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Procès du 6 et 7 mars 2012 à Nantes: une occasion manquée ?

Posted: mars 18th, 2012 | Author: | Filed under: Murmures | 2 Comments »

Le 6 et 7 mars dernier avait lieu à Nantes le procès d’un policier accusé d’avoir tiré avec un flashball 2.0 sur un jeune manifestant pendant le mouvement contre la loi LRU, le 27 novembre 2007, c’est-à-dire il y a presque cinq ans. Entre temps, le manifestant en question a perdu l’usage de l’œil touché par le flic, et sa famille a dû batailler pendant des années pour réussir à arracher un procès, et donc pour réussir à ce que la question de la responsabilité du flic soit posée. Je ne vais pas faire de résumé des faits ici, étant donné qu’il y a un article très bien sur Indymedia Nantes pour ça (avec photos et témoignages publiées à l’époque par des participant-e-s à la manif).

Ce que je vais, par contre, essayer de développer, c’est pourquoi je pense, comme l’indique le titre de cet article, que ce procès à été une occasion manquée. Je me suis déplacé pour le procès parce qu’après tous les obstacles qu’a rencontré la famille de Pierre, le jeune manifestant, illes méritaient certainement un soutien le plus large possible. Autant je me suis déplacé en soutien à Pierre et sa famille, autant j’espérais que le procès puisse être servir à parler plus largement des violences policières en France. Et là, par contre, j’ai été déçu et même un peu irrité par la tournure que prenait le procès. L’occasion manquée dont je parle, c’est celle-ci, l’occasion de dénoncer la violence ordinaire de l’institution policière.

Assez rapidement, je me suis dit que quelque chose clochait. L’objectif des Douillard (Pierre et sa famille) était simple: faire reconnaître la responsabilité pénale du policier qui a tiré sur Pierre. Durant une discussion que j’ai pu avoir avec quelques personnes du comité de soutien, quelqu’un-e m’a résumé ça comme ça: « Faire le procès d’un policier, c’est faire le procès de la police en général« . En partant de cette idée, ce procès a logiquement beaucoup ressemblé à un procès pénal classique, avec des discussions interminables sur les faits, des argumentations sophistiquées sur la qualité de tel ou tel témoin, et les indispensables discours sur les « victimes » et leurs « souffrances« .

Déjà, à ce stade, ça commence à coincer: étant donné que l’État, représenté par le procureur, avait décidé que poursuivre ce pauvre policier n’était pas nécessaire, la famille de Pierre s’est retrouvée à jouer le rôle de l’accusation sans en avoir les moyens. Leurs témoins étaient peu nombreux/ses, leur « expert » était un ami de la famille, et illes ne pouvaient compter que sur des vidéos et des photos récupérées auprès des manifestant-e-s, sans avoir eu la possibilité de faire un réel travail d’enquête reconnu par l’institution judiciaire. Le contraste par rapport à une enquête policière traditionnelle était frappant, et toute cette situation a souvent rendu les débats laborieux et incertains, laissant une large place aux effets de manche de l’avocat du flic, qui pouvait tranquillement sonder les faiblesses du peu de travail d’enquête qui a pu être fait. Sur le terrain des faits, Pierre semblait bien mal barré compte-tenu de cette réalité.

La première erreur de l’avocate de Pierre a donc été, pour moi, d’accepter ce cadre. Elle a remarqué en passant dans sa plaidoirie que ce procès n’était « pas ordinaire« , mais elle n’a jamais remis en cause de manière offensive cette réalité. Cette décision a donné des airs de normalité, de banalité, au procès. Le juge a pu faire semblant qu’il présidait une affaire criminelle comme une autre, comme si la justice française faisait son travail ordinaire et que ce n’était pas un flic qui était au banc des accusés. En réalité, la justice était sabotée dès le départ. Les flics avaient tout un dispositif à l’intérieur et à l’extérieur de la salle: robocops devant le tribunal, commissaire en civil scrutant attentivement toutes les personnes entrantes, collègues entassés dans la salle jusqu’à constituer à peu près les deux-tiers du public, … La stratégie de la famille de Pierre était de ne pas attaquer frontalement l’institution policière, mais l’institution policière avait, elle, bien décidé de se défendre de toute façon, dans le doute. La police avait toutes les cartes en mains, mais tout le monde, et particulièrement l’avocate de Pierre, essayait farouchement de maintenir l’illusion de l’équité du procès, de « l’égalité des armes« , comme disent les avocat-e-s.

Pire encore, cette volonté de ne « pas faire de politique » (comme l’a bien répété l’avocate de Pierre pendant sa plaidoirie), est problématique en elle-même, puisque qu’elle contribue à légitimer l’institution policière. Pour essayer de faire porter le chapeau au flic, l’avocate a eu comme objectif de démontrer que les formations suivies étaient adaptées et que l’usage du flashball et autres armes de défense était d’ordinaire adapté et proportionné, en citant les fameuses émeutes de Villiers-le-Bel comme exemple. Pendant tout le procès, les images d’une police réglementée, encadrée, fonctionnant avec une déontologie stricte a été constamment évoquée pour mieux montrer que le policier en question n’avait pas été à la hauteur de cette police, de cette image féerique d’une institution au service des citoyen-ne-s. Au mieux, la police a été critiquée comme ne correspondant pas à son image, pas à son idéal, tout a été analysé sous l’angle du dysfonctionnement, de l’erreur, de l’écart par rapport à la norme. La stratégie des Douillard pendant le procès (je ne parle pas de ce qu’illes ont pu dire en dehors de la salle d’audience) a été de dire que la police ne  correspondait pas à son idéal, à ce qu’elle devrait être. C’est aussi ce qu’a dénoncé l’avocat de la Ligue des Droits de l’Homme pendant sa plaidoirie.

Le problème de cette stratégie, c’est qu’elle renforce l’institution policière, puisqu’elle la légitime dans sa mission, qu’elle valide son rôle tout en l’accusant de ne pas le faire correctement. L’envers de cette stratégie, ça a été de vouloir à tout prix faire apparaître Pierre et les manifestant-e-s comme « des enfants« , gentil-le-s, inoffensif/ves, pacifiques, et tout le vocabulaire habituel de la non-dangerosité. Quand l’avocate (et même certain-e-s témoin-e-s) essaie à tout prix de démontrer qu’aucun-e manifestant-e n’a jeté de pierres pendant l’intervention de la police, le sous-entendu est terrible: s’illes avaient jeté des pierres, l’intervention aurait été justifiée, au moins en partie ? Le prix politique à payer pour apparaître comme une « bonne » victime a donc été lourd: quand l’avocate de Pierre essaie à tout prix de le distinguer des « délinquants de Villiers-le-Bel« , elle casse par avance beaucoup de solidarités politiques qui pourraient se créer autour de cette question. Pour moi, toute cette stratégie revenait à se tirer une balle dans le pied dès le départ, à accepter d’affronter l’institution sur son terrain, en se privant de notre force collective essentielle, c’est-à-dire la politique qui nous lie. Le résultat a été clair: le commandant ayant donné l’ordre de cette intervention a pu être assis tranquillement dans la salle d’audience sans jamais être mis en cause ou pris à partie, ne serait-ce que juridiquement. Avec lui, c’était l’institution policière qui pouvait tranquillement faire comme si tout cela ne la concernait pas, ou alors de manière marginale.

Concrètement à ce qu’on pourrait croire, même l’affiche appelant à soutenir Pierre au procès reproduit cette logique: même si elle appuie sur le fait que ces pratiques ne sont pas « anormales » ou « minoritaires« , elle continue à parler de violences policières qui sont « devenues courantes« , c’est-à-dire qui ne l’étaient pas avant, quand l’institution policière fonctionnait mieux, avant les « politiques sécuritaires« . Dans cette affiche, la police en tant qu’idéal existe dans un passé pas clairement spécifié, mais où, en tout cas, les choses allaient mieux. Dans la salle d’audience, cette limitation s’est traduite pour l’incapacité d’interroger le maintien de l’ordre, sa réalité quotidienne, son sale boulot et sa logique de classe, colonialiste et genrée. Politiques sécuritaires ou pas, flashball ou pas, taser ou pas, le maintien de l’ordre tue, mutile et frappe pour inculquer la peur. Ça a toujours été le cas, et ça le sera toujours. La police est toujours fondamentalement violente, la question c’est qui elle frappe, et quelle résistances collectives peuvent lui opposer les groupes frappés par sa violence.

Ce qui change en ce moment, c’est que cette violence frappe plus largement, qu’elle construit des nouvelles figures de méchant-e-s à dégommer. Le maintien de l’ordre, il commence là, par la désignation des ennemi-e-s. En l’occurrence, depuis quelques années, la chasse au jeune est ouverte, et c’est cette chasse qui a permis à un flic d’éclater un œil d’un manifestant lycéen. Le maintien de l’ordre, c’est d’attribuer une valeur à des corps, à des blessures et à des morts, en fonction d’à quel groupe on décide de faire appartenir tel-le ou tel-le individu-e. Les flics sont simplement en bout de chaîne de ce processus, frappant les corps en fonction de la valeur qui leur a été attribuée. Si ce flic a pu tirer sur Pierre, c’est parce que maintenant, on vit dans une société où les jeunes manifestant-e-s ont été constitué-e-s en tant que menace, et l’ampleur de cette menace justifie une certaine violence physique. Le maintien de l’ordre, il réside dans le fait, qu’en réalité, que Pierre perde son œil n’a pas choqué grand monde, que les lycéen-ne-s sont considéré-e-s comme suffisamment dangereux pour qu’une chose comme ça arrive parfois.

Je pense donc que Pierre fait une erreur fondamentale, quand il déclare, dans un entretien pour le CIP-IDF (Quelques détails sur la violence policière), qu’une relaxe « signifierait que l’État, la justice autorise les polices de France à tirer sur des manifestants et à blesser délibérément, à mutiler à vie des gens« . Tout le monde sait, qu’en certaines circonstances, les polices de France peuvent blesser et mutiler délibérément. Simplement, jusqu’ici, les corps que la police était autorisée à mutiler étaient (essentiellement) bronzés ou noirs. Maintenant, ils peuvent être blancs s’ils rentrent dans la catégorie « jeune manifestant ». De la même manière, ce que montre l’affaire Tarnac, c’est que la justice d’exception qu’on pouvait appliquer avant aux « islamistes » s’étend progressivement à d’autres catégories nouvelles. Ou, en tout cas, qu’il y a une bataille politique autour de cette question. Je pense que notre enjeu politique autour du maintien de l’ordre, c’est de détruire les catégories qui permettre de frapper tel ou tel corps, pas de prouver qu’en réalité, on n’appartenait pas à telle ou telle catégorie. Le maintien de l’ordre est dans la séparation entre « gentil-le-s citoyen-ne-s » et « vilain-e-s délinquant-e-s », pas dans les détails de qui se trouve dans la première catégorie et qui se trouve dans la seconde. Cette séparation n’a jamais été interrogée pendant ce procès, les catégories du maintien de l’ordre étaient naturelles et utilisées comme telles d’un côté comme de l’autre.

Je n’aime pas non plus la formulation d’une des questions par le camarade du CIP-IDF. En novembre 2007, la police n’a pas « mis à nu ce qu’en général elle s’efforce de cacher« . La police ne cache pas qu’elle est violente, et la société le sait, la question c’est celle de savoir si la société accepte globalement la violence policière, et ça, ça dépend des rapports de forces sociaux et de qui la police frappe ou pas. La police n’est pas plus violente qu’avant, plus « offensive« , pour reprendre un mot que Pierre utilise plus loin dans l’entretien, par contre elle peut parfois frapper maintenant des types de personnes qui ont accès à plus de ressources publiques, qui ont une parole moins dévalorisée que les sans-papiers, les prostituées et les pauvres délinquant-e-s de banlieue. De la même manière, quand Joachim dit que « le donnant-donnant cantonnant la contestation à l’intérieur d’un certain cadre en échange de l’État-providence ne fonctionne plus« , il oublie que ce donnant-donnant n’a jamais concerné qu’une partie de la « classe ouvrière« , que ce donnant-donnant a toujours fonctionné sur la base de tout un réseau d’exclusions, à l’intérieur comme à l’extérieur du cadre national.

C’est là que je reviens à mon point de départ. Non, condamner un policier, ce n’est pas forcément condamner la police. Pour ça, il faut que cette condamnation ne soit pas obtenue en jouant sur les catégories policières de manière à les renforcer. Sinon, condamner un policier peut être une victoire pour certaines personnes, mais peut aussi être synonyme de renforcement des séparations répressives pour d’autres. Autant je souhaite à Pierre et à sa famille d’obtenir la condamnation du flic, autant je ne pense pas que ce procès ai servi à renforcer le travail politique autour du maintien de l’ordre en France, dans toute sa violence quotidienne.

[mise à jour (18/03/12)] Un camarade me fait remarque que l’article dont je parle comme venant du CIP-IDF est, en fait, une reproduction d’un article de mediapart. Ce n’est donc pas un camarade du CIP-IDF qui pose la question, mais une journaleuse.

[mise à jour (20/03/12)] Je prend quand même le temps de répondre, vu qu’on m’accuse de mentir et de diffamer sauvagement. Toutes les citations (en italique dans le texte) sont exactes, et elles viennent soit de textes que je met en lien, soit de notes prises pendant le procès. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais pas d’être un menteur. Sinon, je fais une critique politique dans ce texte, je ne donne pas mon opinion personnelle sur Pierre et sa famille (opinion dont se fout complètement). En me connaissant ou en ayant lu les textes publiés ici, je ne pense pas qu’on puisse dire que je sois quelqu’un de « froid » ou que je manque d’empathie. Par contre, l’empathie, ça n’a jamais empêché d’avoir besoin de critiquer et d’éclaircir des désaccords.


2 Comments on “Procès du 6 et 7 mars 2012 à Nantes: une occasion manquée ?”

  1. 1 Antirep said at 21 h 19 min on mars 18th, 2012:

    Face à la logique sécuritaire, le piège d’une certaine radicalité politique, ou du moins d’un certain discours qui se veut radical, est de s’aligner sur le jeu répressif de l’Etat et de s’en nourrir par un effet miroir, en se cantonnant au langage de la confrontation directe, « militaro », et parfois à ses gestes – avec ce que cela implique de clandestinité et, partant, de paranoïa dans toute idée de face-à-face frontal ; avec aussi un tri entre les « bons combattants » (les « vrais » ennemis de l’Etat) et les traîtres ou les mous ou les « innocents » ; avec un discours (tendant fortement à s’autoréférencer) sur la « guerre sociale » confondue avec une « guerre armée » ; enfin, avec le refus du terrain judiciaire comme lieu d’affrontement (au profit d’une vision totalisée d’une justice comme instrument unilatéral de la répression), c’est-à-dire sans chercher à se défendre par rapport au contenu d’un dossier judiciaire quel qu’il soit (en pointant ses failles, ses constructions à charge, ses illégalités, etc.).

    Suite à suivre ici …

    [murmures] J’ai modifié le commentaire pour mettre directement en lien l’article plutôt que de le reproduire en commentaire, histoire d’éviter de faire un gros pavé de texte en commentaire. Merci pour le lien 🙂

  2. 2 murmures said at 11 h 40 min on mars 19th, 2012:

    Antirep, je ne voulais pas faire mon plus radical que moi tu meurs et dire qu’il ne fallait pas aller sur le terrain judiciaire.

    Au contraire, je pense justement que la ligne de défense choisie était un peu faiblarde, ce qui a empêché le terrain judiciaire de servir de base pour faire entendre un discours politique. Le fait que l’avocate n’a pas été très bonne pendant le procès n’aidait probablement pas, mais je pense que, même avec une bonne avocate, la stratégie choisie était glissante.

    S’il y a bien eu quelque chose de raté pendant ce procès, c’est justement que la politique n’a pas réussi à rentrer dans la salle d’audience, à part à de très rares moments.

    C’est ça que j’essayais d’interroger. Bon, vu les réactions que ça a déclenché, j’ai dû m’y être pris comme un manche …

    J’avais déjà lu le texte que tu mets en lien, et je suis tout à fait d’accord avec son approche.