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« A mon peuple » (Assata Shakur)

Posted: avril 17th, 2012 | Author: | Filed under: Traduction(s) | Commentaires fermés sur « A mon peuple » (Assata Shakur)

« Certaines des lois de la révolution sont tellement simples qu’elles paraissent improbables. Les gens pensent qu’une chose doit être complexe pour fonctionner, mais c’est souvent le contraire. La plupart du temps, on réussit en mettant en pratique les vérités simples qu’on possède. »

Assata Shakur

Le mouvement révolutionnaire noir des États-Unis est relativement peu connu en France. A part les Black Panthers, en général, personne n’a jamais entendu parler de ces milliers de radicaux noir-e-s qui se sont battu-e-s pendant des années face à une répression délirante, et en ne bénéficiant que d’une solidarité très réduite de la part de la gauche radicale blanche. Il y a là toute une tradition de lutte vivante, rebelle et particulièrement riche politiquement, qu’on a encore à découvrir.

Je traduit ici un texte d’Assata Shakur (si vous être un-e fan-e de hip-hop, il s’agit de la tante de Tupac), militante révolutionnaire noire de l’époque. Beaucoup de contexte est donné dans les liens wikipedia que j’ai mis, vous pouvez donc approfondir en vous baladant de lien en lien si vous êtes intéressé-e-s. Le texte a été écrit en juillet 1973, peu de temps après l’arrestation d’Assata, et à réussi à sortir de prison et à être lu sur des nombreuses antennes radios grâce à l’avocate de Shakur. Il se trouve dans l’autobiographie d’Assata Shakur, texte formidable, malheureusement jamais traduit en français.

A mon peuple

Frères noirs, soeurs noires, je veux que vous sachiez que je vous aime et que j’espère que, quelque part dans votre cœur, vous avez de l’amour pour moi. Mon nom est Assata Shakur (nom d’esclave joanne chesimard), et je suis une révolutionnaire. Une révolutionnaire noire. Je veux dire par là que j’ai déclaré la guerre à toutes les forces qui ont violé nos femmes, castré nos hommes et affamé nos enfants.

J’ai déclaré la guerre aux riches qui profitent de notre pauvreté, aux politiciens qui nous mentent avec un grand sourire, et à tous les robots sans cœurs et sans cervelles qui les protègent, eux et leurs biens.

Je suis une révolutionnaire noire et, en tant que telle, je suis la cible de toute la colère, de toute la haine et de tous les mensonges dont l’amérike est capable. Comme elle le fait pour tous les autres révolutionnaires noires, l’amérike essaie de me lyncher.

Je suis une femme noire révolutionnaire, et j’ai donc été accusée de tous les crimes auxquels une femme est censée avoir participé. Quant aux crimes qui sont supposés n’avoir été commis que par des hommes, j’ai été accusé de les avoir planifiés. Ils ont mis des photos d’une personne censée être moi dans les bureaux de postes, dans les aéroports, dans les hôtels, dans les véhicules de police, dans les stations de métro, dans les banques, à la télévision et dans les journaux. Ils ont offert plus de 50 000 dollars de récompense pour ma capture et ils ont ordonné que je sois abattue à vue.

Je suis une révolutionnaire noire et donc, par définition, je fais partie de l’Armée de Libération Noire. Les porcs ont utilisé leurs chaînes de télévision et leurs journaux pour décrire l’Armée de Libération Noire comme une bande de criminel-le-s vicieux, brutaux et cinglé-e-s. Ils disent que nous sommes des gangsters et des nanas de gangsters et nous comparent à john dillinger et à ma barker. Pour quiconque est capable de penser, de voir et d’entendre, il doit être clair, il doit être absolument clair que nous sommes les victimes. Les victimes et non les criminel-le-s.

Ce qui doit aussi être clair pour nous à ce stade, c’est l’identité des vrais criminels. Nixon et des complices ont assassiné des milliers de frères et sœurs du Tiers Monde au Vietnam, au Cambodge, au Mozambique, en Angola et en Afrique du Sud. Le Watergate a prouvé que les dirigeants de ce pays sont une bande de menteurs criminels. Le président, deux procureurs, le directeur du fbi, le directeur de la cia, et la moitié du personnel de la maison blanche sont de mèche dans les crimes du Watergate.

Ils disent que nous sommes des meurtrier-e-s, mais nous n’avons pas assassiné près de deux-cent cinquante hommes, femmes et enfants noir-e-s désarmé-e-s, ou blessé des milliers d’autres dans des émeutes qu’ils ont déclenchés pendant les années soixante. Les gouvernants de ce pays ont toujours pensé que leurs possessions étaient plus importantes que nos vies. Ils disent que nous sommes des assassin-e-s, mais nous ne sommes par responsables des vingt-huit frères emprisonnés et des neuf otages tués à attica. Ils disent que nous sommes des tueurs et des tueuses, mais nous n’avons pas assassiné et blessé plus de trente étudiant-e-s désarmé-e-s à Jackson State [massacre durant lesquels les flics américains ont attaqué une manifestation dans un campus début 1970], ni d’ailleurs à Southern State [même chose].

Ils disent que nous sommes des meutrier-e-s, mais nous n’avons pas assassiné Martin Luther King, Emmett Till, Medgar Evers, Malcolm X, George Jackson, Nat Turner, James Chaney [militant noir assassiné par le Klu Klux Klan en 1964] et de nombreux autres. Nous n’avons pas assassiné d’une balle dans le dos Rita Lloyd (16 ans), Rickie Bodden (onze ans), et Clifford Glover (dix ans) [enfant abattu par un policier à New York à l’époque où Assata écrit le texte]. Ils disent que nous sommes des tueurs et des tueuses, mais nous ne contrôlons pas un système raciste et oppressif qui assassine systématiquement les Noir-e-s et les peuples du Tiers Monde, et nous ne sommes pas responsables du fonctionnement quotidien d’un tel système. Les Noir-e-s sont censé-e-s représenter à peu près quinze pour cents de la population amérikkkaine totale, mais plus de soixante pour cent des victimes de meurtres sont Noir-e-s. Pour chaque porc tué « en service », au moins quinze Noir-e-s sont assassiné-e-s par la police.

L’espérance de vie des Noir-e-s est bien plus basse que celle des blanc-he-s et ils essaient de toutes leurs forces de nous tuer avant même que nous naissions. Nous mourrons brûlé-e-s vives, piégé-e-s dans des logements conçus pour ne pas nous protéger du feu. Nos frères et sœurs meurent quotidiennement d’overdose d’héroïne et de méthadone. Nos bébés meurent d’empoisonnement au plomb. Des millions de Noir-e-s meurent à cause de soins médicaux indignes. Ce sont des meurtres. Et ils ont le cran de dire que nous sommes des meutrier-e-s.

Ils disent que nous sommes des kidnappeurs et des kidnappeuses, mais Frère Clark Squire (accusé, tout comme moi, d’avoir assassiné un officier de police du new jersey) a été kidnappé le 2 avril 1969 de notre communauté Noire, avec une rançon d’un million de dollars pour le procès des 21 Panthères de New York. Il a été, comme tou-te-s les autres accusé-e-s,  acquitté le 13 mai 1971 de toutes les 156 charges qui pesaient contre lui, par un jury qui a mis moins de deux heures à délibérer. Frère Squire était innocent, mais il a été enlevé à sa communauté et à sa famille. On lui a volé deux années de sa vie, mais ils nous traitent de kidnappeurs et de kidnappeuses. Nous n’avons pas enlevé les milliers de Frères et de Soeurs détenu-e-s dans les camps de concentration de l’amérike. 90% de la population carcérale de ce pays est Noire ou vient du Tiers Monde et ne peut pas se payer d’avocat ni régler une caution.

Ils disent que nous sommes des voleuses et des bandits. Ils disent que nous volons. Mais nous n’avons pas volé au continent africain des millions de Noir-e-s. On nous a volé notre langue, nos Dieux, notre culture, notre dignité humaine, notre travail et nos vies. Ils nous traitent de voleurs, mais nous ne mettons pas des milliards dans les poches chaque année grâce à l’évasion fiscale, à la manipulation illégale des prix, au détournement de fonds, aux arnaques à la consommation, aux pots-de-vin, à la corruption, à la fraude. Ils nous traitent de bandits, mais la plupart des Noir-e-s se font voler chaque fois qu’illes encaissent leur paie. Nous sommes arnaqué-e-s chaque fois que nous mettons les pieds dans un magasin dans nos quartiers. Et chaque fois que nous payons nos loyers, le propriétaire nous enfonce un fusil dans les côtes.

Ils disent que nous sommes des voleuses, mais nous n’avons pas assassiné et pillé des millions d’Indien-ne-s en les privant de leurs terres natales pour ensuite décider que nous étions des pionniers. Ils nous traitent de bandits, mais nous ne pillons pas les ressources naturelles de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique Latine tout en privant les peuples de ces pays de leur liberté et en les laissant affamé-e-s et malades. Les gouvernants de ce pays et leurs domestiques ont commis certains des crimes les plus brutaux et les plus vicieux de l’histoire. Ce sont eux les bandits. Ce sont eux les assassins. Ils doivent être traités en tant que tels. Ces cinglés n’ont pas le droit de me juger moi, Clark, ou n’importe quelle autre Noir-e passant au procès en amérike. Ce sont des Noir-e-s qui doivent, inexorablement, déterminer nos destinées.

Dans l’histoire, chaque révolution a été accomplie avec des actes, même si les mots sont nécessaires. Nous devons créer des boucliers pour nous protéger et des lances pour transpercer nos ennemis. Les Noir-e-s doivent apprendre à lutter en luttant. Nous devons apprendre de nos erreurs.

Je souhaite m’excuser auprès de vous, mes frères et sœurs Noir-e-s, de m’être trouvée sur cet échangeur du new jersey. J’aurais dû être plus futée. Cet échangeur est un checkpoint où les Noir-e-s sont arrêté-e-s, fouillé-e-s, harcelé-e-s et agressé-e-s. Les révolutionnaires ne doivent jamais être trop pressé-e-s ou prendre des décisions hâtives. Celui qui court dans la nuit tombe à de nombreuses reprises.

Chaque fois qu’un-e combattant-te de la liberté noir-e est tué ou capturé, les porcs essaient de créer l’impression qu’ils ont écrasé le mouvement, qu’ils ont détruit nos forces, et qu’ils ont maté la Révolution Noire. Les porcs essaient de donner l’impression que cinq ou dix combattant-e-s sont responsables de toutes les actions révolutionnaires qui se produisent en amérike. C’est ridicule. C’est absurde. Les révolutionnaires Noir-e-s ne tombent pas du ciel. Nous sommes créé-e-s par nos conditions. Nous sommes forgé-e-s par nos oppressions. Nous sommes produit-e-s en masse dans les rues des ghettos, dans des endroits comme attica, san quentin, bedford hills, leavenworth, ou sing sing. Ils nous fabriquent par milliers. Beaucoup d’anciens soldats Noirs au chômage et de mères ayant besoin de l’assistance publique nous rejoignent. L’ALN est constituée de frères et soeurs tou-te-s différent-e-s, qui sont fatigué-e-s de souffrir sans rien faire.

Une Armée de Libération Noire existe et existera toujours tant que chaque homme, femme et enfant Noir-e ne sera pas libre. Le rôle principal de l’Armée de Libération Noire est actuellement de créer des modèles, de se battre pour la liberté Noire et de préparer l’avenir. Nous devons nous défendre et ne laisser personne nous manquer de respect. Nous devons arracher notre libération en utilisant tous les moyens à notre disposition.

Il est de notre devoir de nous battre pour notre liberté.
Il est de notre devoir de vaincre.
Nous devons nous aimer et nous soutenir.
Nous n’avons rien d’autre à perdre que nos chaînes:

Dans l’esprit de:

Ronald Carter
William Christmas
Mark Clark [membre du BPP tué par la police aux côté de Fred Hampton en 1969]
Mark Essex [membre du BPP ayant lancé un assaut sur un hôtel newyorkais en janvier 1973 après avoir tué plusieurs policiers fin 1972]
Frank ‘Heavy’ Fields
Woodie Changa Olugbala Green
Fred Hampton
Lil’ Bobby Hutton [un des premiers membres du BPP]
George Jackson
Jonathan Jackson [le frère de George Jackson, tué alors qu’il essayait de libérer son frère]
James McClain [complice de McClain durant la tentative de libération de George Jackson]
Harold Russel
Zayd Malik Shakur [camarade d’Assata à l’ALN, tué au moment de l’arrestation d’Assata]
Anthony Kumu Olugbala White

Nous devons continuer le combat !

[mise à jour (27/10/13)] Le collectif « Angles morts » vient de publier une traduction d’un entretien très intéressant avec Assata:Assata Shakur parle depuis l’exil


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