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Adieux au milieu

Posted: septembre 28th, 2011 | Author: | Filed under: Murmures | 4 Comments »

« – Eh mec, t’es un révolutionnaire !
– Individuellement, ça ne veut finalement rien dire, c’est un mouvement collectif, on est révolutionnaire dans un moment où tout est possible. »

Boris Lamine (texte collectif), Il fera si bon mourir

Ma formation politique, ma découverte des luttes collectives, je l’ai fait dans un endroit bien particulier. Cet endroit, c’est compliqué de lui mettre une identité bien claire, parce qu’il bouge tout le temps, il se transforme rapidement et il est assez flou, finalement. C’est l’ilôt étrange des révolutionnaires sans étiquettes officielles, des radicaux non-organisés. En fait, des étiquettes et des organisations, il y en a, mais elles n’existent pas officiellement, elles ne sont pas visibles pour l’extérieur. Pas de NPA, pas de Fédération truc ou d’Organisation machin. J’ai grandi politiquement dans cette étrange maison peuplée d’anarcho-machin, d’insurrectionalisto-trucs, d’anti-gauches, d’autonomes, … Il y a encore des tas d’autres qualificatifs comme ça, qui amènent souvent plus de questions qu’ils ne clarifient de positions. C’est le genre de mots qu’on utilise dans cette maison.

J’ai grandi là-dedans pendant très longtemps, et puis j’ai commencé à m’y sentir à l’étroit. J’y trouvais de moins en moins de réponses et de plus en plus de questions. D’une certaine manière, c’était étrange, parce que la maison s’agrandissait, il y a avait de plus en plus de gens. Mais c’était comme si, même avec plus de gens, c’était toujours aussi petit et limité. Je n’étais pas le seul à avoir ce ressenti. En fait, je crois bien que progressivement, tout le monde a commencé à se sentir un peu étouffer là-dedans. Cette maison a commencé à devenir le milieu, un endroit dans lequel personne ne se sentait vraiment à l’aise. Un endroit qui nous enferme petit à petit mais dont on ne sait pas comment sortir, à la fois confortable et limitant.

Je ne me suis pas rendu compte à l’époque, mais la création de ce site, le début de ce projet d’écriture était pour moi une manière de sortir de ce milieu. Je n’ai pas imaginé de rupture radicale dans ma tête, mais j’ai commencé à dévorer des livres, à rechercher des réponses dans beaucoup de directions, et je me suis petit à petit éloigné de cette maison sans trop y penser, en suivant les directions sur lesquels j’étais emmené. Ce n’est que très récemment que je me suis rendu compte du chemin que j’avais suivi: en causant avec des camarades, en parlant du milieu, je me suis rendu compte que j’en parlais comme d’une réalité extérieure que j’observais plutôt que comme un environnement qui m’entourait. Un regard extérieur, assez détaché. En tout cas, je ne plaçais plus aucune de mes perspectives dans des dynamiques qui auraient été liées à ce milieu: je faisais mes trucs dans mon coin, avec mes camarades, simplement.

Alors voilà, là, je me retrouve dans la position surprenante (pour moi), d’y voir d’un coup beaucoup plus clair au sujet de ce fameux milieu. J’ai même l’impression d’avoir des leçons politiques à tirer de tout ce chemin.

Cette question de sortir du milieu est centrale dans ce milieu lui-même depuis quelques années, et je crois qu’elle a un sens temporel précis, qu’elle correspond à un moment de bascule, à une transition entre deux situations très différentes. Pour moi, c’est bien parce qu’elle correspond à une transition difficile et nécessaire qu’elle est un sujet essentiel de discussion depuis tout ce temps. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il ne s’agit pas de tempête dans un verre d’eau. C’est toujours facile de prendre de haut toute cette histoire et de se moquer des « révolutionnaires professionnel-le-s qui se regardent le nombril« , quelque chose dans le style. Mais je pense que c’est une erreur: comment sortir du milieu, c’est un problème politique concret qui se pose dans beaucoup de situations, et il sert de révélateur à de nombreuses questions politiques fondamentales.

Les premières réflexions que j’ai eu l’occasion de lire sur le sujet voyaient en général cette question comme une affaire de positions politiques. Si on se retrouvait par moment enfermé-e-s politiquement dans des milieux, c’est parce qu’on ne se posait pas les bonnes questions, qu’on avait pas trouvé la position juste, l’analyse correcte qui allait nous permettre de « parler plus largement aux gens« . En général, ça débouchait sur des discussions houleuses sur ce que pouvait bien être l’analyse en question. Ces discussions ont pu s’étendre sur des années, mais n’ont jamais débouché sur l’ouverture théorique recherchée.

Une autre direction d’élargissement envisagée, c’est la communication. Nos théories sont justes, nos bases sont solides, mais on ne communique pas assez, on ne va pas assez à la rencontre des gens pour les convaincre. Cette position va en général correspondre à la volonté de certains collectifs d’être les plus présentables possibles, de travailler à faire parler d’eux. Tractages, journaux, sites internets, listes de diffusion, tables de presse, tout le tralala. Travail de titan, travail épuisant, qu’on finit par lâcher au bout d’un moment en général, parce qu’il débouche très rarement sur des élargissement réels des collectifs.

Globalement, dans les deux cas, l’idée, c’est un élargissement (une massification si on est passé-e par la LCR): au bout d’une certaine masse de gens impliqué-e-s, il ne s’agira plus tant d’un milieu que d’un mouvement large, et on arrêtera d’étouffer. De l’air et de l’espace par le nombre, quoi. Je n’ai pas l’impression que ce genre de stratégie a vraiment fonctionné. Comme je l’ai déjà dit plus haut, même à plus nombreux/ses, la même impression d’étouffement persiste, et un élargissement réellement massif et rapide ne s’est jamais produit. A chaque mouvement social (CPE, LRU, retraites, …), il y a toujours l’espoir que ça se débloque enfin, mais ça ne se produit pas vraiment, et la logique du milieu revient quand la vague est passée. En fait, on se retrouve assez proche de pratiques gauchiste assez traditionnelles, et l’ex-LCR/NPA ou LO sont bien là pour démontrer l’impasse à long terme de ce genre de choses.

Je ne suis pas le seul (loin de là !) a voir constaté l’échec de tout élargissement du milieu. Pour répondre à cette impossibilité, d’autres personnes ont commencé à envisager une perspective plus radicale, une sorte de dépassement du milieu.

A mon sens, cette perspective de dépassement est portée de la manière la plus forte par toute la branche tiqunienne. Dans cette perspective, le milieu n’est pas tant quelque chose à élargir que quelque chose à laisser derrière soi, à détruire méthodiquement. J’ai déjà mentionné le texte de Tiqqun sur les « communautés terribles« , qui possède une sacré rage, une volonté forte de destruction de nos rapports existants. Ce qui est particulièrement bien vu dans Tiqqun, c’est l’idée qu’il n’y a aucune différence entre le milieu révolutionnaire-radical et le reste du monde qui nous entoure, que l’attaque contre ce milieu est tout aussi nécessaire que l’attaque contre les banques. Qu’il faut commencer à retravailler ce qui est proche de nous, plutôt que ce qui est loin. Mieux que ça, le processus de destruction de l’Empire (pour reprendre leurs mots) est le processus même de dissolution des « milieux » qui nous enferment. En commençant à attaquer les milieux, on commence à attaquer l’Empire.

La force et la faiblesse de ce genre de textes se trouve à mon avis, dans leur volontarisme. Tout est simple, il suffit de commencer à s’organiser, à vouloir dépasser le milieu actuel, et on est sur la bonne voie. Ce n’est ni une question de ligne politique, ni une question de propagande, mais une question de volonté. C’est un autre aspect de la critique que je peux faire de Tiqqun: le milieu, comme le capitalisme, n’est pas vraiment analysé, il est surtout décrit et dénoncé. Du coup, sans analyse, le dépassement ne peut se faire que par l’approche bourine: on pousse jusqu’à ce que ça s’effondre, en espérant pousser suffisamment fort. C’est séduisant, parce qu’on peut commencer là tout de suite, sans trop se poser de questions, mais, au bout d’un moment, on s’épuise forcément à pousser dans le vide.

Non seulement cette logique volontariste me semble inefficace, mais elle a des conséquences terribles sur les relations que nouent les gens. C’est assez connu, le volontarisme, ça vire assez facilement à la parano quand ça ne fonctionne pas. Du coup, c’est assez facile que ce genre de perspectives débouchent sur des chasses à qui ne veut pas assez, sur des concours de radicalisme. Il faut prouver qu’on a la volonté de sortir du milieu, il faut donc être à la pointe de la radicalité, causer conflit, violence et offensive (ça peut même tourner au militarisme un peu crade, voir un texte récent pour un exemple). Tout ça fait qu’à la fin, le serpent se mord la queue, puisque cette pression à la radicalité finit par récréer le milieu qu’on voulait dépasser. La boucle est bouclée.

Tout le débat houleux autour de la tactique de défense des inculpé-e-s de Tarnac traduit, à mon avis, la tension entre ces multiples stratégies de sortie du milieu. Les inculpé-e-s de Tarnac jouent à la fois du dépassement radical et de la volonté d’élargissement. Le résultat, c’est un double discours assez étrange, où les positions changent entre discours « internes » (au milieu), et discours adressés à l’extérieur. Ce qui fait qu’illes se retrouvent à la fois attaqué-e-s parce qu’il ne sont pas assez radicales et radicaux, mais qu’illes ont quand même à subir la marque du ou de la « terroriste« . Bien sûr, on peut dire que cette stratégie est souple, pragmatique, mais les grincements et les tiraillements se font quand même sentir au fil des changements.

Ce que je vois de commun à toutes ces tentatives de sortir du milieu, c’est qu’elles sont internes, qu’elles partent de l’intérieur. Malgré la critique radicale du milieu que peut faire Tiqqun (par exemple), c’est quand même un texte qui s’adresse au milieu. Sa suite logique, l’Appel a, de la même manière, été diffusée à l’intérieur de ce milieu que le texte descendait en flamme. Ce qu’il y a d’implicite, c’est que la destruction du milieu viendra du milieu lui-même. Envers et contre tout, même en réduisant (textuellement) ce milieu en cendres, c’est en partant de ce milieu que sont envisagées les choses, et ces textes multiplient les références à des discussions internes et anciennes, à des personnages notoires, à des positions connues, …

Comme on sort de cette perspective interne, alors ? Sur quels éléments extérieurs on peut s’appuyer ? Pour moi, le milieu existe et est à dépasser, parce que le milieu n’est formé de rien d’autre que des limites de nos luttes. S’il est aussi étouffant et frustrant, c’est parce qu’il représente toujours un échec, un reflux, un retour à quelque chose de plus limité. S’il nous colle toujours aux basques, c’est parce qu’on a pas encore réussi à transformer ce monde. Le milieu, c’est l’endroit où l’on préfère parler parce que porter une parole politique entendable dans un espace plus large est tellement plus difficile. Collectivement, on vient de traverser vingt ou trentes années de recul constant des luttes, d’échecs et d’invisiblité. Le milieu, c’est le point de regroupement parmi tous ces échecs, l’endroit où on revient parce qu’ailleurs, la confrontation est trop rude. La relation d’amour-haine qu’on peut avoir avec lui me semble venir de là, dans l’irritation qui grandit face à quelque chose qui est à la fois complètement nécessaire et totalement insuffisant.

C’est parce que ce milieu représente les limites de nos luttes que sortir du milieu ne se fera pas à partir du milieu, mais dans le développement de la nouvelle séquence historique qui commence en ce moment. Pour la première fois depuis des années, collectivement dans le monde, nous sommes à l’offensive. Le dépassement du milieu, il est là, en acte, dans les nouvelles luttes qui se développent. Des paroles radicales qui ne rencontraient aucun écho auparavant sont maintenant diffusables et diffusées. Le milieu disparaîtra quand plus personne n’en aura besoin, quand nous n’aurons plus besoin de nous replier. La sortie du milieu n’est pas un choix, mais une réalité progressive qui se développe avec nos luttes, dans nos luttes. La sortie du milieu n’était même pas une possibilité il y a quelques années, et elle deviendra une réalité d’ici quelques temps, parce que ce milieu est pris dans un mouvement historique plus large. Ce n’est pas une question de propagande ou de volonté, mais de processus collectif.

La rôle du milieu a toujours été de nous permettre de nous regrouper et de souffler. Plus on gagne en force, moins on en a besoin. Et c’est très bien comme ça.


C’est quoi le rôle des garçons dans tout ça ?

Posted: septembre 16th, 2011 | Author: | Filed under: Genre, patriarcat | 11 Comments »

J’ai eu une chance de dingue, politiquement. Dès que j’ai été pris par le goût de la révolte, je suis tombé sur des féministes. Au départ, comme tout garçon qui se respecte, je leur ai posé des questions absolument stupides, sans douter de rien. Je me suis fait remettre à ma place vite fait. Alors j’ai voulu comprendre, j’ai persévéré, j’ai lu, je me suis renseigné. Mais surtout, j’ai été guidé, je suis tombé sur des nanas qui ont bien voulu prendre le temps de m’expliquer quelques évidences, de me donner des éléments pour me nourrir et pour pouvoir commencer à réfléchir un peu tout seul sur le sujet. Ce mélange de confrontation et d’échange est une richesse incroyable, et m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. J’espère entre temps avoir rendu la pareille aux personnes qui ont bien voulu me soutenir là-dedans.

Mais c’est un équilibre assez précaire. Pour les quelques garçons que je connais avec qui on partage ce vécu, il arrive très vite une autre question compliquée: qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Qu’est-ce qu’on en tire politiquement ? Comment on agit sur cette base ? Parce qu’essayer d’être un garçon correct à titre individuel, c’est mignon, mais c’est comme limiter l’écologie au tri des déchets: c’est un peu court. Il faut donc réfléchir à comment prendre place dans un mouvement contre le patriarcat en tant que garçon, et c’est là que ça se complique.

Je n’ai jamais voulu me dire féministe. Pour moi, le féminisme, de ce que j’en comprend, c’est un mouvement collectif d’auto-organisation des femmes. A partir de là, je n’y ai pas vraiment ma place. Je peux être solidaire, je peux soutenir la lutte, mais ce n’est quand même pas mon mouvement. Je crois que l’auto-organisation, c’est un ingrédient politique indispensable. Sur les lieux de travail, de nos jours, c’est un principe acquis pour l’essentiel (j’ai dit un principe, la pratique peut être différente), et je crois que toutes les bonnes raisons qui font que c’est une bonne idée sur le terrain du travail sont applicables ailleurs. Le patriarcat est un système de domination et, en tant que tel, les seules vraiment aptes à trouver des outils efficaces pour en finir avec lui sont les dominé-e-s au sein de ce système, c’est-à-dire les femmes.

D’ailleurs, historiquement, les outils théoriques et pratiques de cette lutte ont été forgées par le travail politique de femmes. Des hommes ont parfois participé, mais leurs contributions n’ont jamais été essentielles. Pour moi, on touche là à des évidences politiques essentielles, qui fonctionnent aussi dans d’autres domaines. Par exemple, Marx est un génie, mais son travail se base sur le mouvement ouvrier de critique théorique et pratique du capitalisme, pas l’inverse. Sans mouvement ouvrier, pas de Marx. Sans mouvement féministe, pas de critique théorique et pratique réelle du patriarcat. Alors ne pas vouloir me dire féministe, c’est rappeller que j’ai une position fondamentalement différente que celle de n’importe quelle femme quand je parle de genre, même si je peux prétendre lutter contre le patriarcat.

Pourquoi ne pas utiliser, alors, un autre terme qui revient des fois: pro-féministe ? Je l’aime pas. Je ne suis pas pro-féministe. Je n’ai pas une préférence naturelle pour les féministes ou je ne sais quoi. Je ne me suis pas levé un matin en me disant que j’allais kiffer toutes les féministes que je croiserais. Pour moi, ce pro-truc, ça amène la question sur un terrain affectif un peu binaire, genre plateau de télé: « pour ou contre le féminisme » ? Le féminisme est un mouvement social, j’ai pas à être pour ou contre lui, j’ai à le soutenir ou à lui mettre des bâtons dans les roues, et je trouve que ce petit préfixe ne reflète pas ça. Dans le même genre, je ne suis pas pro-palestinien non plus. Je n’ai pas un amour particulier pour les palestinien-ne-s. Tout ce vocabulaire amène, à mon avis, à des contradictions idiotes: on peut être pro-palestinien ou pro-israélien, mais alors ça fait que quand on est l’un, on est anti-l’autre non ? Comment ça marche ?

La question de fond derrière la question de vocabulaire, c’est de savoir c’est quoi le rapport au féminisme. J’ai l’impression que, en général, le féminisme et, de manière plus large, le genre sont perçus comme des sujets. Il y a le travail, les femmes, le colonialisme, la prison, … Tout ça c’est des sujets séparés les uns des autres, sur lesquels on intervient pour donner une position. Une amie rigole (jaune) en parlant « d’antisexisme dans les status« : de nos jours, il faut être antisexiste, c’est bien, alors on le rajoute comme un thème de plus sur lequel il faut avoir des choses à dire, entre le nucléaire et le Moyen-Orient. A ce moment-là, on se retrouve à faire de l’antisexisme une question de principe, déconnectée de nos pratiques et de nos luttes quotidiennes. Ce qui revient à dire que l’essentiel du boulot va être fait par les concernées, c’est-à-dire les femmes.

C’est là que, je crois, on peut jouer un rôle en tant que garçons. J’ai l’impression que le rôle qu’on peut jouer, c’est d’intégrer les outils théoriques et pratiques du féminisme dans nos luttes et dans nos réflexions. Que penser aux questions de genre ne soit pas uniquement réservé à la « commission femmes » ou aux grandes gueules féministes de service.

Si je me sens solidaire avec le mouvement féministe, ce n’est ni par charité, ni par culpabilité, ni pas grandeur d’âme. C’est parce que je pense qu’on ne détruira pas le capitalisme sans détruire aussi le patriarcat. C’est nécessaire de lutter contre le patriarcat si on se veut révolutionnaire, y’a pas à tortiller. Ce qui veut dire que le genre, ça ne peut pas être un truc qu’on relègue dans un coin de nos têtes et auquel on pense quand on manifeste pour le droit à l’avortement. Ça doit être une problématique quotidienne, constante, qui influe sur les pratiques collectives, qui est présente aussi bien qu’on écrive un tract, qu’on parle à des gens ou qu’on fasse une manif.

Vous allez me voir venir avec mes gros sabots, mais un excellent exemple de comment on ne fait pas ce travail à l’heure actuelle, c’est l’affaire DSK. Je l’ai déjà dit dans le texte juste avant, mais c’est incroyable que des organisations féministes aient été les seuls à trouver des choses malignes à dire à ce sujet. Je crois que ce qu’on a vu à cette occasion, c’est qu’au mieux, le patriarcat et tout ce qui va avec (les violences conjugales, les viols, …) était perçu comme une question secondaire. La vraie politique, c’est les insurrections arabes, la crise et les déclarations de Sarkozy.

Comprendre le patriarcat et son fonctionnement, connaître l’histoire des luttes féministes et pouvoir causer autour de ça en tant que garçon, c’est aussi essentiel politiquement que d’avoir lu des choses sur les émeutes de 2008 en Grèce. En comprenant le fonctionnement quotidien du rapport de domination qu’est le patriarcat, on devient aussi plus malin pour comprendre le capitalisme et ses ramifications et lutter contre. On se fait de nouvelles et nouveaux allié-e-s, on découvre des perspectives qu’on avait pas avant. Il n’y a pas, d’un côté l’anticapitalisme et la lutte contre l’Empire, et de l’autre la lutte antipatriarcale. C’est le même monde contre lequel on lutte dans les deux cas, et les deux luttes doivent se nourrir mutuellement sinon elles crèveront les deux.

C’est une des choses qui me met particulièrement en colère dans les textes affiliés à Tiqqun. Cette volonté de prendre de haut la question du genre, de refuser de parler d’une manière ou d’une autre le langage du féminisme, et d’en faire une sorte de critique surplombante comme si c’était pittoresque, certes, mais pas vraiment sérieux. On retrouve aussi cette attitude chez des vieux marxistes fossilisés qui se disent que si Marx n’en a pas beaucoup parlé, c’est que ça ne doit pas être intéressant. D’une certaine manière, c’est ce qui est irritant chez Pierre Bourdieu, dans La domination masculine: il réussit le tour de force de parler du genre et du féminisme comme d’une extension de sa théorie, comme un terrain de plus sur lequel appliquer son savoir déjà existant. Comme si rien, dans la problématique des genres et le mouvement féministe en tant que tel, ne pouvait remettre quoi que ce soit en cause dans sa propre théorie. Il savait déjà tout sur le patriarcat avant même de s’y intéresser, c’est fou, non ?

Je me dis que ce qu’on peut faire en tant que garçon, c’est justement se laisser changer politiquement par le féminisme, s’en nourrir, le prendre au sérieux, en tirer des conclusions théoriques et pratiques nouvelles. Ne pas se dire qu’on sait déjà tout ce qu’il y a en tirer avant même de l’avoir abordé. De nos jours, je ne vois plus de séparations fortes entre ma grille d’analyse « anticapitaliste » et ma grille d’analyse « antipatriarcale« . Il y a de l’antipatriarcat dans mon anticapitalisme et inversement. La lutte contre le patriarcat n’est pas une option, un truc qui fait de nous quelqu’un de bien. C’est une nécessité si on veut réellement transformer ce monde.

En résumé, j’ai l’impression que ce qu’on peut faire en tant que garçon, c’est aider à créer un climat où parler de genre et de patriarcat soit une évidence commune, et pas une lubie de féministe, où c’est pas une nana qui doit forcément poser la question de la conséquence pour les femmes de telle ou telle mesure, ou de telle ou telle lutte. En fait, j’ai l’impression qu’en tant que garçon, on peut apprendre. Mieux encore, on peut utiliser ce qu’on apprend pour explorer de nouveaux terrains et de nouvelles luttes. Le travail antipatriarcal, c’est un travail politique nécessaire (nécessaire à titre collectif hein, ça ne veut pas dire que tout le monde doit bosser tout le temps sur les questions de genre). Mais, en tant que garçon, il faut, au moins, qu’on aie en tête le fait que tant qu’on a pas intégré le genre à nos grilles de lectures, elles sont profondément incomplètes, et on fait des erreurs politiques. Les erreurs, c’est pas grave, on en fait tou-te-s (surtout moi, cela dit), mais ça indique qu’il y a du boulot à faire.

En fait, je trouve que la question de fond là-dedans, c’est de savoir pourquoi on lutte contre le patriarcat (peut-être même pourquoi on lutte en général, d’ailleurs): je ne lutte pas par humanisme, parce que je suis gentil ou parce que je veux sauver des pauvres victimes sans défense. Je lutte contre le patriarcat parce que je veux transformer radicalement ce monde, et que ça passe par le fait de construire des solidarités et des luttes communes. Sans solidarité, on ne changera jamais rien à rien, et soutenir la lutte féministe est une nécessité pour construire des solidarités avec des femmes. D’une certaine manière, la lutte antipatriarcale n’est pas ma lutte, mais elle est néanmoins complètement indispensable pour que ma lutte soit victorieuse. C’est un sacré jeu de funambule, mais j’ai l’impression que la solidarité, c’est toujours un sacré jeu de funambule 🙂

[mise à jour (02/11/11)] Par l’intermédiaire de rezo.net, un autre texte sur le sujet, infiniment plus universitaire, mais assez proche, je dirais: Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ? Plein de références utiles.