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J’aime pas Spinoza

Posted: février 26th, 2010 | Author: | Filed under: Murmures | 10 Comments »

Non, c’est vrai, j’aime pas Spinoza. Bon, là comme ça, ça parait pas fascinant, le fait que j’aime pas un philosophe-artisan du XVIIème siècle. D’autant plus, qu’à priori, il a une histoire plutôt intéressante. C’est un juif un peu hérétique qui s’est fait cherem (l’équivalent d’une excommunication) par la communauté juive de son époque parce qu’il tenait des positions assez particulières en terme religieux. Du fait de cette exclusion, il s’est retrouvé à passer un gros moment de sa vie à sympathiser et à causer philosophie avec des groupes de dissidents religieux chrétiens, nombreux en Hollande à l’époque. Il n’a jamais été professeur de philosophie dans une grosse université, et a gagné sa vie en fabriquant des appareils optiques. Un type un peu particulier, suffisament atypique pour attirer la curiosité.

En fait, sans que ça soit trop surprenant, c’est pas tant Spinoza qui je n’aime pas trop, qu’un truc que j’appellerais le spinozisme. C’est pas très joli comme mot, et je ne prétend pas capturer l’essence de la philosophie de Spinoza, mais ce que je décide d’appeller spinozisme, c’est une manière d’articuler certaines choses qu’on retrouve chez beaucoup de gens qui théorisent. C’est de ça que je vais essayer de parler.

Ce spinozisme, on le trouve chez des philosophes reconnus et labellisés "penseurs de gauche", genre Deleuze, Onfray (oui, l’intello de Siné Hebdo), Negri (parce que je peux pas écrire un texte sans parler d’un ex-autonome italien) ou Benasayag (parce qu’il faut bien parler de gens soutenant des vilain-e-s terroristes). On trouve ça aussi chez des têtes à claques médiatiques, genre Philippe Val. De manière peut-être un peu plus surprenante, on trouve ça aussi chez Tiqqun. En fait, en ce moment, Spinoza, c’est plutôt à la mode et tout le monde semble d’accord pour trouver que Spinoza, c’est Génial (avec un grand G).

L’oeuvre principale de Spinoza, c’est son Ethique (traduction française à partir du latin disponible ici), bouquin pas très gros qui a été commenté et analysé une quantité assez incroyable de fois dans l’histoire de la philosophie, et qui fascine pleins de gens.

Une éthique, ça vient de la philosophie grecque. La question centrale de l’éthique, c’est celle de la vie bonne. Bonne dans les deux sens qu’on peut envisager: bonne en tant qu’agréable, en tant que vie qui nous procure du bonheur, et bonne en tant que vie juste, vie respectueuse de soi et des autres, compatible avec la vie en société. Toutes les éthiques philosophiques (depuis Socrate et Platon qui ont popularisé ce sport) ont pour but de permettre de vivre avec autant de bonheur possible tout en respectant le monde qui nous entoure, tout ça passant par la connaissance. En connaissant le monde et ses règles et en se connaissant soi-même, on peut atteindre le bonheur (dans son Ethique, Spinoza parle de "béatitude") tout en contribuant à préserver et à améliorer le monde. L’idée des éthiques philosophiques, c’est ça: concilier bonheur personnel et respect des lois (divines, naturelles, sociale, …) qui nous sont extérieures, à l’aide de la connaissance.

Mais l’Ethique de Spinoza n’est pas juste une éthique, c’est une éthique dont le sous-titre nous apprend qu’elle est "démontrée suivant l’ordre géométrique".  L’ordre géométrique, à l’époque, ça fait référence à la technique des démonstrations mathématiques formelles qui est en train de naître. A l’époque est en train de se construire la méthode de démonstration mathématique qu’on utilise encore maintenant: on part de choses qu’on considère comme acquises, évidentes, qu’on appelle les "axiomes", et à partir de là, on démontre d’autres "propositions", en suivant un raisonnement clairement exposé et logique: "si je pars du principe que ça c’est vrai, alors je peux en déduire ça et ça". A partir du moment où on accepte les axiomes, on doit accepter les proposition qui en découlent, ou alors trouver une erreur dans le raisonnement. Toute l’Ethique fonctionne comme ça, commençant pour annoncer ses points de départs, ses axiomes, avant d’en tirer des proposition qui s’enchaîne les unes les autres, jusqu’à la conclusion recherchée. L’Ethique, c’est une sorte de mathématique humaine. C’est cette forme, avec des "propositions" numérotées et déduites les unes des autres, que Tiqqun a repris dans plusieurs textes, Introduction à la guerre civile, par exemple.

Du point de vue critique, cette forme a un avantage: l’enchaînement des arguments, les chaînes logiques qui s’entremêlent dans le texte, en bref la structure du texte, tout ça est lisible facilement, de manière transparente. Pour critiquer une proposition, il suffit de remonter la chaîne de déductions ayant amené à cette proposition, jusqu’à trouver un raisonnement qui ne fonctionne pas ou un axiome avec lequel on est pas d’accord. Pas besoin de s’embêter à devoir reconstituer l’ordre du raisonnement, tout est apparent et clairement exposé. A l’usage, en décortiquant ce texte et en essayant d’y trouver les élements qui ne me conviennent pas, c’est assez pratique.

L’idée centrale de cette Ethique de Spinoza, c’est de transformer nos passions en actions. Les passions, c’est ce qui nous touche, nous "affecte" (pour employer les mots du texte) sans qu’on en soit à l’origine. Tout le mouvement de l’Ethique est de montrer comment on peut arriver par la réflexion, par l’accroissement de notre compréhension de l’univers, à l’état de béatitude où nous sommes à l’origine de tout ce qui nous affecte, sans être plus jamais traversé par des passions qui nous sont extérieures et qu’on ne contrôle pas. Spinoza dit (de manière assez classique pour un philosophe) que, dès lors qu’on comprend une passion, qu’on voit ce qui la cause et pourquoi elle nous affecte, on peut exercer un pouvoir sur elle, la contenir. L’avantage que ce pouvoir sur nos passions nous donne, c’est d’éviter les passions qui nous sont désagréables pour pouvoir ne plus ressentir que ce qui nous fait du bien. Le chemin vertueux est celui-ci: plus on comprend le monde -> plus on comprend nos passions -> plus on peut exercer un pouvoir sur elles -> plus on peut échapper à celle qui sont déplaisantes -> plus on va ne ressentir que sérénité et bonheur.

Dans cette idée, le postulat essentiel est qu’il y a des passions qui sont mauvaises, déplaisantes et peu souhaitables dans l’absolu: ce sont des passions "tristes", par opposition aux bonnes passions, les passions "joyeuses". Quelle est la différence entre les deux types de passions ? Les passions tristes sont des passions qui "diminuent la puissance d’agir" alors que les passions joyeuses "augmentent" cette même "puissance d’agir". "Puissance d’agir" ? "Agir", c’est être cause d’un effet (en spinozien dans le texte). La "puissance d’agir", c’est donc notre capacité à être cause de quelque chose, notre capacité à produire des effets. Quand notre puissance d’agir augmente, c’est qu’on devient plus apte à être cause de choses. Notre puissance d’agir est donc lié aux différentes manières plus ou moins efficaces qu’on a de transformer notre environnement. Augmenter sa puissance d’agir, c’est trouver des leviers sur le monde, leviers dependant de notre situation concrète mais aussi de qui on est. En effet, les voies de l’augmentation de la puissance d’agir sont différentes pour chacun-e-s, tout ne marche pas pareil pour tout le monde, et la puissance d’agir est donc profondément liée à ce qu’on est, à notre essence, à notre "être", pour parler Spinoza.

A ce stade, on trouve une des fondations essentielles de l’Ethique: "Toute chose […] s’efforce de persévérer dans son être" (partie III, proposition VI). Toute cette question de la puissance d’agir est liée à cette proposition. Agir, c’est être cause, c’est transformer le monde de manière conforme à ce qu’est notre essence. Augmenter sa puissance d’agir, c’est se donner la possibilité de plus grandes transformations correspondant à cette essence, et donc déployer cette même essence, étendre son influence sur le monde. Or, cette essence, elle, ne change pas, puisque chacun-e "persévère" dans son être. La puissance d’agir, c’est donc la capacité de chacun-e de déployer son être, de transformer le monde à son image, de manière conforme à son essence, éternelle et immuable (cette essence éternelle et immuable étant, assez logiquement pour l’époque, l’âme). Spinoza a, notamment, fait scandale à son époque pour avoir suggéré cette idée que chacun-e pouvait se rapprocher de Dieu par la connaissance et atteindre cette béatitude divine où le monde n’a plus de secret, et où donc plus rien n’est subi, et tout est issu de notre volonté propre.

Au coeur de l’éthique de Spinoza, il y a cette idée que ce qui nous est le plus fondamental en tant qu’humain-e est une essence immuable, et que le bonheur et la liberté humaine consistent à déployer toujours plus cette essence immuable, à "accroître notre puissance". Etre passif, c’est permettre à des choses ne faisant pas partie de cette essence de venir nous altérer, c’est donc mauvais. A l’inverse, être actif, c’est extérioriser, exprimer cette essence.

Même si cette idée fondamentale n’est pas notée dans le texte en tant qu’axiome, c’est un postulat utilisée tout au long de l’Ethique. Par exemple, pour démontrer la proposition VI dont j’ai parlé plus haut, Spinoza se fonde sur une proposition démontrée juste auparavant, la proposition IV. La proposition IV ? "Aucune chose ne peut être détruite que par une cause extérieure". Comment est elle démontrée ? Cette proposition est "évidente par elle-même". C’est un des points de départ fondamentaux de Spinoza: les essences sont fixes une bonne fois pour toutes, inchangées pour toute éternité. On ne trouve pas chez Spinoza l’idée d’une évolution interne, d’une dynamique intérieure à chaque chose qui amène cette chose à changer au fil du temps. Le contraste avec l’idée de rythme dont j’ai essayé de parler il y a quelques temps chez Marx ou Hegel est fort. Là où Marx (par exemple) va mettre une grand insistance sur les dynamiques internes qui vont amener des transformations, Spinoza voit ces mêmes processus de transformations comme le fruit d’une influence extérieure. Agir chez Marx, c’est un travail de transformation intérieur, alors que pour Spinoza, c’est un processus de création, d’extériorisation, d’expression (Deleuze met l’idée "d’expression" au centre d’un de ses bouquins sur Spinoza). 

Ce que j’appelle "spinozisme", c’est ça. L’insistance sur la création, sur "l’accroissement de puissance" (comme dirait Tiqqun), l’expression et l’expressivité, l’idée de faire ressortir des potentiels internes insoupçonnés. Ce que je vois en commun chez tous les gens que j’ai cité plus haut, c’est cette insistance sur tout ce qui s’extériorise, sur ce qui est "joyeux", par opposition aux mauvaises choses "tristes". Les formes-de-vie tiqquniennes dont j’ai parlé dans d’autres notes, ça me semble une version un peu retravaillée de la même idée, avec le combat épique entre les belles formes-de-vie joyeuses, pures et rebelles qui laissent éclore leur liberté créatrice face au méchant Empire repressif qui ne cherche qu’à les confiner.

Par contraste, je crois qu’être triste et mélancolique, rentrer en soi si nécessaire, et même abandonner des morceaux de soi quand on ne peut plus les tenir, ce n’est ni mal ni bien, juste nécessaire. De la même manière, je ne crois pas qu’"agir" et "subir" soient des opposés, ni qu’il faille transformer les passions en actions pour maîtriser ce qui m’est extérieur. Je ne veux pas forcément "augmenter ma puissance d’agir", j’ai même parfois envie d’être traversé par les gens et les évènements, et donc d’être agi.

Voilà pourquoi je n’aime pas Spinoza, même s’il m’a fallu écrire ça pour y voir clair 🙂

Au fait, comme d’habitude, si tout ça vous paraît idiot/mal écrit/pas clair ou même (on ne sait jamais) si vous avez aimé, n’hésitez pas à commenter.


10 Comments on “J’aime pas Spinoza”

  1. 1 amador said at 19 h 54 min on mars 8th, 2010:

    A mí no me gusta Spinoza

    No, es verdad, a mí no me gusta Spinoza. Bueno, dicho así, tampoco es que resulte muy fascinante que no me guste un filósofo-artesano del siglo XVII. Tanto más cuanto que, a priori, tiene una historia bastante interesante. Fue un judío algo herético que se hizo herem (el equivalente de una excomunión) por la comunidad judía de su época porque tenía posiciones muy particulares en términos religiosos. Debido a su exclusión, Spinoza se encontró durante muchos momentos de su vida simpatizando y haciendo causa filosófica con disidentes religiosos cristianos, muy numerosos en la Holanda de la época. Nunca fue profesor de filosofía en una gran universidad y se ganó la vida fabricando lentes ópticas. Un tipo algo particular, suficientemente atípico para atraer la curiosidad.
    De hecho, sin que esto sea muy sorprendente, no es tanto Spinoza quien no me gusta, sino algo que llamaría el espinozismo. No es una palabra muy bonita y tampoco pretendo aferrar con ella la esencia de la filosofía de Spinoza, pero lo que he decidido llamar espinozismo es una manera de articular ciertas cosas que se encuentra en mucha de la gente que teoriza hoy. Es de eso de lo que trataré de hablar.
    Se puede reconocer el espinozismo en filosófos claramente etiquetados “a la izquierda”, como Deleuze, Michel Onfray, Toni Negri (porque no puedo escribir un texto sin hablar de un ex-autónomo italiano) o Benasayag (porque hay que hablar bien de la gente que apoya a los “malvados terroristas”). También encontramos espinozismo en cabezas hiper-mediáticas como Philippe Val. De manera quizá algo más sorprendente, lo encontramos también en Tiqqun. De hecho, en este momento, Spinoza está bastante de moda y todo el mundo parece de acuerdo en que es Genial (con una G mayúscula).
    La obra principal de Spinoza es su Ética, un libro no muy grueso que ha sido comentado y analizado una cantidad increíble de veces a lo largo de la historia de la filosofía y que fascina a muchísima gente.
    La ética, eso viene de la filosofía griega. La cuestión central de la ética es la vida buena. Buena en los dos sentidos que podemos considerar: buena en tanto que agradable, en tanto que vida que nos procura felicidad; y también buena en tanto que vida justa, vida respetuosa de sí y de los otros, compatible con la vida en sociedad. El objetivo de todas las éticas filosóficas (desde que Sócrates y Platón popularizaran ese deporte) ha sido permitir la vida más feliz posible, respetando el mundo que nos rodea y todo ello pasando por el conocimiento. Conociendo el mundo y sus reglas y conociéndose uno mismo, podremos alcanzar la felicidad (Spinoza habla de “beatitud” en su Ética) contribuyendo de paso a preservar y mejorar el mundo. La idea de las éticas filosóficas es ésa: conciliar la felicidad personal y el respeto de las leyes (divinas, naturales, sociales…) que nos son exteriores, por medio del conocimiento.
    Pero la Ética de Spinoza no es sólo una ética, sino una ética cuyo subtítulo nos explica que está “demostrada siguiendo el orden geométrico”. En la época, el orden geométrico hacía referencia a la técnica de las demostraciones matemáticas formales en estado naciente. Lo que se estaba construyendo entonces es el método de demostración matemática que usamos todavía hoy, en el que partimos de cosas consideradas ya dadas, evidentes, a las que llamamos “axiomas”, y a partir de ahí demostramos otras “proposiciones” siguiendo un razonamiento claramente expuesto y lógico. “Si parto del principio de que esto es verdadero, entonces puedo deducir aquello y lo otro”. En el momento en que aceptemos los axiomas, debemos aceptar las proposiciones que se derivan de ellos, o en todo caso encontrar un error en el razonamiento. Toda la Ética funciona así, comienza exponiendo sus puntos de partida, sus axiomas, antes de extraer de ellos las proposiciones que se van encadenando unas con otras, hasta la conclusión buscada. La Ética es una especie de matemática humana. Es esa manera de proceder, con “proposiciones” numeradas y deducidas unas de las otras, la que Tiqqun ha retomado en varios textos, como la Introducción a la guerra civil, por ejemplo.
    Desde el punto de vista crítico, esa manera tiene una ventaja: el encadenamiento de argumentos, las cadenas lógicas que se entreveran en el texto, en definitiva la estructura del texto, resulta legible muy fácilmente, de forma transparente. Para criticar una proposición, basta remontar la cadena de deducciones que nos ha llevado hasta ella, hasta encontrar un razonamiento que no funciona o un axioma con el que no estemos de acuerdo. No hay necesidad de molestarse tratando de reconstruir el orden del razonamiento, todo está claramente expuesto y a la vista. En el uso es algo muy práctico, desmenuzo el texto y trato de encontrar ahí los elementos que no me convienen.
    La idea central de la Ética de Spinoza es transformar nuestras pasiones en acciones. Las pasiones son lo que nos toca, lo que nos “afecta” (por decirlo con las palabras del texto) sin que uno esté en el origen. Todo el movimiento de la Ética es mostrar cómo podemos alcanzar mediante la reflexión, mediante el crecimiento de nuestra comprensión del universo, al estado de beatitud donde estaremos en el origen de todo lo que nos afecta, sin ser jamás atravesados por pasiones que nos son exteriores o que no controlamos. Spinoza dice, de forma muy clásica para un filósofo, que desde el momento en que comprendemos una pasión, lo que la causa y porqué nos afecta, podemos ejercer poder sobre ella, contenerla. La ventaja que nos da ese poder sobre nuestras pasiones es evitar las pasiones que nos son desagradables y así poder no experimentar más que pasiones que nos hacen bien. El camino virtuoso es el siguiente: cuanto más comprendemos el mundo, más comprendemos nuestras pasiones, más poder podemos ejercer sobre ellas, más podemos escapar a las que nos desagradan, más podemos sentir solamente serenidad y felicidad.
    En esa idea, el postulado esencial es que hay pasiones que son malas, desagradables y poco deseables en abstracto: son las pasiones “tristes” por oposición a las buenas pasiones, las pasiones “alegres”. ¿Cuál es la diferencia entre los dos tipos de pasiones? Las pasiones tristes son pasiones que “disminuyen la potencia de actuar”, mientras que las pasiones alegres “aumentan” esa misma “potencia de actuar”. ¿“Potencia de actuar”? “Actuar” es, en el texto de Spinoza, ser causa de un efecto. Cuando nuestra potencia de actuar aumenta, significa que nos volvemos más aptos para ser causa de cosas. Por tanto, nuestra potencia de actuar está vinculada a las diferentes maneras que tenemos de transformar nuestro medio ambiente. Aumentar la potencia de actuar es encontrar palancas sobre el mundo, palancas que dependen de nuestra situación concreta pero también de quiénes somos. En efecto, las vías de aumento de la potencia de actuar son diferentes para cada cual, las cosas no funcionan igual para todos, y la potencia de actuar está en ese sentido muy ligada a lo que somos, a nuestra esencia, a nuestro “ser”, por hablar como Spinoza.
    En este punto, encontramos una de las bases esenciales de la Ética: “Toda cosa (…) se esfuerza por perseverar en su ser” (parte III, proposición IV). Toda esta cuestión de la potencia de actuar está ligada a esta proposición. Actuar es ser causa, transformar el mundo de manera conforme a lo que es nuestra esencia. Aumentar la potencia de actuar es darse la posibilidad de transformaciones más grandes que correspondan a esa esencia y, por tanto, desplegar esa esencia, extender su influencia sobre el mundo. Pero esa esencia no cambia, porque cada uno “persevera” en su ser. La potencia de actuar es la capacidad de cada uno de desplegar su ser, de transformar el mundo a su imagen, de manera conforme a su esencia, eterna e inmutable (esa esencial eterna e inmutable es, de manera muy lógica para la época, el alma). Spinoza provocó el escándalo en su época por haber sugerido esta idea de que cada uno podía acercarse a Dios mediante el conocimiento y alcanzar esa beatitud divina donde el mundo ya no tiene más secreto, donde ya no padecemos nada porque todo emana de nuestra voluntad.
    En el corazón mismo de la Ética de Spinoza está la idea de que lo que nos es más propio en tanto que humanos es una esencia inmutable, y que la felicidad y la libertad humana consiste en desplegar más y más esa esencia inmutable, “acrecentando nuestra potencia”. Ser pasivo, es decir permitir que las cosas que no convienen a nuestra esencia nos alteren, es por tanto malo. Por el contrario, ser activo es exteriorizar, expresar nuestra esencia.
    Aunque esta idea fundamental no está apuntada en el texto como axioma, es un postulado utilizado a lo largo y ancho de la Ética. Por ejemplo, para demostrar la proposición VI de la que he hablado más arriba, Spinoza se basa sobre una proposición demostrada anteriormente, la proposición IV. Esto es, “ninguna cosa puede ser destruida más que por una causa exterior”. ¿Cómo se demuestra? Esta proposición es “evidente por sí misma”. Es uno de los puntos de partida fundamentales de Spinoza: las esencias están fijas de una vez por todas, inalterables por toda la eternidad. No encontramos en Spinoza la idea de una evolución interna, de una dinámica interior a cada cosa que la conduce a cambiar con el curso del tiempo. El contraste con la idea de ritmo, de la que traté de hablar hace ya tiempo a partir de Marz y Hegel, es muy fuerte. Allí donde Marx (por ejemplo) pone mucho énfasis sobre las dinámicas internas que van a inducir transformaciones, Spinoza ve esos mismos procesos de transformación como el fruto de una influencia exterior. Actuar, según Marx, es un trabajo de transformación interior, mientras que para Spinoza es un proceso de creación, de exteriorización, de expresión (Deleuze pone la idea de “expresión” en el centro de uno de sus libros sobre Spinoza).
    Lo que he llamado espinozismo es esto. La insistencia sobre la creación, sobre el “acrecentamiento de la potencia” (como diría Tiqqun), la expresión y la expresividad, la idea de hacer aflorar potenciales internos insospechados. Lo que veo en común en toda la gente que he citado al comienzo es la insistencia sobre todo lo que se exterioriza, lo que es “alegre” , por oposición a las cosas malas “tristes”. Las formas-de-vida tiqqunianas, de las que he hablado en otras notas, me parecen una versión algo retrabajada de la misma idea, con el combate épico entre las hermosas formas-de-vida alegres, puras y rebeldes que dejan explotar su libertad creativa frente al malvado Imperio represivo que no busca más que confinarlas.
    Por contraste, yo creo que estar triste o melancólico, volver a uno mismo, e incluso abandonar pedazos de uno mismo cuando ya no los podemos sostener, no es ni bueno ni malo, sino simplemente necesario. De la misma manera, no creo que “actuar” y “padecer” sean opuestos, ni que haya que transformar las pasiones en acciones para dominar lo que me es exterior. No quiero necesariamente “aumentar mi potencia de acción”, de hecho tengo más bien deseos de ser atravesado por la gente y los acontecimientos, y por tanto ser actuado.
    He aquí porqué no me gusta Spinoza, aunque haya tenido que escribir esto para verlo claro 🙂

  2. 2 amador said at 19 h 57 min on mars 8th, 2010:

    para escribirte, si no puedo pedir a un amigo que me traduzca al francés.
    (Tu comprend peut-être l’espagnol, pour t’ecrire? Si non je peux demander aide a un ami)

  3. 3 murmures said at 22 h 19 min on mars 10th, 2010:

    malheureusement non, je ne parle pas un mot d’espagnol. toujours intéressé par l’idée d’une discussion par contre, et j’ai validé la traduction du texte en commentaire. merci 🙂

  4. 4 amador said at 18 h 32 min on mars 15th, 2010:

    Depuis longtemps je lis ton blog avec bien d’intérêt. J’aime bien ton travail de “bricolage” entre plusieurs traditions de pensée, entre plusieurs questions et des expériences de vie différentes, tout ça bien mêlé. De plus, la structure du blog permet de suivre ce travail “en processus”: de voir pas seulement des résultats, mais des morceaux bruts, des doutes, des pensées personnelles et des silences… D’exposer le code-source (autobiographique, intellectuelle) d’une pensée, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Et aujourd’hui qu’on l’essaie de tout nous vendre -en termes de marchandises politiques ou idéologiques- il me semble d’être un signe d’authentique de faire un travail qui est au premier chef pour soi même, ne cherchant pas à faire convaincre avec avidité, à gagner de la visibilité, à faire un “appel”, etc. Des murmures…

    Je me suis décidé à t’écrire au fil de ce post concret sur Spinoza, ca il se croise avec des soucis, idées ou bien des intuitions que j’étais maintenant en train d’élaborer moi-même.

    Qu’est-ce qui est en jeu sous le nom de Spinoza ou, pour mieux dire, de “spinozisme” ?

    D’après moi et beaucoup d’autres copains et compagnes à Madrid, Spinoza (et le spinozisme) fut à un moment donné une lecture clef pour penser des sorties hors du ghetto résistentialiste des centres sociaux occupés (squats). Ce ghetto s’articulait au tour de principes de nature idéolo-morale (visant au devoir-être des choses) et, par conséquent ?, au tour d’une politique “anti” (anticapitaliste, antifasciste, antimilitariste…). L’autonomie qu’on promouvait était une “autonomie face à” qu’une autonomie “de” ou “pour”, les frontières par rapport au “dehors” (non-militant, non-autonome) se dessinaient au trait gros, ce qui nous condamnait au isolement (cet isolement on l’a ressenti plus particulièrement lorsque la répression s’apaisait). On trouve chez le spinozisme beaucoup des pistes pour penser une autre vie politique : fondée sur la puissance et la construction plutôt que sur le ressentiment et la réaction, et intéressée à un concept stratégique/immanent d’autonomie que en la seule auto-affirmation ideologique, plus ouverte et réceptive par rapport aux autres énergies créatrices –et pas seulement à celles qu’on juge d’être pareilles sur le niveau idéologique, etc.

    Et pourtant, effectivement, comme tu dises dans le dernier paragraphe, le spinozisme finit par devenir un espace politique-idéologique oú il n’y a pas à-peu-près que de “matériaux lumineux” : là on peut bien trouver le volontarisme de l’action, le discours, l’énergie activiste, mais non pas la tristesse, la fatigue, les crises, les moments de reflux. Le spinozisme offre un lieu pour penser la création, l’expression, la exteriorisation, mais non ces autres puissances plus sombres et ces replis de la subjectivité qui constituent, eux aussi, notre vie : l’intériorité, la malaise, le silence, la quiétude, l’invisible… C’est comme ça que vie et politique à nouveau se dissocient, n’entrant dans la politique que la moitié de la vie.

    S’il y a quelque chose qui me manque dans ton post c’est peut être ceci : bien qu’en indiquant tout ce qui est mis dehors par le spinozisme, tu ne dises pas comment tout ça pourrait apporter des matériaux pour penser (à nouveau) une autre vie politique. C’est à dire, le fait qu’éprouver de la «tristesse» ou de la «mélancolie» pourrait être, pas seulement “nécessaire” du point de vue vital (là je suis bien d’accord), mais pourrait poser aussi une occasion pour penser comment « politiser la tristesse », faire la politique avec ça.

    Je vais essayer de m’expliquer un peu avec un exemple récent. Après les attentats du 11 Mars 2004 à Madrid il y eut une formidable réaction populaire qui a prises les rues pour exprimer le deuil et la proteste. Cette réaction est réussie à expulser le Partido Popular du pouvoir et que le 11-M ne devienne pas encore un 11-S. Je crois que si on a été capables à cet occasion là d’exercer un effet sur la réalité ce fut justement dans la mesure où on venait d’être affectés par elle au premier chef (par son torrent de douleur, mort, indétermination aussi…). Nous sommes réussis à produire des effets réels car nous nous sommes laissés traverser par des passions extérieures hors de notre control –et parce qu’on a pris le risque d’y «être mal». On a tourné l’impuissance en puissance, mais d’abord on a accueilli l’impuissance. On a agit, et on a produit des effets, grâce à avoir étés peut-être des «mauvaises spinozistes» -en nous ouvrant tout d’abord à «subir». La capacité d’être affecté est elle aussi le produit d’un travail actif sur nous-mêmes.

    Finalement, je me demande s’il n’aurait un Spinoza anti-spinoziste, un Deleuze anti-spinoziste (je pense à celui qui écrit sur la figure de “l’épuisé” en Beckett, ou à celui qui voit de la puissance dans le vide pour bien secouer les clichés qui formatent notre perception), un Tiqqun anti-spinoziste (celui qui trouve de la puissance dans la figure du Bloom), etc.

  5. 5 amador said at 10 h 36 min on mars 16th, 2010:

    Leo con interés tu blog desde hace tiempo. Me gusta tu trabajo de “bricolaje” entre distintas tradiciones de pensamiento, entre distintos problemas y experiencias vitales. todo ello junto y revuelto. Además, la forma del blog permite seguir ese trabajo “en proceso”: ver no sólo “resultados”, sino los fragmentos en bruto, las dudas, las reflexiones en primera persona, los silencios… Exponer el código-fuente de un pensamiento (autobiográfico, intelectual): me interesa mucho eso. Y hoy que nos quieren vender tantas motos -políticas o ideológicas- me parece un signo de autenticidad hacer un trabajo que en primer lugar es para uno mismo, que no busca ansiosamente convencer, alcanzar visibilidad, hacer un “llamamiento”, etc. Sólo murmullos.

    Me animo a escribirte al hilo de este post concreto sobre Spinoza porque se cruza con preocupaciones, ideas o intuiciones que yo mismo trataba ahora de elaborar.

    ¿Qué está en juego bajo el nombre de Spinoza o, mejor dicho, de “espinozismo”?

    Para mi y para muchos otros amigos y compañeros en Madrid, creo que Spinoza (y el espinozismo) fue en cierto momento una lectura clave para pensar salidas fuera del gheto resistencialista de los centros sociales okupados. Ese gheto se articulaba en torno a principios de tipo ideológico-moral (sobre el deber-ser de las cosas) y, en consecuencia, en torno a una política “anti” (anticapitalista, antifascista, antimilitarista…). La autonomía que promovíamos era más “autonomía frente a” que autonomía “de” o “para”, las fronteras con respecto al “afuera” (no militante, no autónomo) se dibujaban con trazo muy grueso, con el aislamiento consiguiente (sentido especialmente cuando caía la represión). En el espinozismo encontramos muchas pistas para pensar otra vida política: más basada en la potencia y la construcción que en el resentimiento y la reacción, más interesada en un concepto estratégico/inmanente de autonomía que en la mera autoafirmación principista, más abierta e incluyente hacia otras energías creativas, no sólo las afines ideológicamente.

    Y sin embargo, efectivamente, como dices en el último párrafo, el espinozismo acaba por resultar un espacio político-ideológico que contiene demasiado exclusivamente “materiales luminosos”: en él cabe el voluntarismo de la acción, el discurso, la energía activista, pero no la tristeza, el cansancio, las crisis, los momentos bajos. Hay lugar para pensar la creación, la expresión, la exterioridad, pero no otras potencias más turbias y repliegues de la subjetividad que también constituyen nuestra vida: la interioridad, el malestar, el silencio, la quietud, lo invisible… Así que (de nuevo) vida y política se disocian y en la política sólo entra media vida.

    Lo que tal vez yo echo de menos en tu post es que señalas lo que queda fuera del espinozismo, pero no dices cómo todo eso podría aportar materiales para pensar (otra vez) otra vida política. Es decir, que sentir “tristeza o melancolía” no sólo pudiera ser “necesario” vitalmente, lo que yo también creo, sino que también podemos « politizar la tristeza ». Me explico con un ejemplo. Tras el atentado del 11-M en Madrid hubo una formidable reacción de la ciudadanía que tomó las calles para expresar duelo y protesta. Esa reacción logró desalojar al Partido Popular del poder y que el 11-M no se convirtiese en otro 11-S. Creo que si fuimos capaces de afectar la realidad fue precisamente en la medida en que habíamos sido afectados antes por ella (con su caudal de dolor, muerte, indeterminación…). Pudimos producir efectos porque nos dejamos atravesar por pasiones exteriores y que no controlábamos, porque nos arriesgamos a “estar mal”. Giramos la impotencia en potencia, pero primero acogimos la impotencia. Actuamos y produjimos efectos porque fuimos « malos espinozistas » y nos abrimos primero a « padecer ». La capacidad de ser afectado también es obra de un trabajo activo sobre nosotros mismos.

    Finalmente, me pregunto si no habrá un Spinoza-antiespinozista, un Deleuze anti-espinozista (el que escribe sobre la figura del “agotado” en Beckett o ve potencia en el vacío para sacudir los clichés que formatean nuestra percepción), un Tiqqun anti-espinozista (el que encuentra potencia en la figura Bloom), etc.

  6. 6 murmures said at 10 h 54 min on mars 17th, 2010:

    je répond rapidement à ton commentaire pour signaler que je l’ai lu, mais il est intéressant et assez riche, alors trouverais probablement d’autres choses à dire dessus plus tard. merci pour la discussion, en tout cas 🙂

    effectivement, je n’ai pas, là tout de suite, de « plan B » politique ou d’idées très arrêtées sur des perspectives politiques fortes à court terme. je me trouve un peu court aussi 🙂

    cela dit, quelque chose auquel je tiens et que je trouve que Tiqqun a lâché, c’est l’analyse quotidienne et concrète des domination qui nous bouffent la vie, de leurs transformations et de leurs dynamique (l’Empire et les citoyens, c’est un peu vague). je pense que c’est de là qu’on peut partir pour construire des perspectives, puisque c’est de là qu’on part dans nos vies. peut-être qu’une de nos difficultés tient au fait que se battre contre un gros machin genre l’Empire, le capitalisme ou je ne sais quoi, sans plus de précisions, ça paraît immense et un peu menaçant. par contre, je crois que plus on décortiquera tout ça, plus on plongera dans les entrailles des bestioles qui nous bouffe, plus on découvrira les rapports sociaux dont on ne veut plus, et plus on aura d’outils pour les détruire. c’est ma perspective politique à moi, présentement.

    plus concrètement, et j’écrirais probablement là-dessus à un moment, une des utilités que je verrais d’une « politique de la tristesse » (pour employer les gros mots), ce serait de nous armer pour affronter les fins, les ruptures. fins de collectifs, ruptures avec une perspective donné, … je crois qu’on est pas très doué-e-s là dessus, et je crois que ça donne souvent les affrontements, déchirement, scissions et autres guerres internes qui épuisent et empêchent beaucoup de complicités intéressantes de ce faire. tout ça, ça a voir avec la guerre aussi, mais là, ce n’est pas très clair même dans ma tête.

    voilà, des idées en vrac, j’espère qu’il y a des choses intéressantes à repêcher 🙂

  7. 7 amador said at 13 h 04 min on mars 17th, 2010:

    Je continue à te lire!

  8. 8 iván said at 14 h 30 min on mars 18th, 2010:

    para hablar del caso concreto que expone amador, donde decía:

    > Actuamos y produjimos efectos porque fuimos « malos espinozistas » y nos abrimos primero a « padecer ».

    No sé si hablar de ese condensado: « NOS ABRIMOS A PADECER ».

    No veo quién es ese « nos », ni cuál es el « cómo » del abrirse al padecer.

    Además, hay que mezclar esto con que vivimos en el « capitalismo del desastre » (si no hablamos siempre de alguna forma de ello —y más tratándose de crisis/atentados…—, si no hablamos… estaremos en parte como « en la normalidad » de « las noticias »; asumir el bloom no creo que sea eso);
    vaya, en este capitalismo lo más lógico es que se « busquen » (se inciten, no decimos del todo ni siempre « planifiquen ») las crisis, los atentados… ya que en parte se vive de ello…, pues todo un gran « complejo » capitalista vive de ello (la misma N. Klein cita un congreso de « capitalistas » creo que del 93 donde literalmente se explicitó claramente el tema de que no estaría mal fabricar pseudo-crisis)…

    Creo que cualquiera se vio padeciendo; a casi cualquiera le hiela la sangre el que ocurra « un atentado »*; y quizá más —o porque— estábamos más o menos « cerca » de Madrid; pero primero viene el padecer… y luego vosotros quizá decidísteis « militar » más en este tema « afectivo »… y eso no me parece que sea abrirse a padecer; no sé si es abrirse a investigar, a hacer cosas… pero a padecer…
    tendré que recordar lo que contábais de esa historia en otros lugares.

    salud!

  9. 9 murmures said at 16 h 12 min on mars 20th, 2010:

    ivàn, j’ai validé ton commentaire, mais par contre, je crois que j’aimerais bien demander une traduction 🙂

    comme j’ai dit plus haut, je comprend pas un mot d’espagnol, alors ne pas pouvoir comprendre, c’est frustrant 🙂

  10. 10 Carlos said at 13 h 41 min on mars 22nd, 2010:

    Une excellente exposition du argumentaire de Spinoza, qui confirme tous les raisons pro Spinoza, an auteur que moi j’aime bien, surtout dans sa proximité a Nietschze. D’autre part, la combinaison de géométrie plus étique a été pour moi toujours franchement amusante. Décidément, je dois relire Spinoza. Merci beaucoup.