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Pourquoi je suis antisioniste

Posted: juillet 15th, 2014 | Author: | Filed under: Pays arabes, palestine | 2 Comments »

« L’antisionisme est la réalité de l’antisémitisme qui tue aujourd’hui en Europe »

Cette phrase a été prononcée il y a quelques jours par M. Mergui, président du Consistoire, plus haute institution juive de France. Il l’a prononcé à l’occasion d’une tuerie commise à Bruxelles, apparemment par un français, probablement pour des raisons antisémites. Difficile de savoir comment réagir à une déclaration pareille. Difficile parce que cette petite phrase m’accuse d’avoir été un complice indirect de meurtres, d’avoir provoqué ces morts. Cette petite phrase m’accuse moi, mes camarades et les nombreuses personnes qui se reconnaissent comme antisionistes. Car oui, je suis antisioniste. Et je suis fier de l’être. Non seulement mon antisionisme n’a rien à voir avec un quelconque antisémitisme, mais je suis profondément convaincu de la nécessité de l’antisionisme aujourd’hui, en France et ailleurs. Pour répondre à M. Mergui, je voudrais donc parler de l’antisionisme non pas en tant que mouvance menaçante rôdant sur internet, mais en tant que mouvement politique, mouvement politique dont je fais partie. Je voudrais lui expliquer pourquoi je suis antisioniste concrètement, pourquoi l’antisionisme est une lutte politique et pas une haine aveugle. M. Mergui, je suis antisioniste, et voilà pourquoi.

Je suis antisioniste parce qu’on peut parler de conflit israélo-palestinien, de colonies et de murs, mais qu’on oublie souvent de dire que l’agression quotidienne vécu par les palestinien-ne-s ne date pas des années 80, ni de l’occupation israélienne en 1967, ni même de la création de l’état d’Israël en 1948. Le peuple palestinien est attaqué depuis plus d’un siècle. Il est attaqué au nom d’un projet clair, précis et explicite, qui est resté pratiquement le même de la fin du XIXème siècle à nos jours : le projet sioniste. En Palestine, il n’y a pas deux peuples qui se sont retrouvés là par hasard, mais le résultat d’un processus volontaire qui a pour objectif de remplacer un groupe humain, les palestinien-ne-s, par un autre, les juif-e-s d’Europe. Pas de « paix » possible en Palestine sans mettre un nom sur cette réalité.

Je suis antisioniste parce que le sionisme est un projet colonial, avec tout ce que ça suppose de violence sociale et politique. Ce projet a toujours eu pour but le contrôle d’un maximum du territoire de la Palestine. Avant même la création de l’état d’Israël, le mouvement sioniste s’est approprié des terres, a expulsé violemment des populations, a réprime toute expression collective palestinienne, a privé de droits sociaux et politiques tout un peuple. L’état israélien actuel est fondé sur cette violence. La politique israélienne actuelle n’est que la continuation de cette logique. Dès le début du XXème siècle, les futurs dirigeant-e-s d’Israël parlent ouvertement de séparation raciale entre les populations « juives » et « arabes » et de la nécessité de garder sous contrôle « l’expansion démographique arabe ». Depuis plus d’un siècle, le slogan sioniste est « une terre sans peuple pour un peuple sans terre »: dans cette vision, les palestinien-ne-s n’existent pas. Le projet sioniste, c’est la destruction de la Palestine et des palestinien-ne-s en tant que communauté cohérente et autonome. Accepter le sionisme, c’est accepter la destruction sociale, culturelle, politique et bien souvent physique d’un peuple, le peuple palestinien.

Je suis antisioniste parce que le projet colonial que je viens de décrire est un projet spécifiquement européen. Au niveau des idées comme des méthodes, le sionisme n’a rien inventé. A l’époque où le projet sioniste se constitue, l’Europe est sincèrement convaincue de son droit absolu à gouverner l’intégralité du monde et est prête à imposer ce droit par la conquête militaire, la manipulation économique et le massacre de populations entières si nécessaire. Le sionisme n’est qu’une application particulière de cette logique générale qui amène différents groupes européens à envahir l’Afrique, l’Asie, le Moyen-Orient, … A chaque fois, la justification est la même : la croyance en « notre » supériorité. A chaque fois les méthodes sont identiques : massacres, déplacements de population, constructions de murs, de camps et de barbelés, prise de contrôle de l’Etat qui est ensuite dirigé contre les populations locales, création de divisions « ethniques », … Ces méthodes et cette justification, on les retrouve en Palestine encore maintenant : la « seule démocratie du Moyen-Orient » a besoin d’un arsenal mortel pour sa « sécurité » face à des populations locales « incontrôlables » et « dangereuses ».

Je suis antisioniste parce que je vis en Europe et que l’Europe n’a pas seulement « laissé faire » ; elle a été une complice active à tous les stades du processus de colonisation de la Palestine. Directement et indirectement, elle a fourni les idées, les armes, le financement, le soutien géopolitique, l’appui militaire, les techniques répressives. Sans cette participation des gouvernements européens, il aurait été impossible de museler les palestinien-ne-s et les pays solidaires avec eux, il aurait été impossible d’imposer sur le terrain l’apartheid israélien. L’Europe faible, pleine de bonnes intentions mais manipulée par l’état israélien est un mythe. La réalité, c’est qu’à chaque étape, les sionistes ont pu compter sur un soutien total de la part de nos gouvernements. Israël a été construit avec les armes françaises, l’appui britannique et la protection américaine. La réalité, c’est qu’Israël défend les intérêts occidentaux au Moyen-Orient. Israël se salit les mains en interdisant à tout autre État de la région de devenir suffisamment solide pour être réellement indépendant et en maintenant un état de guerre perpétuel. L’important pour l’Europe, c’est de pouvoir continuer à acheter son pétrole avec l’argent obtenu en vendant ses armes de guerre à tous les États de la région. Bien sûr, tout ça implique parfois qu’on rappelle à l’ordre notre exécutant quand il va un peu trop loin, quand il ne respecte pas les convenances, quand son travail devient trop voyant.

Je suis antisioniste parce que le projet sioniste est non seulement un projet européen, mais il est aussi une réponse à un problème spécifiquement européen. On oublie facilement de nos jours que c’est notre Europe « civilisée » qui a connu une vague d’antisémitisme si dévastatrice qu’une grande partie des juif-e-s d’Europe vont devoir faire le choix de fuir leurs pays, les pays où ils habitaient depuis des siècles, pour échapper à une mort presque certaine. Le projet sioniste naît pour tenter de sauver les juif-e-s d’Europe. Le fait qu’il soit fondamentalement colonial et qu’il ai prétendu sauver un peuple en en détruisant un autre ne change rien à la nécessité réelle à laquelle il répond. Beaucoup de juif-e-s européen-ne-s ont refusé le projet sioniste, et la plupart d’entre eux sont morts dans les camps d’Hitler. Soutenir Israël, c’est aussi pour l’Europe une manière de se débarrasser de sa culpabilité, de sa responsabilité, de faire comme si tout ça n’était pas notre problème, n’était plus notre problème. Le résultat, c’est que de nos jours, l’antisémitisme, ce sont les (éternels) « autres », les arabes ou les noir-e-s. Le résultat, c’est qu’un parti fondé par des négationnistes et des antisémites notoires arrive en tête des élections européennes en France, mais que ce sont les banlieues françaises qu’on cible pour leur antisémitisme supposé.

Je suis antisioniste parce qu’à bien des égards, Israël n’est qu’un miroir grossissant de l’Europe. L’Europe qui ne sait plus parler que de « sécurité » et « d’identité ». L’Europe qui devient de plus en plus inégalitaire, injuste et féroce. L’Europe qui s’inquiète de sa soi-disant « invasion » par les « Rroms », les « musulmans », les « Africains » comme Israël s’inquiète de « l’équilibre démographique entre juifs et Arabes ». L’Europe qui, comme Israël, se voit maintenant comme une forteresse assiégée, comme un phare de « démocratie » au milieu d’une mer déchaînée, chaotique et menaçante. L’Europe où le langage dominant est devenu celui de la peur, et qui se sent tout de même légitime pour aller mettre son nez un peu partout dans le monde, à coup de bons conseils, d’accords commerciaux, de dettes destructrices et d’interventions militaires s’il le faut. L’Europe qui peut regarder tout un pays censé être « à l’origine de notre civilisation » être méthodiquement démantelé au nom de la « crise » sans se sentir particulièrement solidaire. L’Europe riche comme jamais qui ne « peut pas accueillir toute la misère du monde ». Et qui condamne à mort des milliers de migrant-e-s plutôt que d’avoir à les accueillir. Tant de points communs entre ici et là-bas. A bien des égards, pour l’Europe, regarder Israël, c’est se regarder dans un miroir.

Je suis antisioniste parce que les personnes qui voudraient faire oublier la question palestinienne sont les mêmes personnes qui voudraient faire oublier les autres sujets qui fâchent. Ce sont les mêmes personnes qui voudraient éviter que l’Europe se regarde en face, qu’elle réfléchisse sur ses responsabilités dans l’état actuel du monde, qu’elle s’interroge sur les privilèges dont elle dispose. Ce sont les mêmes personnes qui parlent d’accepter l’austérité et les sacrifices, qui répètent que chacun-e doit se serrer la ceinture ; sauf les riches, sauf leurs ami-e-s, sauf leurs complices.

Pour finir, je suis antisioniste parce que les palestinien-ne-s sont en première ligne de toutes les batailles depuis plus d’un siècle. Qu’ils me montrent ce que sont le courage, la ténacité et la résistance. Qu’ils m’apprennent tous les jours ce que la justice, la dignité et la liberté peuvent bien être. Que face à tout ce qu’ils m’ont donné et tout ce qu’ils m’ont appris, c’est le moins que je puisse faire. Je suis antisioniste parce que, sans justice en Palestine, il n’y aura pas de justice ici.

[mise à jour (18/07/2014)] Ce texte a été repris collectivement par les camarades de Génération Palestine.


2 Comments on “Pourquoi je suis antisioniste”

  1. 1 Laure said at 17 h 17 min on juillet 26th, 2014:

    Bonjour,

    Je reconnais que ce texte me paraît demander quelques précisions. Du coup je n’ai pas vraiment d’autres solutions que de poser des questions sur les quelques éléments qui m’interpellent.

    1. Le passage suivant : « Avant même la création de l’état d’Israël, le mouvement sioniste s’est approprié des terres, a expulsé violemment des populations, a réprime toute expression collective palestinienne, a privé de droits sociaux et politiques tout un peuple. L’état israélien actuel est fondé sur cette violence. La politique israélienne actuelle n’est que la continuation de cette logique. Dès le début du XXème siècle, les futurs dirigeant-e-s d’Israël parlent ouvertement de séparation raciale entre les populations « juives » et « arabes » et de la nécessité de garder sous contrôle « l’expansion démographique arabe ». » m’étonne ; je ne prétends pas qu’il est forcément infondé, mais serait-il possible de savoir qui sont ces futurEs dirigeantEs d’Israël, ou encore d’en apprendre plus sur la répression et les privations de droits par le mouvement sioniste avant la Seconde Guerre Mondiale ?

    2. Je ne suis pas certaine de comprendre si dans la perspective que vous défendez, le sionisme est un projet colonial des élites européennes goy ou un mouvement juif européen (ou peut-être les deux ?). Cela ne me paraît pourtant pas la même chose.

    Merci beaucoup pour vos éventuelles précisions.

  2. 2 murmures said at 11 h 01 min on août 1st, 2014:

    Sur la première partie, ce n’est pas si simple de trouver de la documentation en français sur le sujet (à part les pavés d’Henry Laurens sur « La question de Palestine »). Comme point de départ, la brochure de Ghassan Kanafani que j’ai traduite est plutôt pas mal. Elle revient sur les représentations coloniales des sionistes de l’époque, pour qui les « paysans » palestinien-ne-s ne s’intéresseraient pas trop à la politique pourvu qu’on leur amène la prospérité économique, sur la collaboration entre les britanniques et les sionistes à la répression du mouvement national palestinien, entre autres. Mais il suffit d’ouvrir une histoire du sionisme ou de la Palestine à cette époque pour voir toutes les structures racistes qui imprègnent les réflexions sionistes. La pensée raciale européenne de l’époque domine leur réflexion. Une des citations que je préfère, qui est un très bon exemple de ça, est celle de Max Nordau, un dirigeant sioniste de l’époque, qui déclare que le sionisme a pour objectif de « repousser vers l’Euphrate les frontières morales de l’Europe ». Tout l’imaginaire de la « mission civilisatrice » était mobilisé dans le sionisme.

    Sur le deuxième point, le sionisme est à la fois un projet colonial des élites européennes et un mouvement juif européen. Les dirigeants britannique de l’époque (Disraeli, Lloyd George, Balfour, …) parlent tous de la centralité du retour des Juif-e-s en Israël dans leur foi (chrétienne, en l’occurrence). Ce millénarisme se double en général d’un antisémitisme clair: la « race juive » n’a pas sa place dans l’Europe chrétienne, elle doit partir en Israël réaliser la promesse de Dieu. Ce mélange se retrouve toujours dans le soutien sans faille d’Israël par les évangélistes américain-ne-s de nos jours. Sans le soutien des élites occidentales (britanniques en particulier) au projet sioniste, l’installation en Palestine n’aurait jamais pu se faire et se maintenir. En tant que mouvement juif européen, le sionisme était profondément ancré dans les idéologies européennes de l’époque, et c’est de cette manière qu’il a pu obtenir le soutien des gouvernements européens.

    Merci beaucoup pour les questions, c’est toujours un plaisir !