, et pas de possibilité de résolution sans que tous les partis fassent de sérieux compromis, ce qui ne se produira pas sans conflits politiques, voire même sans conflit tout court, et cette réalité ne changera pas tant qu’un équilibre ne sera pas atteint. Pour le meilleur et pour le pire, la situation passée ne se reproduira plus. De l’eau a coulé sous les ponts. Il faut que chacun-e comprenne ce que ça veut dire et agisse en conséquence, tout en gardant en tête ceci : qu’on se batte ou qu’on se tire, il n’y a pas de retour en arrière. Le prochain chapitre commence tout de suite et maintenant.


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